Au Portugal, les personnes handicapées continuent à lutter pour une vie indépendante

Au Portugal, les personnes handicapées continuent à lutter pour une vie indépendante

For the Portuguese MP Jorge Falcato, the key to advancing independent living for people with disabilities is increasing accessibility.

(Marina Watson Pelaez)

Jorge Falcato est paraplégique depuis qu’il a été touché par la balle d’un agent de police au cours d’une manifestation en 1978. Il lutte au quotidien contre le handicap ainsi que la stigmatisation qui lui est associée. Mais en tant que député, Falcato éprouve aussi des difficultés à pousser le gouvernement à en faire davantage pour aider les personnes handicapées du pays à atteindre l’égalité des droits et des chances.

« Nous sommes en présence d’un cocktail détonant d’éducation insuffisante, de préjugés et d’attitudes négatives à l’égard des personnes handicapées, » déclare-t-il à Equal Times.

Lorsqu’il s’agit du marché du travail, par exemple, « en général, être atteint d’un handicap est associé à un manque d’efficacité, un travail de mauvaise qualité et une faible rentabilité, et ce, même si cela ne correspond pas à la réalité, » explique-t-il.

D’après le dernier recensement, réalisé en 2011, Falcato fait partie du million de personnes vivant avec un handicap au Portugal. Étant donné l’absence d’un régime national d’assistance personnelle, de nombreuses personnes dépendent de leurs familles pour leurs soins ou doivent être institutionnalisées.

Afin de changer cela, le gouvernement portugais discute d’un projet pilote pour une vie autonome, qui devrait s’étendre de 2017 à 2020 et fournir une assistance personnelle à quelque 300 personnes handicapées.

Selon un document produit lors de la consultation publique de ce projet, les candidats sélectionnés doivent être âgés de plus de 18 ans et souffrir d’une invalidité de 60 % au moins. Les personnes admissibles recevront jusqu’à 40 heures d’assistance personnelle par semaine afin de les aider dans leurs activités quotidiennes telles que l’hygiène personnelle, l’alimentation et les transports, comme convenu conjointement par le bénéficiaire des soins et le Centre de soutien pour une vie indépendante (CAVI).

La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) déclare que les États doivent veiller à ce que les personnes handicapées aient la possibilité de « choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier. » Jusqu’à présent cependant, au Portugal, les personnes handicapées étaient privées de ce droit fondamental à une vie indépendante.

Falcato déclare s’inquiéter, car 40 heures d’assistance par semaine ne sont pas suffisantes pour ceux qui ont besoin de soins constants et il ne voit pas pourquoi l’âge minimum de ce programme n’est pas de 16 ans. Il déclare également que les personnes handicapées doivent être en mesure de choisir leur propre assistant personnel, de les payer directement et de définir leur propre plan de soins individuel.

La ministre portugaise du Travail, de la Solidarité et de la Sécurité sociale, Ana Sofia Antunes, déclare à Equal Times que bien qu’elle aimerait que le projet pilote puisse être plus large, il convient de le considérer comme une première étape.

« Cela se révélera important pour la désinstitutionnalisation, » déclare-t-elle. « Les gens doivent avoir le droit de choisir [où et comment vivre]. »

Paula Pinto, directrice de l’Observatoire du handicap et des droits de l’homme (OHDH) de l’Université de Lisbonne, indique que même si elle reconnaît que le projet constitue un premier pas dans la bonne direction, il n’incarne pas encore les valeurs véritables de la vie autonome que le Réseau européen pour la vie autonome décrit comme une « combinaison de divers facteurs environnementaux et individuels qui permettent aux personnes handicapées d’avoir le contrôle sur leur propre vie. »

« À mon avis, ces critères doivent inclure toute personne qui a besoin de l’aide d’un tiers. Je ne vois pas la nécessité de traduire le handicap en statistiques, dans un modèle médical plutôt qu’un modèle des droits de l’homme, » ajoute-t-elle.

Aspirer à l’indépendance

Le rêve d’Eduardo Jorge en constitue l’illustration parfaite. Il rêve de vivre dans une ferme, entouré de nature et que quelqu’un lui fournisse une assistance personnelle. Âgé de 54 ans, il est tétraplégique depuis 10 ans à cause d’un accident de voiture. Lorsqu’il est rentré chez lui après un long processus de rééducation, il s’est senti abandonné.

« C’était terrible, » raconte-t-il. « Je mouillais mon lit et le matelas était toujours humide parce que je ne savais pas que je pouvais avoir un matelas lavable. »

Dix ans plus tard, Jorge découvrait l’Internet, l’occasion pour lui d’en apprendre davantage sur ses droits. Plus tard, il devint un activiste bien connu et en 2014, il entreprit un voyage de trois jours sur son fauteuil roulant, parcourant les 180 kilomètres séparant Lisbonne de sa ville d’Abrantes dans le but de sensibiliser l’opinion publique aux nombreux obstacles auxquels les personnes handicapées font face au Portugal.

