Un nouveau regard sur de vieux problèmes : le rôle des indicateurs des ODD dans l’autonomisation économique des femmes

Les intérêts économiques et sociaux des femmes ont longtemps été relégués au second plan dans le monde du travail. Les perceptions sexistes et la faible représentation des femmes dans les processus décisionnels expliquent pourquoi le travail des femmes continue à être sous-estimé. Un changement de tendance semble toutefois se produire. De nouveaux outils sont en cours d’élaboration dans le cadre du Programme à l’horizon 2030 afin de combler le fossé entre l’élaboration des politiques et la réalité des femmes dans le monde du travail.

Malgré le fait que les indicateurs des objectifs de développement durable (ODD) sont loin d’être exhaustifs, certains seront essentiels pour éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes. En particulier, les objectifs 1.3, 5.4, 5.5, 8.3 et 8.8, à savoir la couverture de protection sociale, les soins et le travail domestique non rémunérés, la composition des organes directeurs, l’emploi informel et la couverture des négociations collectives, prévoient la collecte et la mise à jour régulière de données nationales ventilées par sexe.

Ces données sont essentielles pour mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des ODD et pour garantir la durabilité sociale de ces progrès. Elles participent à clarifier le lien entre les améliorations constatées par les gens dans leur vie quotidienne et certaines politiques concrètes.

Les syndicats et d’autres organisations représentatives de la société civile jouent un rôle crucial dans la sensibilisation aux bienfaits et aux défis que présentent certaines politiques et veillent à ce que les progrès durement acquis ne soient pas remis en cause.

L’apport de données transparentes, vérifiables et accessibles s’avère donc crucial pour renforcer ces processus de responsabilisation démocratique.

Cependant, deux ans après la mise en œuvre du Programme à l’horizon 2030, il n’en demeure pas moins que cette partie fondamentale du processus reste encore largement inachevée. Alors que les statisticiens du monde entier se réunissent à New York et à Genève pour régler les détails techniques liés à la collecte de données comparables pour 232 indicateurs des ODD dans 193 pays, le temps presse.

La mise en place de méthodologies est certes un processus technique, mais sans toutefois en garantir la neutralité. Par exemple, par nature, le débat en cours sur la méthodologie à adopter pour mesurer la couverture des négociations collectives se révèle être politique.

Bien que les conventions collectives de négociation protègent les travailleurs vulnérables contre les abus en fixant des normes minimales pour un secteur ou un lieu de travail donné, les niveaux de participation moins élevés à la négociation collective parmi les femmes peuvent aider à expliquer pourquoi les travailleuses sont davantage exposées à des conditions d’exploitation que les travailleurs masculins. Nous pouvons produire ces données, mais elles révéleront assurément certaines vérités difficiles que d’aucuns préféreraient ignorer.

Il ne s’agit pas de dépeindre un tableau idyllique, mais bien d’être honnête

En 2017, de nombreux gouvernements qui ont communiqué leurs progrès en matière d’ODD ont préféré mettre en avant leurs initiatives plutôt que de présenter une évaluation honnête de la situation dans leur pays. Les syndicats ont entrepris leur propre contrôle afin de donner un éclairage sur les progrès réels réalisés sur le terrain.

Dans le cadre de la préparation des Examens nationaux volontaires présentés par les gouvernements, les centrales syndicales nationales ont rassemblé les données disponibles qu’elles jugeaient pertinentes dans le cadre d’objectifs de développement durable spécifiques et ont fourni leur propre analyse des tendances récentes.

Ces données livraient un récit différent de celui des rapports présentés par les gouvernements et, dans certains cas, elles révélaient même une aggravation de la situation dans certains pays. Par exemple, même si les progrès en matière d’égalité des sexes au Brésil et en Argentine étaient manifestes sur une période de dix ans, les récentes coupes budgétaires dans le financement de la sécurité sociale et des projets visant à lutter contre la violence sexiste ne laissent rien présager de bon pour l’avenir.

L’Inde ne semble pas faire grand-chose non plus pour remédier aux énormes disparités salariales entre hommes et femmes ou à l’informalisation accrue des travailleuses.

Un processus efficace d’élaboration de politiques s’appuie sur les expériences vécues des personnes. Afin de faire en sorte que toutes les femmes qui travaillent puissent accéder à un travail décent d’ici 2030, conformément à l’engagement pris par les ODD, il convient de leur donner une voix dans le processus d’élaboration des politiques.

La participation des femmes au dialogue social est essentielle et il a été démontré que son intégration dans les structures d’élaboration des politiques constitue un moteur efficace de développement durable.

La société civile a non seulement pour rôle de veiller à ce que les gouvernements rendent des comptes, mais aussi d’identifier les problèmes et de proposer des solutions dans leurs domaines d’expertise. Un plaidoyer fondé sur les preuves exige un accès à de bonnes données.

C’est sur ce type de données que reposent les recherches telles que la série de la CSI sur l’économie des soins. Elle révèle que les investissements publics dans l’économie des soins portent des fruits. Ils permettent de libérer du temps qui serait autrement consacré à des responsabilités essentiellement prises en charge par les femmes. Fait crucial, ils contribuent à la reconnaissance d’un travail de soins extrêmement précieux qui, trop souvent, n’est pas rémunéré.

Une meilleure représentation des femmes

Les syndicats se sont aussi servis du type de données qui seront disponibles dans le cadre du processus du Programme à l’horizon 2030 en vue de mieux représenter les femmes. En l’utilisant pour cibler les femmes dans leurs efforts de syndicalisation, un nombre toujours croissant de femmes adhèrent à des syndicats. Cette démarche contribue à améliorer leurs conditions de travail sur leur lieu de travail.

De l’Afrique du Sud à l’Australie, les avantages liés aux congés de maternité et aux autres dispositions respectueuses de la famille trouvent de plus en plus leur place dans les conventions collectives. Au Royaume-Uni, par exemple, où la plupart des membres des syndicats sont des femmes, les femmes syndiquées gagnent de 7 à 14 % de plus que les femmes non syndiquées.

Au Burkina Faso, les syndicats s’associent à des organisations communautaires de femmes pour syndiquer les vendeuses de rue du secteur informel et les aider à accéder à la protection sociale.

Le processus des indicateurs s’essoufflant, les efforts de mise en œuvre du Programme à l’horizon 2030 sont encore déconnectés des réalités auxquelles ils visent à répondre. Les gouvernements doivent accélérer le processus des indicateurs des ODD en concrétisant leur engagement politique. Afin de parvenir à une autonomisation économique durable, les femmes doivent avoir voix au chapitre. Les gouvernements peuvent accomplir leur tâche en fournissant les outils nécessaires aux syndicats.