Ordures nucléaires : une vieille bombe à retardement toujours d’actualité en Europe

Ordures nucléaires : une vieille bombe à retardement toujours d'actualité en Europe

There is still no long-term solution to the problem of radioactive waste and the threat it poses. In this photo from November 2016, Greenpeace is staging a protest pressing for the Almaraz plant to be closed, as scheduled, rather than extending its life.

(Greenpeace España)

Alors que l’on vient de célébrer le 31e anniversaire de la catastrophe nucléaire de la centrale ukrainienne de Tchernobyl et six ans à peine après celle de la centrale japonaise de Fukushima (qui continue à déverser quotidiennement environ 300 tonnes d’eau radioactive dans l’océan Pacifique), l’interminable débat sur la fiabilité et la sûreté de l’énergie nucléaire a encore de beaux jours devant lui.

En Europe, après un demi-siècle d’exploitation, les risques découlant du vieillissement des installations et de la nécessité d’entreposer des quantités de plus en plus importantes de déchets nucléaires (dont la radioactivité continuera à constituer une menace pour la vie pendant encore des centaines de milliers d’années) restent patents.

Dans l’UE, 27 % de l’électricité produite proviennent de 128 centrales nucléaires opérationnelles dans quinze pays membres et l’association communautaire du secteur, Foratom, prévoit qu’il sera nécessaire d’en construire encore une centaine entre 2025 et 2045 si l’on souhaite maintenir la capacité de production actuelle, du moins jusqu’en 2050.

Alors que les États et les compagnies électriques européennes semblent se diriger discrètement vers cet objectif, le problème des déchets radioactifs et la menace que ces derniers représentent restent sans solution à long terme, et ce, en dépit de la résistance populaire dans les zones touchées.

Deux situations d’actualité en sont une illustration parfaite : d’une part, la plainte que le Portugal a récemment déposée auprès de la Commission européenne à l’encontre de l’Espagne, motivée par la décision de cette dernière d’installer un ATI (entrepôt provisoire de stockage des déchets) à proximité de sa centrale nucléaire vieillissante d’Almaraz (dans la province de Cáceres, située à une centaine de kilomètres de la frontière portugaise seulement) sans préalablement avoir consulté Lisbonne à ce sujet ; une affaire non résolue toujours en cours.

D’autre part, l’intention qu’a la France de construire une énorme décharge souterraine permanente pour y stocker ses déchets nucléaires les plus radioactifs pendant des milliers d’années, un projet qui, de par son échelle, est sans précédent dans l’Histoire et qui doit voir le jour dans la localité lorraine de Bure (commune de la Meuse, au nord-est du pays), et ce, malgré les décennies d’inlassable opposition affichée par la population locale en opposition à ce futur entrepôt.

Almaraz, fondement de l’avenir nucléaire de l’Espagne

Le cas d’Almaraz, qui constitue une violation de la convention européenne d’Espoo par l’Espagne (qui oblige cette dernière à convenir avec le Portugal de tout projet nucléaire pouvant avoir un impact environnemental sur son pays voisin comme l’entrepôt de déchets ATI notamment), a été ramené à l’ordre en février, lorsque Bruxelles a contraint Madrid de suspendre sa décision unilatérale de construire l’ATI, dans l’attente d’une entente avec Lisbonne ainsi que d’un rapport à ce sujet qui sera remis en août prochain par le Comité d’application de la Convention d’Espoo.

Ce qui est en jeu à Almaraz, ce n’est pas seulement la construction d’un ATI, qui de toute façon s’avérera nécessaire tôt ou tard pour stocker les déchets radioactifs générés par la centrale espagnole, qui représente près du quart de l’énergie nucléaire produite sur la péninsule ibérique (le Portugal n’en produisant pas).

« Dans le cas de l’ATI, la grande question est de savoir pourquoi on le construit. Est-ce afin de démanteler la centrale d’Almaraz ou pour en prolonger la durée de vie ? » s’interroge Raquel Montón, la porte-parole de la campagne antinucléaire de l’organisation écologiste Greenpeace en Espagne, interviewée par Equal Times.

Le premier réacteur dispose d’une licence d’exploitation valable jusqu’en juin 2020, date de sa 40e année de service et à laquelle un ATI doit être construit afin de pouvoir fermer les installations. Elle souligne cependant que « le construire à l’avance implique de vouloir le destiner à une rallonge de sa vie utile, car les piscines de combustible n’ont pas la capacité nécessaire pour accueillir du matériau usé au-delà de 40 ans, » ce qui exige de disposer d’un ATI prêt avant l’année 2020 si l’on souhaite ne pas interrompre le fonctionnement de la centrale.

« L’extension de la durée de vie utile des centrales nucléaires n’est pas une stratégie cachée ; il s’agit du programme que le gouvernement (espagnol) met actuellement en œuvre et qu’il a présenté publiquement à plusieurs reprises, » rappelle Montón, qui avertit que « la façon dont la réglementation est “adaptée” afin de mener à bien cette extension de la vie utile implique également une augmentation des risques, » car elle réduit les conditions exigées pour en autoriser son fonctionnement. Une dérive semblable finit par entraîner la catastrophe de Fukushima, évoque-t-elle, à cause du laxisme combiné du Gouvernement japonais, de ses régulateurs et de l’entreprise exploitante, TEPCO.