Une maison de soins, touchée par son histoire, a offert à Jorge un endroit où loger et un poste d’assistant social.

« C’est la meilleure chose qui me soit arrivée. J’aime mon travail et je suis extrêmement reconnaissant envers cette institution, » déclare-t-il Equal Times. Cependant, tout n’est pas parfait.

« Ceci n’est pas la vie que je souhaite vivre. Je suis couché dans mon lit pour le moment et quelqu’un devrait bientôt venir m’habiller et me donner à manger, mais ce ne sera que quand bon semblera à cette personne. C’est très dérangeant. »

Diana Santos, psychologue âgée de 32 ans et trésorière du Centre de la vie autonome du Portugal, est tétraplégique suite aux effets indésirables graves d’un vaccin qui lui avait été administré à l’âge de six mois. Jusqu’à récemment, c’est sa mère qui l’aidait à sortir du lit, à se laver et à s’habiller.

Mais Santos participe désormais à un projet pilote organisé par le Conseil municipal de Lisbonne qui lui permet de bénéficier d’une assistance personnelle de sept heures par jour dans son nouvel appartement.

Santos déclare qu’elle devra mettre au point de nouvelles « stratégies » maintenant qu’elle est seule pendant la nuit ; p. ex., utiliser des couches d’incontinence en cas d’urgence. Et bien que le projet pilote lui permet de goûter à la liberté, selon elle, il n’est pas idéal.

D’après Falcato, l’un des éléments clés pour promouvoir la vie indépendante des personnes handicapées au Portugal réside dans l’amélioration de l’accessibilité.

« Le modèle social du handicap qualifie ce dernier comme une condition sociale. Le problème n’est pas que je n’aime pas aller au cinéma : le problème est que je ne peux pas y aller parce qu’il y a des marches à monter. C’est la façon dont la ville me conditionne qui fait de moi un handicapé », déclare-t-il.

Une loi adoptée en 1997 obligeait le pays à adapter les bâtiments publics dans un délai de 10 ans, toutefois, ce délai a dû être prolongé de 10 ans supplémentaires, car cette loi n’avait pas été respectée. La date limite a été dépassée le 8 février 2017 dernier et pourtant l’inaccessibilité des espaces publics au Portugal constitue toujours un défi majeur.

Lutte contre la stigmatisation et l’austérité

Dans son rapport publié en 2016, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies a félicité le Portugal pour les progrès réalisés grâce à l’adoption de lois, de plans et de programmes. Ce rapport citait, à titre d’exemple, le fait que 98 % des élèves handicapés fréquentaient une école ordinaire en 2015.

Le Portugal dispose en outre de cours de formation professionnelle pour les personnes handicapées et, en 2015, le pays a lancé un programme d’aide à l’intégration par l’intermédiaire de l’emploi, dédommageant aussi bien le travailleur que l’employeur pour les ajustements réalisés sur le lieu de travail.

Le rapport s’inquiétait cependant du fait que le handicap était évalué « médicalement » au Portugal. On se réfère ici à un modèle qui considère le handicap comme un problème appartenant à un particulier, par opposition à un problème de société qui, lui, affecte aussi bien les personnes valides que handicapées.

Le rapport appelait le gouvernement à « revoir d’urgence les mesures d’austérité » et à « fournir aux personnes handicapées des services favorisant leur autonomie et mettre à leur disposition des foyers d’accueil dans lesquels leurs préférences seront respectées ».

En outre, les personnes handicapées qui travaillent ne reçoivent aucune prestation au Portugal, et ce, alors que le fardeau économique découlant d’un handicap varie de 5100 EUR (5450 USD) à 26.304 EUR (26 120 USD) par an, selon une étude réalisée par l’Université de Coimbra.

Les prestations sociales pour les personnes handicapées se sont par ailleurs invitées dans les consultations publiques, avec pour objectif de lutter contre la pauvreté et d’encourager la participation au marché du travail et l’autonomie.

Les propositions suggèrent que les personnes souffrant d’une invalidité de plus de 80 % doivent recevoir 260 EUR (278 USD) par mois, indépendamment de leur niveau de rémunération.

Toutefois, il convient de noter que le taux de chômage chez les personnes handicapées est spectaculairement élevé au Portugal. Selon un rapport publié par Eurostat, seuls 44 % d’entre elles ont un emploi et ce chiffre n’inclut pas les personnes gravement handicapées.

Alors que les personnes handicapées sont souvent rejetées et marginalisées, grâce aux créations théâtrales de la chorégraphe Ana Rita Barata, elles occupent le devant de la scène et décrochent les mêmes rôles que les interprètes valides.

Sa compagnie Vo’Arte, active depuis déjà dix ans, promeut l’idée que l’intégration devrait couler de source.

« Lorsque je travaille avec un danseur ou une danseuse, je me fiche que cette personne ait des bras et des jambes ou pas », déclare Barata à Equal Times. « Je me soucie de ce que cette personne partage avec moi. »