L’Europe accorde cinq ans de sursis au très controversé herbicide glyphosate

L'Europe accorde cinq ans de sursis au très controversé herbicide glyphosate

Representatives of the European citizens’ initiative “Stop Glyphosate” call on the European institutions to ban this agrichemical.

(EC-Audiovisual Service/Jennifer Jacquemart)

« Le glyphosate sera le dernier clou dans le cercueil de Bruxelles. » Voilà les propos sans équivoque qu’a exprimés la députée européenne tchèque Kateřina Konečná à la Commission de l’environnement du Parlement européen quelques heures après l’approbation par l’Union européenne de l’utilisation de ce produit chimique pour cinq années supplémentaires.

L’annonce vient mettre un point d’orgue à une bataille où se mêlent les intérêts privés de multinationales, les tactiques politiques et la santé des citoyens européens.

L’herbicide en cause, le glyphosate, est le plus utilisé au niveau mondial dans la protection des cultures. Il est utilisé depuis les années 1970 et fut autorisé pour la première fois par l’Union européenne en 2002 (il relevait, jusque-là, de la compétence des pays membres).

Le volume estimé de glyphosate consommé dans le monde atteignait 747.000 tonnes en 2014. Bien que majoritairement destiné à l’agriculture, il est également très utilisé dans les jardins publics et par les particuliers. Son inventeur et principal fabricant est la multinationale américaine Monsanto, qui le commercialise sous le nom de marque Roundup, son produit phare et l’un des piliers de ses revenus commerciaux au niveau mondial.

Cette substance éveille les soupçons depuis la publication d’un rapport en 2015 par l’Agence internationale de recherche sur le cancer (AIRC) alertant à ses possibles effets cancérigènes chez les êtres humains.

Alors que la licence européenne relative à son utilisation était sur le point d’expirer, en 2016, la Commission a proposé sa reconduction. Les pays membres ont, cependant, manqué de parvenir à un accord, dû à la contradiction surgie entre l’AIRC et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), qui a certifié que le glyphosate était sûr.

Cependant, en septembre dernier, un article publié dans The Guardian est venu remettre en cause l’indépendance des études de l’AESA.

« D’importantes sections du rapport de l’UE sur le risque potentiel pour la santé humaine et l’environnement ont été tirés, mot pour mot, de la demande de renouvellement de la licence du glyphosate émanant de Monsanto », a expliqué à Equal Times Franziska Achterberg, la directrice des politiques alimentaires de Greenpeace-Europe.

« Là où les fabricants affirmaient qu’une étude « n’était pas digne de confiance » et « n’était pas pertinente » pour l’évaluation de l’UE sur le glyphosate, les chercheurs scientifiques de l’UE procédaient à un copier-coller de ces conclusions », a-t-elle souligné.

Une polémique similaire a éclaté au grand jour en mars, aux États-Unis, lorsqu’un juge a déclassifié des courriers électroniques en provenance d’exécutifs de Monsanto qui laissaient supposer que la multinationale avait elle-même rédigé des rapports d’études sur le glyphosate subséquemment attribués à des chercheurs indépendants et qu’un fonctionnaire de l’Agence de protection environnementale (APE) leur a promis de retarder une évaluation du produit par le Département de la Santé.

Il fut alors décidé de prolonger la licence jusque décembre 2017, et ce en l’absence d’un accord entre les pays membres de l’UE. Pendant ce temps, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) fut chargée d’émettre un nouveau verdict sur la dangerosité du glyphosate en tant que substance chimique.

En mars 2017, l’agence déclarait ne pas avoir trouvé de preuves attestant qu’il était cancérigène.

La Commission européenne a repris les négociations en vue du renouvellement de la licence du glyphosate pour dix années supplémentaires. Dans le même temps, une initiative citoyenne appuyée par des ONG et d’autres organisations a recueilli plus d’un million de signatures dans le cadre d’une pétition pour l’interdiction du produit dans toute l’Union européenne.

Conformément à ce que prévoit la normative européenne, les promoteurs de l’initiative ont été reçus par la Commission et ont pu plaider leur cause lors d’une audition publique du Parlement européen, en novembre dernier.

Or le eurodéputés, eux, s’étaient déjà prononcés sur le glyphosate en octobre. Leur décision non contraignante en recommandait l’interdiction progressive, en vue de son élimination totale pour 2022.

