La guerre de l’or en Colombie : Les mineurs traditionnels en lutte contre l’État

La guerre de l'or en Colombie : Les mineurs traditionnels en lutte contre l'État

A couple of scrap collectors discard the stones in which they have found no gold. Picture from 2017 at Las Brisas mine, on the outskirts of Segovia, in inland Colombia.

(José Fajardo)

Luz Dary a écoulé plus de la moitié de sa vie dans la mine. Cette Colombienne de 47 ans est orpailleuse : Tous les jours, de six heures du matin à six heures du soir, elle se joint à plus d’une cinquantaine de femmes à Las Brisas, près de Segovia (une municipalité située au nord-est du département d’Antioquia, dans l’intérieur de la Colombie), pour ramasser, laver et passer au crible le gravier que leur ont laissé les mineurs (tous des hommes). Elle est en quête du moindre résidu minéral qu’elle devra ensuite transporter jusqu’aux ateliers de concassage ou entables, en ville, pour séparer l’or du gravier à l’aide d’un système de rouleaux broyeurs.

« C’est une vie pénible mais une vie tout de même. Que pouvons-nous faire d’autre ? », se lamente-t-elle. En fonction du cours de l’or sur les marchés internationaux, elle peut gagner entre 150.000 et 280.000 pesos colombiens par mois (entre 44 et 81 euros). À Segovia, au moins 80 % de la population (soit plus de 40.000 personnes) vivent des mines.

Cette occupation pénible qui leur permet tout de même de gagner leur vie a désormais été déclarée illégale. « Le gouvernement déclare criminelles les personnes découvertes avec des pépites d’or en leur possession. Elles ne peuvent le vendre car on ne leur délivre pas de licence à cet effet », explique Freiman Gómez, un journaliste local qui suit de près cette problématique. La population de Segovia réclame la révision du Projet de loi 169 de 2016 qui pénalise l’extraction minière artisanale, ainsi que de la Loi 685 de 2001 du Code des mines, de manière à y inclure les personnes qui se sont transmis ce métier de génération en génération depuis plus d’un siècle.

De fait, 83 % de l’extraction aurifère en Colombie est effectuée par des personnes dépourvues d’un titre légal, d’après le livre La minería en el posconflicto: un asunto de quilates.

Le secteur minier a encaissé 2,61 milliards de pesos (756.900 millions d’euros), soit 1,90 % du PIB, au cours du second trimestre de cette année. En Colombie, en vertu de l’article 332 de la Constitution de 1991, l’État est propriétaire du sous-sol et des ressources naturelles non renouvelables. Le gouvernement décide qui est autorisé à extraire l’or.

Pour le président Joan Manuel Santos, l’industrie minière doit constituer une des « locomotives » économiques de l’après-conflit, suite à la signature de l’accord de paix avec la guérilla des FARC. Il s’est fixé pour objectif de collecter les impôts des grandes entreprises minières et d’attirer les investissements étrangers. Cependant, le plan ne tient pas compte des mineurs artisanaux. L’accord de paix en Colombie envisage une alternative économique afin que les producteurs de coca optent en faveur de cultures légales mais a manqué d’inclure des projets visant à la substitution des « activités minières illégales ».

Conflit social

Il y deux types de bruit qui ne cessent jamais à Segovia : Celui assourdissant et répétitif des broyeurs qui concassent le matériau extrait de la mine par les orpailleuses, et celui de la marée de motos qui sillonnent les rues de la ville. À ces deux-là est venu s’ajouter un troisième, bien distinct, en juillet et août : Celui des affrontements entre la population et l’Esmad, l’escadron mobile antiémeutes. Ce qui a commencé comme une grève pacifique des mineurs le 21 juillet s’est soldé, 44 jours plus tard, par trois morts, au moins 25 blessés et 32 détenus, dont 10 mineurs d’âge.

