Au Brésil, les réformes du gouvernement menacent les travailleurs

Malgré le climat politique très instable, le gouvernement de Michel Temer et les députés brésiliens espèrent faire passer à tout prix une série de réformes de la protection sociale et du code du travail en passant par des procédures accélérées et, surtout, sans concertation avec les partenaires sociaux.

Exclus du processus d’élaboration de ces futures lois, les syndicats se mobilisent depuis le mois de mars,à travers des manifestations et l’organisation d’une grève générale qui a eu lieu le 28 avril dernier, à laquelle ont participé 40 millions de personnes dans tout le pays.

Malgré cela, la libéralisation de la sous-traitance a déjà été approuvée par la chambre des députés, tandis que la réforme des retraites et celle du code du travail doivent passer par le vote des parlementaires dans les semaines qui viennent.

Les Brésiliens sont pourtant majoritairement contre ces réformes : 71% refusent les modalités de la réforme annoncée des retraites, tandis que 64% estiment que la nouvelle loi travail sera plus bénéfique aux entreprises qu’aux travailleurs.

Mais tout laisse à penser que celles-ci seront approuvées – même avec la crise politique qui vise le président – comme l’a affirmé récemment le ministre de l’Économie, Henrique Meirelles, lors d’un entretien avec des investisseurs étrangers en mai. Pour les rassurer, celui-ci leur a garanti, par rapport à la réforme des retraites, que les « leaders des groupes parlementaires sont conscients que les mesures fiscales doivent être approuvées et pour cela continuer à avancer. » Il a ajouté qu’un retard d’un ou deux mois ne ferait pas de différence.

« La réforme des retraites est très préoccupante car elle va exclure une partie de la population de l’accès à ce droit. Cependant, la réforme du code du travail est autrement plus grave, car elle remet en cause, sans débat, quasiment un siècle de lutte sociale pour les droits des travailleurs, » s’alarme Clemente Ganz Lúcio, directeur technique du Département intersyndical des études socioéconomiques et statistiques (DIEESE), un organisme de recherches et de formation spécialisé dans le monde du travail et associé aux principales centrales syndicales brésiliennes.

Le projet, actuellement à l’étude au Sénat, propose d’apporter plus d’une centaine de modifications aux règles qui régissent le monde du travail.

« Dans ce texte, cela va de choses très triviales portant par exemple sur les tenues de travail, jusqu’à des articles qui remettent en cause complètement le rôle des syndicats, les processus de négociations et les droits fondamentaux des travailleurs », explique Clemente Ganz Lúcio à Equal Times.

Parmi les points cruciaux du projet figurent une modification de la hiérarchie des normes sur plusieurs points de négociations, dans lesquels les accords d’entreprises primeront sur la loi ; la fin de l’obligation de la contribution syndicale (équivalente au salaire d’une journée de travail par an actuellement), ou encore une limitation du champ des décisions que pourra prendre le Tribunal supérieur du Travail.

Pour le gouvernement, les réformes sont censées relancer l’emploi et encourager l’activité des entreprises dans un contexte de récession économique qui dure depuis deux ans et dans lequel le chômage atteint des records, touchant 13,6% de la population active (contre 4,8% en 2014).

Les organisations patronales soutiennent, elles, largement cette réforme du travail. « Moderniser et ‘débureaucratiser’ les relations de travail est urgent et nécessaire » soutient la Confédération nationale des industries (CNI) dans un communiqué.

Le directeur du DIEESE ne nie pas cette nécessité : « Oui, une réforme est nécessaire, car près de 40% des travailleurs brésiliens sont peu ou mal protégés par les syndicats ou travaillent de manière informelle. Il faut aussi adapter le code du travail à l’industrie numérique et des services qui sont une nouvelle réalité. Et pour cela il faut renforcer les processus de négociations et améliorer le fonctionnement de la justice du travail, où les procédures sont extrêmement longues. Or c’est le contraire qui va se faire avec ce projet. »

La plupart des centrales syndicales ainsi que le ministère public du travail se disent inquiets pour l’avenir des droits des travailleurs. Pour eux, la réforme présente des risques de fragilisation du rapport de force au sein des entreprises. Le travailleur pourra par exemple négocier individuellement avec l’employeur son salaire ou définir ses heures de travail, sans pouvoir bénéficier des garanties de la loi, puisque sur certains points l’accord d’entreprise primera.