Dans le cas d’Almaraz, à la liste des incidents qui s’y sont déroulés ces dernières années, il convient d’ajouter celui du 10 avril dernier : un arrêt de la centrale en raison d’un simple problème électrique. La centrale, à l’instar de Fukushima, ne dispose pas de soupapes de pression de sûreté permettant d’empêcher une explosion d’hydrogène. « Les protocoles de sécurité sont respectés, mais ce n’est pas suffisant, » insiste Montón.

« Le système a fonctionné et le réacteur a été arrêté, bien entendu, mais le problème est qu’une défaillance dans les circuits normaux puisse aboutir à l’arrêt du réacteur. C’est comme si une voiture de Formule 1 était forcée de quitter la piste à cause d’un problème mineur afin d’éviter que le pilote ait un accident : il est évident qu’il faut lui faire quitter la piste, mais ni Mercedes ni Ferrari ne peuvent se permettre ce genre de défaillances. »

Alors que le Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) estime à 50 % la probabilité qu’une nouvelle catastrophe comme celle de Fukushima se produise dans le monde dans les 50 prochaines années, ou qu’un nouveau Tchernobyl se produise dans les 27 prochaines années, « l’Europe a laissé passer l’occasion de mettre en œuvre des mesures de protection essentielles, notamment, contre les tremblements de terre, les inondations et les explosions d’hydrogène ainsi que l’installation de soupapes de pression de sûreté adaptées afin de prévenir le rejet de radioactivité dans l’environnement en cas de catastrophe, » soupapes qui auraient pu éviter la contamination radioactive de Fukushima, insiste Montón.

Bure, un défi sans précédent

Entre-temps, cela fait plusieurs décennies que la France prépare le Cigéo à Bure. Il s’agit d’un gigantesque entrepôt souterrain destiné à l’enfouissement de 80 000 mètres cubes de déchets radioactifs, ce qui ne représente qu’à peine 3 % du total national, mais 99 % de la radioactivité totale de tous les déchets produits par le pays en raison du niveau particulièrement élevé de leur radioactivité de longue durée, selon les organisations écologistes locales.

L’Agence nationale française pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), qui en principe prévoit l’arrivée des premiers déchets à Bure à l’horizon 2025, assure qu’elle a désigné ce site en raison de ses caractéristiques géographiques, notamment le type de roche âgée de 160 millions d’années qui devrait procurer, en théorie du moins, de meilleures garanties de confinement que d’autres sols pour accueillir un entrepôt souterrain pendant des milliers d’années. Toutefois, la population locale est consciente que cela signifierait également l’installation de cheminées qui émettront des gaz à isotopes radioactifs de façon permanente.

Hormis les motifs écologiques immédiats, « l’un des plus grands dangers pourrait par ailleurs découler des changements géopolitiques, » a expliqué à Equal Times Marie Colline, l’une des militantes de l’organisation appelée La Maison de résistance contre la décharge nucléaire « Bure Zone libre, » qui a partagé sa vision personnelle du problème.

« Il y a un siècle, ici même, la Première Guerre mondiale battait son plein. Nous nous trouvons à 80 kilomètres de Verdun et cela fait déjà longtemps que la mémoire collective a oublié où ont été enfouis les déchets militaires de la guerre qui continuent à polluer nos champs et rivières jusqu’à ce jour. »

C’est pour cette raison qu’un projet comme le Cigéo, d’une ampleur sans précédent, est « trop risqué, » insiste-t-elle, étant donné que « nul ne peut s’engager à le conclure » et, de fait, il n’existe aucune certitude quant à la façon de veiller au maintien de la sécurité de cet enfouissement au fil des siècles.

Les quelques tentatives similaires qui ont été réalisées jusqu’à présent sont loin d’être convaincantes, souligne Colline : « les explosions au WIPP (un centre de stockage au Nouveau-Mexique, États-Unis, en 2014), les effondrements à Asse (Allemagne, projet de stockage dans d’anciennes mines de sel, fermé en 1995), » énumère-t-elle, et l’on redoute déjà la « pollution des rivières et nappes phréatiques en Russie, » pays qui vient d’inaugurer un autre tunnel semblable à Novouralsk, du côté asiatique de l’Oural.

Elle reconnaît toutefois le dilemme presque philosophique avec lequel il convient de composer, et ce, malgré le fait que le slogan « Bure Zone libre » exige qu’il n’y ait Cigéo « ni ici ni ailleurs ! ». En effet, la nécessité de stocker les déchets radioactifs existants est impossible à éluder.

« La solution consistant à enfouir les déchets est mauvaise, mais l’État et l’industrie nucléaire ne semblent pas en rechercher une autre, et cela fait peur si l’on pense à l’avenir, » conclut-elle. « Il faudrait que ce petit groupe de personnes qui décide seul pour le reste de la planète... fasse preuve d’un petit peu plus de philosophie ! »

This article has been translated from Spanish.