Les enfants roms privés du droit à l’éducation en France

Les enfants roms privés du droit à l'éducation en France

Social worker Philémon (centre) accompanies nine-year-old Darius (right) on his very first day of school on 4 September 2017.

(Eloïse Bollack)

Lundi, 8 heures du matin. Le bidonville de la Petite Ceinture dans le 18e arrondissement de Paris est encore tranquille lorsque deux travailleurs sociaux bénévoles y pénètrent. C’est le premier jour du semestre scolaire et ils viennent chercher Darius, âgé de 9 ans. Le long des voies ferrées désaffectées qui entouraient autrefois la capitale française, quelque 300 Roms vivent depuis 2015 entassés dans des abris de fortune dans ce quartier du nord de la ville, sans électricité ni eau courante.

Soudain, une porte s’ouvre et un petit garçon sort en courant.

« La nuit a été courte, je n’ai pas beaucoup dormi. Je suis vraiment impatient de retourner à l’école ! Pour la première fois de ma vie, je serai comme tous les autres enfants, » déclare Darius à Equal Times.

« L’année dernière, je suis allé à l’école pendant quelques mois. Je suis très heureux de revoir mes amis. J’aime dessiner et apprendre, » déclare-t-il avec enthousiasme. « L’école, c’est beaucoup plus amusant que de rester dans la platz [expression romani signifiant “le lieu”, en référence au campement où ils vivent]. »

Pourtant, inscrire Darius à l’école a été un véritable parcours du combattant. Arrivée en France de Roumanie en 2011, sa famille est passée d’un campement illégal à un autre, incapable de s’assurer un logement et une scolarité. En mai 2016, la commune de Saint-Ouen (située juste au nord de Paris où la famille s’installe à l’époque) refusa de l’inscrire, ainsi que quatre autres enfants roms, pour l’année scolaire suivante.

Le prétexte invoqué était que l’adresse apparaissant sur le certificat de résidence de la famille était un centre communautaire et non une adresse personnelle. Ce n’est qu’au début du mois d’octobre, après avoir obtenu le soutien du Défenseur des droits (une autorité constitutionnelle indépendante chargée de défendre les droits des citoyens) et des autorités administratives compétentes que les cinq enfants purent finalement s’asseoir dans une salle de classe.

Deux semaines plus tard, les résidents du camp étaient expulsés par la police. Pendant les mois qui suivent, la famille de Darius doit de nouveau déménager à plusieurs reprises, passant d’un hôtel social (hébergement pour sans-abri) à un autre bidonville en passant par la rue.

Finalement, sa famille s’étant installée à la Petite Ceinture, Darius peut s’inscrire dans une nouvelle école dès janvier 2017. Toutefois, les habitants du camp sont de nouveau expulsés le 22 février et les autorités placent la famille dans des logements temporaires à Saint-Denis pendant deux semaines.

« Même si l’hôtel social se trouvait à 45 minutes de l’école, nous nous sommes organisés et nous avons réussi à aller chercher les enfants dès le lendemain matin de l’expulsion. » Pour Philémon, l’un des deux travailleurs sociaux de l’association locale, Les Enfants du canal, « il était très important qu’ils ne soient pas à nouveau déconnectés de l’école, afin de pouvoir leur permettre de conserver leur routine quotidienne. Après un événement aussi traumatisant, les parents sont le plus souvent débordés par la recherche de solutions et les tentatives de réorganiser leur vie. Par ailleurs, ils sont généralement aussi désorientés que les enfants. »

Manquement à leurs obligations

En France, la scolarisation est obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans, qu’ils soient français ou nés à l’étranger, et ce, indépendamment du temps passé dans le pays.

La France compte environ 18.000 Roms vivant dans des bidonvilles et des squats. Un certain nombre d’études réalisées par des organisations de défense des droits civils montrent que 67 % des enfants vivant dans les bidonvilles ne vont pas régulièrement à l’école et que 30 % d’entre eux n’ont jamais été enregistrés, ni en France ni dans leur pays d’origine. Selon Clotilde Bonnemason, présidente du Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (CDERE), les conseils municipaux ignorent délibérément ces communautés.

« Les maires ne remplissent pas leurs obligations légales de recenser tous les enfants installés dans leur commune. Lorsque l’on habite dans un logement ordinaire, cela se fait automatiquement, mais aucun recensement ne porte sur les personnes résidant dans des squats, des bidonvilles ou dans la rue. Ils sont tout bonnement invisibles, » déclare-t-elle à Equal Times.

Sous couvert du caractère illégal et transitoire des campements, certains conseils refusent tout simplement de reconnaître la résidence des communautés roms sur leur territoire. Bon nombre d’entre eux affirment que le danger d’expulsion imminente constituerait une perturbation du processus éducatif.

D’autres mesures dissuasives ont également été signalées. Les carnets de vaccination sont considérés comme périmés et les enfants roms n’ont souvent pas les moyens de payer des repas scolaires, car l’absence de preuve de résidence ou de contributions fiscales de leurs parents signifie qu’ils ne sont pas admissibles aux prestations sociales. Par ailleurs, les enfants roms sont souvent inscrits dans des écoles éloignées de chez eux, ce qui entraîne des frais de transport prohibitifs.

