Deux Honduras irréconciliables et une tentative de dialogue après la crise postélectorale

Deux Honduras irréconciliables et une tentative de dialogue après la crise postélectorale

Swearing in of President Juan Orlando Hernández.

(Prensa Casa Presidencial de Honduras)

Un Honduras, celui de la résistance, de la douleur et de la misère, proteste dans la rue. Le bilan de sa colère (à la mi-janvier) : 71 manifestations citoyennes et 31 morts officiellement déclarées ; l’autre, institutionnalisé, au pouvoir, entrait en fonctions le 27 janvier dernier. Les différences entre les deux : apparemment irréconciliables. Le sentiment de fraude, la réélection et la violence ne font qu’attiser les divergences d’un dialogue mené sous les auspices des Nations Unies et soutenu uniquement par le Honduras institutionnel. Irréconciliables… le dialogue pourrait de fait avoir pour conséquence de laisser l’impunité à ce que le Honduras de la résistance nomme « une continuité du coup d’État de 2009 ».

Le rapport préliminaire de la Mission d’observateurs électoraux de l’OEA du 4 décembre 2017 indiquait : « La nuit de l’élection, les citoyens n’ont pas reçu d’information officielle du Tribunal suprême électoral [TSE] concernant le décompte des suffrages jusqu’à 01h30 du matin du lundi 27 novembre. Pour cette raison, les sondages à la sortie des urnes ont mobilisé l’attention des médias, donnant lieu à une guerre des résultats où deux candidats se déclarèrent vainqueurs. La Mission [des observateurs électoraux de l’OEA] a recommandé au TSE de divulguer les résultats disponibles et lors d’une conférence de presse, le président Matamoros a annoncé les votes obtenus par chaque candidat présidentiel sur la base de 57,18% des suffrages. Juan Orlando Hernandez, candidat du Partido Nacional avait, à ce moment, obtenu 761.872 votes (40,21%) contre 855.847 votes (45,17%) pour l’Alliance d’opposition à la dictature (Alianza de Oposición Contra la Dictadura). »

Selon les conclusions de ce rapport, « la marge étroite des résultats, de même que les irrégularités, erreurs et problèmes systémiques qui ont entouré cette élection ne permettent pas à la Mission de disposer de certitude concernant les résultats ».

Nonobstant, le Honduras a vu comment, au milieu d’une incertitude complète, Juan Orlando Hernandez a renouvelé son mandat présidentiel le 27 janvier, au mépris des résultats du scrutin rendus publics à l’aube du 27 novembre 2017. Le Honduras rouvrait à cet instant l’une des pages les plus sombres de son histoire. Un peuple mobilisé dans la rue revendiquant ses droits et la démocratie et une armée de policiers déployée pour contenir les protestataires.

« Il est important de relever le lien de continuité qui existe entre l’actuelle crise politique électorale et le coup d’État [de 2009]. Ce qui est survenu à l’issue de l’élection de novembre et ce à quoi nous assistons à présent est le résultat du non-dépassement du coup d’État », a avancé Joaquín Mejía, défenseur des droits humains de l’Équipe de réflexion, recherche et communication de la Compagnie de Jésus (ERIC-SJ) et membre de Radio Progreso – reconnue par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) comme l’une des voix les plus critiques du processus électoral.

D’après Mejía, il existe quatre points communs entre la crise de 2009 et celle 2017, en clair : « Les deux élections étaient précédées d’une rupture de l’ordre constitutionnel. » En 2009, un coup d’État a conduit à la destitution du président de l’exécutif, Manuel Zelaya. En 2017, c’est un coup d’État contre la souveraineté populaire auquel on a assisté. Toujours d’après Mejía, cinq juges auraient modifié l’article de loi qui proscrit la réélection et, ce faisant, ont usurpé la souveraineté populaire, et ce sans même disposer des compétences requises.

À quoi il faut ajouter que « les deux élections ont été conditionnées par une mainmise absolue des pouvoirs illégitimes sur les institutions démocratiques », notamment en 2009, par le gouvernement de facto, et en 2017, moyennant une concentration du pouvoir et un contrôle et une subordination absolus de toutes les institutions démocratiques au pouvoir exécutif. « Il existe un réseau de faveurs et d’influences entre toutes les institutions », explique Mejía.