Dans un contexte économique défavorable avec un chômage élevé, les syndicats assurent que les travailleurs se verront obligés d’accepter des conditions moins favorables afin de garder leur emploi.

En évinçant les syndicats des négociations, cette réforme voudrait de fait briser la force de négociation du collectif, affirme Beatriz Cerqueira, présidente de la Centrale unique des travailleurs (CUT) de l’État du Minas Gerais, qui demande dans une tribune du Journal Brasil de Fato: « A-t-on demandé leur avis aux travailleurs ? Pour l’instant, on entend seulement les patrons, les députés qui sont pour, et les commentateurs de télévision bien payés défendre cette réforme. Mais a-t-on demandé à ceux qui vont être directement touchés ? Non ».

Pour le président de la centrale Força Sindical, le député Paulo Perreira da Silva : « L’objectif est en fait d’attaquer les droits des travailleurs pour que les entreprises fassent plus de profit, en économisant sur les coûts de la main d’œuvre ».

« Risque de précarisation » voté dans l’urgence

Tous les opposants à la réforme dénoncent son caractère « imposé », par le gouvernement et les députés. Celle-ci a été votée en première lecture en moins de deux semaines malgré sa grande complexité et un nombre important d’articles ajoutés ou modifiés. Elle est passée à travers une procédure d’urgence voulue par le gouvernement au prétexte que la bonne santé économique du pays en dépendrait.

« Comment un tel projet peut-il passer sans avoir été discuté avec la société? », demande Clemente Ganz Lúcio. « À l’origine, le gouvernement proposait un texte d’une douzaine de modifications, qui intégrait d’ailleurs des propositions venues des syndicats. Le député-rapporteur de la loi a ensuite pris ce projet, l’a modifié totalement pour proposer au vote de ces confrères un texte altérant environ 200 articles du code du travail ! »

Quelques semaines plus tôt, la chambre des députés avait déjà fait approuver, en très peu de temps, et presque par surprise, un texte permettant aux entreprises de sous-traiter l’ensemble de leurs activités, et plus seulement leurs activités secondaires. Or, les travailleurs employés par des entreprises sous-traitantes ont généralement des conditions de travail et une protection syndicale moins forte que ceux employés directement.

Les statistiques du DIEESE montrent que les ouvriers sous-traitants travailleraient en moyenne trois heures de plus par semaine que les autres, et seraient payés 25 % de moins. Ils sont également plus exposés aux accidents du travail et ne bénéficient pas de la protection et des accords négociés par les syndicats du secteur.

Ainsi en autorisant la généralisation, la récente loi risque d’inciter les entreprises à faire plus appel à ce type de main d’œuvre. Pour les travailleurs, il y a donc un fort risque de précarisation.

L’ensemble des travailleurs brésiliens sera également affecté par le durcissement des règles concernant les conditions d’accès à la retraite, avec un âge de départ légal fixé à 65 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes, une durée de cotisation de 49 ans pour la retraite à taux plein et un minimum obligatoire de 25 annuités.

Des conditions jugées très difficiles par les syndicats, dans un pays où l’espérance de vie est très variable selon les régions (allant de 67 à 80 ans) et où une part importante de la population travaille encore de manière informelle.

Pour Clemente Ganz Lúcio, l’éviction de la Présidente Dilma Rousseff et l’arrivée au pouvoir de Michel Temer est une opportunité inespérée pour les partisans du néolibéralisme et ceux qui souhaitent briser le pouvoir des syndicats dans la société : « Personne n’aurait voté pour ce programme de réformes s’il avait été proposé ainsi à la population. Des modifications profondes sont en train d’être mises en place dans notre société et notre économie qui auront des conséquences sur plusieurs décennies. »

This article has been translated from French.