Dans le cadre du programme Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A) mis en œuvre par le Ministère de l’Éducation en 2012, les enfants ne parlant pas le français doivent être placés dans des classes spéciales.

« C’est précisément parce que les communes ne recensent pas les enfants et parce qu’elles n’anticipent pas les besoins et qu’elles ne demandent pas l’assistance du Ministère pour les aider à mettre en œuvre ces programmes éducatifs spéciaux. Et ensuite, elles se plaignent de ne pas disposer de la capacité d’accueil. Il y a un effet domino, » explique Bonnemason.

Sur les quelque 100 enfants qui vivent actuellement dans la communauté de la Petite Ceinture, par exemple, seuls cinq sont inscrits à l’école et 23 dossiers sont en attente. Cela tient principalement à la possibilité d’une expulsion imminente du campement ; une décision qui est attendue depuis la fin du mois d’août. Les organisations de défense des droits civils supposent que les expulsions se produiront probablement avant l’hiver, peut-être le 15 novembre. Il s’agirait alors de la cinquième fois en deux ans que les résidents de la Petite Ceinture sont expulsés.

« Nous sommes épuisés »

« Je suis heureuse que mes enfants aillent à l’école. Cela leur donnera une chance de s’intégrer dans la société et de trouver un bon travail, » déclare Elena, la mère de Darius, à Equal Times. « Mais je ne sais pas ce qui se passera si nous sommes à nouveau expulsés. Nous serons déplacés d’un bout à l’autre de la région toutes les deux semaines, sans aucune visibilité. Nous sommes épuisés. »

Selon un recensement réalisé par la Ligue des droits de l’homme et le Centre européen pour les droits des Roms, avec le soutien du Collectif national droits de l’homme Romeurope, en France, au cours du premier semestre de 2017, 4382 Roms ont été expulsés de 50 campements pour des raisons de sécurité et d’hygiène. Cinquante-neuf pour cent de ces expulsions se sont produits dans la Région Île-de-France.

Les expulsions à répétition des communautés roms perpétuent le cercle vicieux de la pauvreté et de la marginalisation tout en perturbant les démarches sociales ou administratives en cours telles que celles liées aux soins, à l’éducation et à l’emploi.

Certaines communes refusent d’annoncer la date de l’expulsion, ce qui ne laisse pas assez de temps aux habitants pour s’y préparer. Dès que la police arrive sur les lieux, les résidents doivent partir immédiatement. S’ils perdent les quelques documents administratifs qu’ils ont difficilement pu obtenir, ils doivent tout recommencer à zéro.

« La plupart du temps, les autorités ne proposent des alternatives de logement que pour une à quatre semaines, » explique Philémon. « Ils envoient des communautés dans plusieurs refuges pour sans-abri, parfois très éloignés et sans transport public. »

En outre, ces refuges appliquent des restrictions qui ne conviennent pas toujours aux familles sans abri. En effet, on ne peut y apporter que très peu d’effets personnels, il est strictement interdit de cuisiner à l’intérieur et il n’y a pas de réfrigérateurs.

Depuis le mois d’août 2012, suite aux inquiétudes exprimées par l’Union européenne, une « circulaire interministérielle » exige désormais que toutes les évacuations des bidonvilles soient annoncées et suivies par les autorités locales compétentes. Toutefois, les organisations de défense des droits civils affirment que ces recommandations sont rarement mises en œuvre.

Les villes de Strasbourg, Toulouse et Ivry ont toutes réussi à éliminer les bidonvilles roms locaux, prouvant ainsi que l’intégration est possible lorsque des logements stables sont fournis, que les enfants sont inscrits à l’école et que les adultes reçoivent une formation professionnelle, des cours de langue et un soutien pour trouver du travail.

« Le principe fondamental de départ était que nul n’est censé vivre dans l’espace public. Depuis 2008, et en partenariat avec plusieurs associations, nous avons noué des liens avec ces communautés afin de comprendre leurs besoins, » explique Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire et responsable de la solidarité de la Mairie de Strasbourg.

De tels processus d’intégration exigent du temps, de la volonté politique et des moyens financiers. La plupart des maires des villes ou des municipalités affirment en outre que ce travail relève de la responsabilité de l’État et non des autorités municipales.

Cependant, selon des groupes de protection des droits, le coût estimé d’une seule expulsion ou démolition est estimé entre 150.000 et 230.000 euros. Dans le même temps, les projets d’intégration communautaire coûtent environ 150.000 euros par an.

« Les politiciens et le grand public doivent comprendre qu’il ne s’agit pas d’un “problème de Roms”, mais bien d’une problématique liée aux logements insalubres et à l’insécurité économique, » déclare Bonnemason. « Le fait que les gens s’identifient comme “Roms” ne devrait pas justifier toutes les difficultés qu’ils doivent endurer. »