Le Japon face au défi des travailleurs migrants

News

Le pays connaissant actuellement une lente ouverture à une nouvelle vague de travailleurs originaires d’Asie du Sud-Est, le nombre de migrants au Japon est reparti à la hausse. L’année dernière, le nombre de travailleurs étrangers au Japon a dépassé le seuil du million pour la première fois. Toutefois, les lacunes en matière d’application des lois du travail, l’utilisation de pourvoyeurs et les initiatives limitées d’éducation et d’intégration des migrants posent des défis pour ce pays reconnu depuis longtemps pour son homogénéité culturelle.

« On assiste actuellement à une pénurie de personnel, raison pour laquelle il y a eu [une augmentation du] nombre de travailleurs étrangers au Japon, » déclare Saichi Kurematsu, président de la Fédération des syndicats de la préfecture d’Aichi, l’affilié régional de la centrale syndicale Zenroren.

Les travailleurs migrants sont importants pour la Fédération de la préfecture d’Aichi (qui englobe la région métropolitaine de Nagoya). En effet, cette région a longtemps constitué le point d’entrée principal pour les travailleurs migrants en raison du grand nombre d’usines qui y sont installées, notamment plusieurs qui sont reliées au géant de la construction automobile, Toyota.

Au Japon, les besoins en main-d’œuvre étrangère sont devenus critiques, particulièrement dans certaines industries telles que la construction, où l’emploi s’est fortement développé, porté par l’énorme effort de reconstruction qui a suivi le tremblement de terre dévastateur survenu en 2011.

Une étude récente a révélé qu’il y a environ 143 emplois pour 100 candidats au Japon. Dans le même temps, les étrangers ne représentent que 2 % de la population du Japon.

Par ailleurs, le vieillissement rapide de la population japonaise entraîne un renforcement du besoin d’un plus grand nombre de travailleurs. Après des décennies de faible taux de natalité, la population du Japon a reculé de près d’un million de personnes entre 2010 et 2015, le Japon devenant ainsi le premier pays dans le monde à connaître un dépeuplement principalement causé par le vieillissement de sa population, plutôt que par des conflits ou l’émigration, par exemple. La situation n’ira qu’en empirant si les niveaux d’immigration n’augmentent pas. Selon certaines estimations, si les tendances actuelles se maintiennent, la population du Japon devrait se réduire d’un tiers d’ici à 2060.

« Le Japon a besoin de gens »

« Pourquoi devons-nous changer ? Parce que nous n’avons pas de gens, » explique Haruka Nagao, la fondatrice de Viva Okazaki. « Aujourd’hui, en 2016, près de 40 % de notre population a plus de 60 ans. [Ces personnes sont] donc trop vieilles pour travailler. Le Japon a besoin de gens, mais nous n’avons pas de règles ou de soutien clairs pour les résidents étrangers. »

L’organisation de Nagao est installée dans la préfecture d’Aichi, qui compte le pourcentage de résidents nés à l’étranger le plus élevé du pays. Viva Okazaki œuvre à la promotion d’une compréhension interculturelle et aborde ce qu’elle considère être les obstacles culturels entravant une véritable intégration.

« Nous luttons contre les préjugés et les stéréotypes. Par ailleurs, nous, les Japonais, n’avons que peu d’expérience en ce qui concerne la communication avec des personnes étrangères. Nous ne connaissons ni les barrières culturelles d’autrui ni d’autres façons de penser, » déclare Nagao à Equal Times.

Durant les années 1980 et 1990, la plupart des migrants du Japon provenaient des grandes communautés d’origine japonaise du Pérou ou du Brésil. Lorsque l’économie japonaise a stagné au cours des années 1990, beaucoup d’entre eux ont reçu une somme d’argent forfaitaire pour retourner en Amérique du Sud. Lorsque l’économie s’est redressée, une nouvelle vague de travailleurs est arrivée au début des années 2000, principalement en provenance des pays voisins tels que la Corée du Sud et la Chine.

Bon nombre de ces travailleurs étaient venus en tant que « stagiaires » avec des visas de courte durée et lorsque la crise financière mondiale de 2008/9 a frappé et que ces « stagiaires » ont perdu leur emploi, ils ont dû quitter le Japon à la fin de leur visa.

Bien que le même système s’applique à la vague actuelle de travailleurs migrants au Japon, nombre d’entre eux sont désormais originaires du Vietnam en raison de l’émergence de cette nation d’Asie du Sud-Est en tant que base pour les usines japonaises.