Segovia en est venue à symboliser la première bataille des mineurs artisanaux (ceux que l’État nomme les illégaux) contre les projets du gouvernement.

Au cœur du conflit, la multinationale canadienne Gran Colombia Gold, qui opère dans la région depuis 2009 et accapare les licences pour l’extraction et la commercialisation de l’or. « La population exige des solutions, que la chaîne de production soit garantie et qu’ils autorisent les orpailleurs à vendre l’or », affirme Elióber Castañeda, président de la Mesa Minera de Segovia et Remedios, à l’origine de l’appel à la grève.

« Ce qui n’est pas juste c’est qu’ils veuillent s’emparer de 80 % de la production d’un titre dont nous sommes propriétaires », répond José Ignacio Noguera, vice-président de Gran Colombia Gold.

En 2015, cette multinationale a extrait 116.857 onces d’or (une once troy, soit l’unité de mesure internationale de l’or, équivalente à 31,1 gramme) de ses deux sites miniers de Segovia et Marmato (une municipalité proche, dans le département de Caldas). « Notre succès se répercute positivement sur les communautés locales », publie-t-elle sur son site Web. À Segovia, on serait en peine de trouver quelqu’un qui partage ce point de vue.

Don Jorge a 70 ans et a commencé à travailler dans les mines dès l’âge de 15 ans. Il descend chaque jour à une profondeur de 120 mètres sous la surface de la terre en empruntant un tunnel étriqué et glissant. Sous terre, l’atmosphère est insupportable. Le peu d’air qui circule est acheminé au moyen d’un tube en plastique blanc, qu’il inhale seulement quand il a besoin de respirer. Il travaille dans une mine exploitée pour le compte de Gran Colombia Gold. « Les conditions d’exploitation sont extrêmement défavorables pour les travailleurs. La multinationale s’arroge les bénéfices sans assumer le moindre risque », dénonce le journaliste Freiman Gómez.

Le butin des groupes armés

Les mineurs traditionnels doivent en plus lutter contre l’opprobre de leur association avec des bandes criminelles armées, qui en réalité sont leurs bourreaux et leur exigent des paiements en sous-main en échange de leur protection et du droit de travailler. Cette association est un des arguments brandis par le gouvernement colombien pour les déclarer hors la loi. « Il y a certains indices qui prouvent que le Clan del Golfo a une incidence sur les événements de Segovia », a déclaré durant les manifestations le ministre de la Défense, Luis Carlos Villegas.

Après la disparition des FARC, qui en septembre ont bouclé le désarmement de 7000 ex-guérilleros, le Clan del Golfo (un groupe héritier des paramilitaires) est devenu la bande armée la plus puissante de la Colombie. Dans des zones aurifères comme Segovia et le Bajo Cauco, dans le département d’Antioquia, leur présence devient intimidante, avec l’apparition de tags sur les portes des maisons et un réseau complexe de complices. Leur centre d’intérêt, au-delà du trafic de stupéfiants, des demandes de rançon et du racket, gravite autour de l’or.

Pour la première fois dans l’histoire récente, l’activité minière clandestine génère plus de bénéfices que le trafic de stupéfiants, d’après le dernier Rapport mondial sur les drogues de l’ONU. Les bénéfices générés en Colombie par l’extraction illégale de l’or dépassent 2,4 milliards d’euros par an, soit près du double du revenu du commerce d’héroïne et de cocaïne.

Au lieu de s’en prendre uniquement aux maffias armées, les forces de l’État s’acharnent aussi sur les petits et moyens entrepreneurs, selon Ramiro Restrepo, président pour la sous-région de Bajo Cauco d’Asomineros, le syndicat le plus puissant du secteur au niveau national. « Ils nous font passer pour des criminels », regrette-t-il. Et d’expliquer que le Décret n°2235 de 2012 autorise les pouvoirs publics à brûler l’équipement des mineurs qui ne sont pas en possession d’une licence. « Pour nous, c’est la ruine », déclare-t-il.