« Sans oublier les niveaux élevés de méfiance citoyenne », poursuit le défenseur des droits humains. En 2009, cette méfiance était le résultat du coup d’État. En 2018, selon un sondage d’opinion de l’EIRC-SJ du 30 janvier 2018, 77,1% de la population ne confiait pas dans le Tribunal suprême électoral, 71,2% ne confiait pas dans le gouvernement central et 72,8% ne confiait pas dans la Cour suprême de justice.

Enfin, souligne Mejía, il ne faut pas oublier le rôle joué par les États-Unis dans cette crise, qui a rapport avec la militarisation.

D’après lui, en 2009, « ce pays fut le seul à ne pas condamner le coup d’État et à soutenir un dialogue qui a fini par donner de la légitimité au putsch et à laisser l’impunité aux putschistes ». En 2017, les États-Unis ont manqué de condamner ce qui finirait par être démontré comme une fraude électorale et a soutenu un dialogue qui pourrait donner de la légitimité à cette fraude présumée et à la réélection du président, selon l’ERIC-SJ. D’après cette organisation, les forces armées et l’ambassade des États-Unis seraient en train de soutenir le pouvoir militaire hondurien, de même que la nomination d’amis et proches du président à des postes-clés du pouvoir.

Derrière les tranchées : Les victimes de la crise postélectorale

Dans son troisième rapport sur la crise électorale rendu public le 15 janvier, la Commission nationale des droits humains a fait état de 31 morts, de 71 manifestations et de 182 plaintes pour violations de droits. Dans un communiqué de presse du 6 février, la même Commission a réitéré la persistance du recours immodéré à la force, aux tirs de gaz lacrymogène et à la « stigmatisation des personnes » (simples citoyens ou activistes) par les forces de police.

Pour sa part, la Coalition contre l’impunité, qui regroupe en son sein 58 organisations, a présenté un rapport intitulé Honduras : Surveillance des violations de droits humains dans la conjoncture de fraude électorale, qui fait état de 33 morts et de 64 cas de harcèlement, de menaces, y compris menaces de mort, par la Force de sécurité interinstitutionnelle nationale (FUSINA), la Police militaire de l’ordre public (PMOP), les Forces armées du Honduras et le Secrétariat de la sécurité, qui se trouvent toutes sous la coupole de la Police nationale et de la Direction nationale de la police chargée des investigations.

Il convient de souligner que depuis le 28 janvier dernier, Mejía, une des sources de cette chronique, a été placé sous les mesures de protection de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, face au risque imminent de menaces de mort contre lui-même et les membres de sa famille en rapport avec son travail dans le cadre du processus électoral.

Selon Mejía, les figures publiques reconnues par les médias et les organisations internationales jouissent d’un degré de protection cependant que les leaders communautaires et paysans dont les morts (« réduites au silence » pour cause de leur faible « notoriété ») grossissent les rangs des victimes ciblées dans le but d’étouffer les mouvements populaires.

Les éléments irréconciliables du dialogue : La réélection, la fraude et la violence

Du 6 au 9 février, une mission exploratoire des Nations Unies a été dépêchée au Honduras, chargée d’entreprendre une évaluation et de conduire un processus de dialogue en vue d’une résolution de la crise postélectorale.

Omar Rivera, coordinateur en charge du plaidoyer et de l’incidence politique de l’Association pour une société plus juste (ASJ/TI), branche de Transparency International au Honduras – membre de la Plateforme citoyenne pour le Honduras, une coalition de 200 organisations de la société civile, de l’Église et du secteur privé – a manifesté le soutien de cette plateforme pour le dialogue et signalé l’importance pour les Nations Unies de désigner un médiateur qui inspire la crédibilité et la confiance auprès de tous les secteurs. Parmi les candidatures reçues par la plateforme à ce jour figurent les noms de cinq ex-présidents d’Amérique centrale.

