Japon : la peine de mort, symbole des injustices du système judiciaire

Japon : la peine de mort, symbole des injustices du système judiciaire

Death row inmates in Japan are killed by hanging and the date of the execution is kept a secret to everybody, including to the condemned person, until the morning of the execution.

(AP/Denis Farrell)
News

Le système judiciaire japonais fait l’objet d’une surveillance accrue depuis la déclaration historique de la plus grande association juridique du pays, qui dénonce le taux élevé de condamnations au Japon et le maintien de la peine capitale.

La Fédération japonaise des associations du barreau est allée plus loin en demandant l’abolition de la peine de mort ; les défenseurs des droits humains espèrent que cet appel permettra d’ouvrir le dialogue sur cette question dans le pays.

Les partisans de la peine de mort affirment qu’elle ne s’applique que dans les cas les plus extrêmes : les meurtres multiples ou les actes terroristes tels que l’attentat au gaz sarin perpétré en 1995 par la secte Aum Shinrikyo dans le métro de Tokyo, qui avait coûté la vie à 12 personnes. En moyenne, seulement une ou deux personnes sont exécutées chaque année au Japon, ce qui indique que le recours à la peine capitale y est beaucoup plus restreint que dans de nombreux autres pays qui l’appliquent encore.

Cependant, plusieurs questions primordiales se posent en dépit de cet usage limité. Atsushi Zukeran, le président de l’Association japonaise pour la justice sociale et les droits humains (Kyuenkai), signale quatre cas au Japon de personnes accusées à tort et condamnées à mort et, selon lui, cette situation pourrait se reproduire.

« Il est toujours possible d’exécuter la mauvaise personne, avec le système de peine capitale qui existe au Japon », déclare Zukeran à Equal Times, en soulignant à quel point ce phénomène est préoccupant pour les droits humains au Japon. « Si quelqu’un est accusé à tort, puis exécuté, il est impossible de revenir en arrière ».

Le cas le plus récent – celui de Hakamada Iwao, qui a passé 47 ans dans le couloir de la mort avant que les preuves apportées par l’analyse d’ADN permettent sa libération il y a trois ans – montre à quel point la justice peut être difficile. Des éléments qui auraient pu l’innocenter pendant son procès n’ont pas été transmis à la défense et, aujourd’hui encore, il attend que son procès soit révisé alors que le ministère public japonais refuse de reconnaître son innocence.

Autres questions soulevées dans le système judiciaire

Au Japon, 130 condamnés attendent toujours dans le couloir de la mort, réputé pour ses pénibles conditions de détention et de graves violations des droits humains. Au Japon, les condamnés à mort sont tués par pendaison et la date de l’exécution n’est communiquée à personne, pas même au condamné. Elle n’est annoncée que le matin de l’exécution.

Le taux de condamnations est très élevé au Japon. Plus de 99 % des procès au pénal se terminent par un verdict de culpabilité. Ce chiffre peut s’expliquer en partie par le nombre relativement faible d’affaires qui aboutissent à un procès, mais aussi par les difficultés extrêmes que les accusés rencontrent systématiquement pour prouver leur innocence.

Selon Zukeran, ces difficultés commencent dès qu’un prévenu est soupçonné d’avoir commis un crime.

« Quand une personne est arrêtée, elle est placée en détention pendant 23 jours et passe toute la journée à la prison du commissariat. Les interrogatoires ont lieu sans avocat, dans une pièce fermée, précise-t-il. Et là, de fausses déclarations peuvent être faites et ainsi constituer la base, ou les fondations, d’une condamnation à mort ».

« À partir de là, la situation ne fait que s’aggraver », ajoute l’éminent avocat Yoshihiro Yasuda, qui défend des condamnés à mort. Pour lui, le procès lui-même donne raison aux procureurs, et il est donc incroyablement difficile de prouver l’innocence d’une personne.

« Nous n’avons pas les mêmes preuves que le procureur », indique Yasuda à Equal Times. « De plus, il peut faire gratuitement appel à de nombreux experts et aux instituts publics de recherche scientifique, alors que la défense doit payer ».

L’association Kyuenkai demande trois changements susceptibles selon elle de rendre le système plus juste : modifier le mode d’interrogatoire et déplacer les personnes arrêtées dans des centres de détention judiciaires au lieu de les détenir dans les commissariats ; donner un accès équitable à toutes les pièces à conviction aux deux parties ; interdire au procureur de faire appel en cas de non culpabilité.

Des débats publics au lieu de sondages d’opinion

En dépit de ces problèmes manifestes, la peine de mort bénéficie d’un large soutien auprès de l’opinion publique japonaise : les récents sondages indiquent que 80 % des citoyens y sont favorables.

Pour l’avocat Yuji Ogawara, qui a travaillé sur plusieurs affaires liées à la peine capitale, cela révèle surtout qu’il n’y a pas encore de réel débat national sur l’usage de la peine de mort au Japon.

« Personnellement, je ne pense pas que ce soit une bonne chose de décider de la peine de mort en fonction des résultats des sondages. Cette question devrait faire l’objet de débats publics », affirme Ogawara.

« Jusqu’à présent, pour les Japonais, il y avait peu d’occasions de discuter (…), que ce soit de l’abolition de la peine de mort ou de son maintien ».

Il n’en reste pas moins que cette tendance est inquiétante. D’après Yasuda, il est possible que le Premier ministre japonais Shinzo Abe considère le recours à la peine capitale comme un moyen de protéger le pays contre les attentats terroristes au cours de la période précédant les Jeux olympiques qui auront lieu à Tokyo en 2020.

« Depuis l’arrivée d’Abe au poste de Premier ministre, 21 personnes ont été exécutées au total, annonce Yasuda. Il n’y a jamais eu autant d’exécutions sous le mandat des précédents Premiers ministres ».

La sensibilisation au recours à la peine capitale est beaucoup plus importante dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, en Chine ou en Indonésie, où les condamnations font souvent l’objet d’une attention internationale. De nombreux militants contre la peine de mort estiment qu’un plus grand intérêt médiatique et une plus forte pression contribueraient à lutter à la fois pour l’abolition de la peine de mort et pour la réforme du système judiciaire japonais.

« Il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, en France, l’actrice Catherine Deneuve a protesté contre la peine de mort en déposant une pétition à l’ambassade américaine, ajoute Yasuda. Je veux voir les gens en faire autant à l’ambassade du Japon. Alors peut-être que les Japonais se réveilleront ».

Ogawara pense qu’une attention internationale peut être bénéfique, mais à condition qu’elle soit constructive, car une critique trop acerbe pourrait avoir des conséquences inattendues.

« Une simple pression venant de l’étranger va susciter la résistance du peuple japonais », explique Ogawara.

« C’est pourquoi il vaut mieux que la communauté internationale nous donne son avis, comme un ami qui partage des valeurs communes ».