Une poudrière sur le point d’exploser

Le Bajo Cauco, au même titre que la municipalité proche de Segovia, est une poudrière sur le point d’exploser. Dans la ville d’El Bagre se trouve la base opérationnelle de Mineros SA, une société privée colombienne qui contrôle le commerce de l’or dans la région et qui aspire à s’étendre à travers le pays et à l’étranger (elle opère actuellement dans la région de Bonanza, au Nicaragua).

Le camp de Mineros SA où vivent actuellement 700 personnes (environ 200 travailleurs et leurs familles) a tout l’aspect d’une caserne militaire : Le camp abrite en outre une unité de 400 réservistes de l’armée. Ceux-ci ont fait l’objet d’attaques et de sabotages par des groupes illégaux ; outre le Clan del Golfo, la région est aussi investie par l’ELN, la deuxième guérilla du pays forte de 3000 membres armés. Quant au ramassage des chargements qu’ils extraient, ils se servent d’un hélicoptère, pour prévenir les vols. En 2016, l’entreprise a obtenu en Colombie 407.402 millions de pesos (118 millions d’euros) de la vente de sa production d’or, dont elle a laissé 26.222 millions (7,6 millions d’euros), soit approximativement 6,4 % du total, à l’État.

Toutes les sources que nous avons pu consulter dans la région de Bajo Cauca, à l’exception des salariés de Mineros SA, ont dénoncé l’entreprise. Une de ces voix critiques est celle de Wuilhmel Andrew, membre du Parti vert à Nechí, une autre ville proche. « Mon père était mineur, mon grand-père était mineur, dans cette région, on ne peut vivre d’autre chose ». D’après lui, le gouvernement les empêche de travailler parce qu’ils nuisent à l’environnement. « Serait-ce que Mineros SA ne contamine pas notre terre ? », se demande-t-il.

Equal Times s’est rendu dans les installations de Mineros SA et s’est adressé à plusieurs de ses porte-parole. Carlos Mario Castaño, directeur de l’environnement, affirme que l’entreprise agit dans le respect de la législation environnementale et évoque un projet de responsabilité sociale qui a une incidence sur les communautés. Il reconnait qu’il y a bel et bien une situation de conflit, qu’ils sont soumis à « une pression énorme ».

« L’or est en train d’engendrer la violence », avertit Julio Sampayo, un jeune membre du Partido de la U, à El Bagre. « Les bénéfices ne se répercutent pas sur la communauté. Ces communautés sont très pauvres, même si elles sont riches en or », dit-il.

Les plateformes de dragage illégales où les mineurs travaillent des journées de 12 heures se succèdent tout le long du fleuve Nechí. Les effets de l’activité minière sont manifestes : Les eaux brunes charrient du mercure et d’autres éléments nocifs comme l’arsenic, le plomb ou le cyanure, tandis que la déforestation cause des ravages sur les coteaux. Selon les données du gouvernement, la Colombie domine le classement mondial des pays contaminés par le mercure (indispensable pour l’extraction de l’or) et Segovia est la municipalité qui enregistre les indices de contamination les plus élevés.

Les perspectives sont sombres. Les personnes affectées parlent d’un déplacement massif des mineurs traditionnels, qui se voient dépouillés de leurs terres dès lors qu’ils ne peuvent plus exercer leur métier, et aussi parce que la violence engendrée par la fièvre de l’or est devenue insupportable. Dans des régions comme Cajamarca, dans le département de Tolima (également dans l’intérieur de la Colombie), des consultations populaires ont eu lieu sur la pratique de l’activité minière et 98 % ont voté contre.

À Segovia, un accord a été conclu entre les parties mais n’a pas encore donné lieu à des changements dans la législation. Cette région, à l’instar de la sous-région de Bajo Cauca, vit une situation calme mais tendue. Une guerre de l’or point à l’horizon.

This article has been translated from Spanish.