Ils ont en outre indiqué qu’il était nécessaire que le mécanisme communautaire d’autorisation de produits soit basé uniquement sur des études publiées, indépendantes et évaluées par des experts eux-mêmes désignés par les autorités compétentes.

Volte-face de l’Allemagne

En dépit de la recommandation du Parlement, le 27 novembre dernier, les pays membres ont fini par approuver le renouvellement de la licence du glyphosate pour cinq années de plus, et ce suite à une volte-face controversée de l’Allemagne.

Le ministre allemand de l’Agriculture, Christian Schmidt, a décidé de voter en faveur du renouvellement, envers et contre les instructions d’abstention de son propre gouvernement. La manœuvre a indigné les sociaux-démocrates et les écolos allemands et est venue compliquer encore davantage les efforts de négociation de la chancelière allemande Angela Merkel en vue de la formation d’un gouvernement de coalition suite aux élections de septembre 2017. Entre temps, le géant chimique et pharmaceutique allemand Bayer prévoit d’acquérir Monsanto au début de 2018.

L’approbation a suscité un soulagement auprès du secteur agraire qui dépend de cet herbicide pour le maintien de la production et des coûts actuels. « Nous espérons qu’au cours de ces cinq années, nous puissions mettre en évidence la nécessité de ce produit qui, comme nous l’avons si souvent souligné, est absolument indispensable », étant donné qu’il n’existe pas en ce moment-même d’alternatives à cet herbicide, a déclaré lors d’un entretien avec Equal Times Ricardo Serra, président de l’Association espagnole des agriculteurs ASAJA Andalucía.

« Les gens ne se rendent pas compte de la transcendance que pourrait avoir [l’interdiction du glyphosate], y compris pour eux-mêmes, car cela supposerait un enchérissement très important de la production agraire », a-t-il signalé.

D’après Franziska Achterberg, « l’utilisation massive de pesticides dans l’agriculture a donné aux entreprises agrochimiques comme Monsanto, Syngenta et Bayer un pouvoir sans précédent qui a piégé les agriculteurs dans une relation extrêmement onéreuse ».

« En tant qu’agriculteurs, nous nous servons de ces produits parce qu’ils sont nécessaires et parce que le public, qui se montre de plus en plus exigent, demande des prix bas et des produits optimaux », explique Serra.

« Il est impossible d’obtenir un produit optimal qui, de surcroît, ne soit soumis à aucun traitement, car il n’y a aucun moyen de contrôler les insectes et les mauvaises herbes sans un contrôle de ce type et il va sans dire qu’il n’est pas possible d’y parvenir manuellement. »

Nonobstant, la députée européenne française Karima Delli, du parti Europe écologie les verts, a souligné que « le glyphosate associé à l’agriculture intensive appartient à un modèle du passé où la productivité à outrance est en train de tuer jusqu’aux agriculteurs eux-mêmes. Aujourd’hui, nous devons nous tourner vers une agriculture biologique et raisonnée, respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs. C’est ça l’avenir, car c’est là que se trouve la clé pour [avoir] des produits de qualité. »

Interdictions en Europe et aux États-Unis

Pour madame Delli, cette autorisation « est un mauvais pari parce que d’ici cinq ans, nous nous verrons à nouveau confrontés au même problème ».

De fait, bien que son utilisation soit autorisée au niveau communautaire, le président français Emmanuel Macron a d’ores et déjà annoncé que le glyphosate serait interdit en France au plus tard dans trois ans. L’Italie maintient quant à elle des seuils d’utilisation 25% inférieurs à ceux établis par l’UE et prévoit son retrait total pour 2020. Aux États-Unis, en juin dernier, la Californie a inscrit le glyphosate dans sa liste officielle des produits cancérigènes.

« Le glyphosate est un exemple de plus de la confiance inappropriée placée dans des substances chimiques supposément bénignes qui se sont avérées malignes », explique Franziska Achterberg, qui cite pour exemple le DDT.

« Si nous prenons au sérieux la protection de notre santé et de l’environnement, nous avons besoin d’un changement plus radical que la substitution d’un produit chimique par un autre. »

En attendant, les cultures européennes continueront d’être traitées au glyphosate pour encore cinq ans au moins.

This article has been translated from Spanish.