« Le nombre de [travailleurs migrants] Chinois a diminué parce que les sociétés japonaises qui disposaient d’usines en Chine les ont à présent déplacées vers le Vietnam et d’autres pays d’Asie du Sud-Est, » déclare Kurematsu. « Aujourd’hui, à travers tout le pays, le nombre de [travailleurs migrants] Vietnamiens pourrait être supérieur à celui des travailleurs chinois. »

Étant donné que beaucoup de ces travailleurs arrivent officiellement en tant que stagiaires (et sont donc liés à une société spécifique pour leur travail), ils sont vulnérables à l’exploitation. Kurematsu indique que son syndicat reçoit des plaintes presque tous les jours de la part de travailleurs vietnamiens pour des problèmes liés au lieu de travail.

En 2010, le Japon a modifié sa législation du travail afin de donner aux travailleurs migrants et aux stagiaires les mêmes droits que les travailleurs japonais. Kurematsu considère que ce changement constitue un grand pas en avant.

« Auparavant, le droit du travail ne s’appliquait pas aux stagiaires, raison pour laquelle ils étaient obligés de faire des heures supplémentaires avec un salaire allant de 300 à 400 yens de l’heure (environ 2,52 à 3,36 euros). Après 2010, le nombre de cas de salaires faibles a diminué. »

Vol de salaires et pourvoyeurs de main-d’œuvre

Toutefois, on constate une recrudescence des bas salaires, car le nombre de nouveaux migrants continue d’augmenter. Bien que le Japon garantisse le même salaire minimum aux migrants qu’aux travailleurs autochtones, la Fédération d’Aichi a reçu de nombreuses plaintes relatives à des cas de vol de salaires au cours de l’année écoulée, y compris en matière d’heures supplémentaires impayées et d’utilisation de pourvoyeurs de main-d’œuvre qui facturent des honoraires très élevés afin de faciliter le processus d’immigration. Le problème est particulièrement saillant dans l’industrie du vêtement.

« Depuis le mois de juin de l’année dernière, 30 personnes travaillant dans l’industrie de la couture dans les préfectures de Gifu et d’Aichi sont venues nous consulter, » déclare Kurematsu. « Toutes ces personnes ont déclaré avoir travaillé 100 heures supplémentaires pour seulement 400 ou 500 yens de l’heure (environ 3,36 à 4,20 euros), sans jours de congé, pas même le samedi ou le dimanche. »

Kurematsu déclare qu’une enquête plus poussée a permis de révéler qu’il s’agit d’un problème systémique. Le salaire minimum légal dans la préfecture de Gifu est de 940 yens (7,9 euros). Si vous totalisez toutes les heures de travail sous-payées dues aux travailleurs migrants, vous obtenez un montant colossal. « Nous estimons qu’environ 3000 personnes sont concernées, » déclare Kurematsu.

La Fédération d’Aichi espère que l’annonce récente du ministère du Commerce international et de l’Industrie indiquant qu’une enquête portant sur l’industrie textile allait être ouverte va entraîner une nouvelle politique permettant de résoudre le problème des vols de salaires.

Un autre changement que la Fédération d’Aichi souhaiterait voir mis en œuvre est la réduction de la dépendance des entreprises japonaises aux pourvoyeurs de main-d’œuvre comme intermédiaires avec les travailleurs migrants.

« Les travailleurs vietnamiens viennent au Japon et travaillent pour 400 yens de l’heure, mais avant d’arriver, ils ont déjà payé entre 1 et 1,5 million de yens (8400 à 12.600 euros) à ces intermédiaires, » déclare Kurematsu.

Un autre défi consiste à s’assurer que les agences japonaises disposent de traducteurs capables de fournir une assistance linguistique aux migrants. Sans cela, les travailleurs migrants et les stagiaires continueront à avoir des difficultés à obtenir une assistance juridique. D’ailleurs, au fur et à mesure que d’autres travailleurs arrivent en provenance d’autres pays de la région (p. ex., les Philippines, l’Indonésie et la Thaïlande), le besoin d’assistance linguistique ne fera que s’accroître.

La réalité est que sans un redressement subit du taux de natalité, les travailleurs étrangers et leurs familles devront faire partie de l’avenir du Japon si le pays souhaite rester l’une des premières économies mondiales. Si le gouvernement ne prend pas de mesures concrètes pour protéger ces travailleurs, il se pourrait qu’à l’avenir le problème ne soit pas que les migrants ne peuvent pas venir au Japon, mais bien qu’ils choisissent de ne pas venir.