« Nous considérons qu’il est extrêmement important de faire progresser le dialogue sur huit grandes thématiques qui incluent les réformes politico-électorales, la démocratisation du pouvoir, les droits humains, les libertés individuelles, le modèle de développement social et l’investissement étranger inclusif. Le thème électoral, bien qu’important, n’est pas le seul et c’est en ça que nous nous distinguons des autres secteurs », a-t-il souligné.

Pour la plateforme, le modèle de dialogue en question doit se baser sur l’établissement d’unités de travail qui cristallisent des accords et des politiques d’État en même temps qu’ils établissent des mécanismes qui garantissent la continuité des accords et politiques en question. La différence avec les processus de dialogue antérieurs se situe, selon l’avis de la plateforme, dans la participation d’acteurs politiques majeurs, ainsi que dans le soutien et la crédibilité conférés par les instances internationales sous les auspices desquelles se déroule ce processus, y compris les Nations Unies.

D’autre part, José Manuel Zelaya, actuel coordinateur du Partido Libre (membre de l’Alliance d’opposition à la dictature en lice aux élections) et ancien président destitué à l’issue du coup d’État au Honduras en 2009, a souligné que son parti n’envisageait pas de dialoguer avec le gouvernement et tablait sur une médiation internationale.

« Nous n’acceptons aucun dialogue avec le président actuel car nous estimons qu’il usurpe la présidence dès lors qu’il a perdu les élections ; nous sommes uniquement prêts à accepter une médiation où nous puissions choisir les médiateurs, où nous disposions d’un droit de véto sur les médiateurs, une médiation à caractère contraignant qui ait force de loi », a expliqué Zelaya dans un entretien avec Equal Times.

La délégitimation des processus de dialogue par l’opposition et les défenseurs des droits humains est un fait, reconnait Mejía. Et derrière cette délégitimation se trouve non seulement le dialogue amorcé en 2009, qui a fini par accorder de la légitimité au coup d’État tout en laissant les putschistes impunis – « malgré les conclusions de crimes de lèse-humanité rendues par la Commission vérité et réconciliation » – mais aussi les manifestations du mouvement des indignés, en 2015, qui se sont soldées par un échec fracassant.

La toute dernière manifestation de la polarisation qui marque cette crise ouverte date du 12 février, quand le Palais présidentiel a publié un communiqué accusant l’Alliance d’opposition à la dictature de s’être alliée avec « Mara MS-13, le crime organisé et les narcotrafiquants » pour, toujours selon le communiqué, « voler l’élection ». Dans sa note, le cabinet présidentiel a mis en cause les leaders de l’opposition Manuel Zelaya et Salvador Nasralla pour ne pas s’être réunis avec la mission des Nations Unies.

Selon Juan Orlando Hernández, « les deux hommes auraient refusé de se réunir avec la mission dès lors qu’ils se sont rendus compte que, sur la base des conventions internationales, l’organisation mondiale allait examiner ‘les faits survenus lors des élections honduriennes eu égard aux liens avec les maffias, les gangs et le crime organisé’ et comment les actes d’intimidation commis par ceux-ci agissent directement en faveur de l’Alliance d’opposition », indique le communiqué de la présidence.

Equal Times a tenté de joindre le Palais présidentiel pour obtenir des déclarations officielles et a reçu des communiqués et des photos en retour. Cependant, les questions spécifiques adressées aux chargés de presse du président Hernandez – concernant son entrée en fonctions – sont restées sans réponses.

Zelaya et Mejía ont tous deux pointé le rôle des États-Unis dans la crise hondurienne (ingérence directe) et ont concordé à signaler que le soutien politique de ce pays cherchait à légitimer la fraude électorale. Dans ce contexte et contrairement à l’OEA et d’autres organisations internationales qui ont évoqué les irrégularités du processus électoral, l’ambassade des États-Unis a diffusé un communiqué le 4 décembre où elle a souligné les efforts de « transparence » dans le cadre du scrutin et fait montre de complaisance à l’égard des autorités honduriennes.

This article has been translated from Spanish.