Développée au Bénin, une nouvelle technologie pourrait révolutionner la prise en charge dans les hôpitaux africains

Développée au Bénin, une nouvelle technologie pourrait révolutionner la prise en charge dans les hôpitaux africains

During a check-up at the Sopha d’Abomey-Calavy clinic in Cotonou, Benin, Dr Boris Adjovi scans a patient’s QR code, which gives access to her medical records, 15 July 2018.

(Achille Fatondji)

Comment garantir à tous les Africains un accès facile et équitable à des soins de qualité ? C’est la question que s’est posée une jeune femme médecin béninoise, Vèna Arielle Ahouansou qui, à seulement 25 ans, a créé l’application ambitieuse Kea Medicals. Elle dirige, à travers sa start-up du même nom, une équipe de 15 autres jeunes professionnels, aux compétences variées : médecins, informaticiens, développeurs, spécialistes en communication et en marketing ; et dont la moyenne d’âge est également de 25 ans.

L’idée lui est venue d’une douloureuse histoire vécue. Alors qu’elle était encore étudiante en médecine, Vèna Arielle Ahouansou raconte qu’elle a reçu un jour, dans un centre de santé au Bénin, une jeune femme prénommée Charlotte qui venait de donner naissance à des jumeaux. « Malheureusement, son accouchement a été compliqué par une hémorragie. La jeune maman avait besoin d’une transfusion sanguine en urgence et il fallait connaitre son groupe sanguin. Charlotte avait pourtant déjà fait un examen deux fois auparavant, mais l’information restait introuvable. Il a fallu perdre 10 minutes environ pour refaire un groupage sanguin. Mais c’était trop tard, les minutes perdues lui ont été fatales », se souvient-elle.

Marquée par le sort de cette patiente, Vèna Arielle Ahouansou décide de développer en octobre 2016, avec un investissement de 1.000 dollars US, un système permettant de communiquer plus facilement les données médicales pour une prise en charge plus rapide en cas d’urgence.

Aujourd’hui, sa start-up offre plusieurs services, dont les principaux sont la possibilité de consulter en ligne et la création d’une l’Identité Médicale Universelle (IMU), une sorte de fiche de renseignements, unique à chaque patient. Comment cela fonctionne ? Les patients créent leur compte sur la plateforme en fournissant des informations de base telles que : identité, allergies connues, maladies chroniques, groupe sanguin, etc.

Après l’enregistrement, chaque patient reçoit son signature IMU sous forme de code-barres de type QR. Celui-ci peut être imprimé sur différents supports : bracelets, patchs, cartes et autres objets portables. Ainsi, au besoin, le médecin aura juste besoin de scanner le QR code du patient en quelques secondes pour remonter l’historique médical de ce dernier. Finies les pertes de temps.

« Au lieu de soigner peut-être une centaine de patients par jour en restant dans un hôpital, je veux [avec le réseau de médecins participants] pouvoir sauver la vie de millions de patients à travers l’Afrique. Avec Kea Medicals on n’est plus spectateur impuissant d’un accident de circulation, on peut rapidement scanner le QR code de l’accidenté pour ainsi découvrir son identité afin de vite alerter ses proches ou l’hôpital », déclare Vèna Arielle Ahouansou qui, pour le choix du nom, a voulu rendre hommage à son père, Karl Emmanuel Ahouansou (KEA), avec ses initiales.

Les ambitions du Bénin pour la e-santé

Malgré les efforts des responsables politiques et des acteurs de la santé, l’état des lieux du système hospitalier béninois n’est pas aujourd’hui reluisant. Il continue de manquer de moyens humains et techniques, et les patients ne sont pas toujours satisfaits des soins reçus, surtout dans les centres publics de santé.

Un moment passé avec les patients permet de s’en rendre compte. Un matin, à la porte du service des urgences de l’un de ces centres, une dame prénommée Sonia se trouve dans un état de vive lamentation, avec sa fillette à peine bien nouée à son dos. Difficile pour elle de s’exprimer, mais elle lâche tristement le cœur meurtri : « Elle est morte ». Sa mère vient en effet de rendre l’âme, après plusieurs heures de crise cardiaque, faute de prise en charge rapide dû en partie à l’absence de médecin. « Nous sommes arrivés dans cet hôpital à 5 heures du matin et ce n’est qu’à 10 heures que notre cas a été pris en compte, après de longs moments de va-et-vient. Si l’accueil était intervenu plus vite, ma mère serait encore en vie » a laissé entendre Sonia, affaiblie et déboussolée. Ce triste sort frappe plusieurs autres patients, qui souvent pauvres n’ont pas les moyens de fréquenter les centres privés.

Pour pallier toutes ces difficultés un vent de réformes souffle depuis un moment au Bénin. Le Gouvernement du Bénin affiche sa volonté d’amélioration les conditions socio-sanitaires des populations béninoises. Avec le soutien de la banque mondiale, le Bénin a mis en œuvre de 2012 à 2017 un vaste projet de renforcement de la performance du système de santé (PRPSS) dont les objectifs sont notamment : l’amélioration de la performance des centres de santé à travers le Financement Basé sur les Résultats (FBR) et l’amélioration de l’accessibilité financière aux services de santé, via le Fonds Sanitaire des Indigents.

Ce projet a été mis en place dans 5 zones sanitaires, au profit de 104 centres de santé principaux, 66 centres satellites, 5 hôpitaux de zone et 5 équipes de district. Cela a permis d’améliorer la motivation du personnel et de renforcer le plateau technique des centres bénéficiaires du projet. Depuis 2008, le Bénin a également lancé le Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU). Il s’agit d’un Système de couverture sociale maladie destiné à protéger l’ensemble des populations béninoises contre les conséquences du risque maladie.

D’ici 2025, le Bénin ambitionne de disposer d’un système de santé performant et accessible à toutes les catégories de populations. La valorisation des ressources humaines ainsi que le développement de la e-santé, à travers les technologies de l’information, figurent en bonne place dans le programme d’action du gouvernement. C’est là que Kea Medicals peut trouver un terrain pour se développer et faire des prouesses.

Possibilité de se faire consulter en ligne

La start-up Kea Medicals a mis à disposition une application mobile du même nom (Kea Medicals), qui réduit la distance entre le patient et le médecin. Des médecins de différentes spécialités sont mis en réseau pour fournir l’expertise médicale dont a besoin le patient quel que soit sa localisation. 58.300 patients et 1800 professionnels de santé utilisent aujourd’hui Kea Medicals dans différents pays africains dont le Bénin, le Congo, le Gabon, la Côte d’Ivoire et le Niger. Un réseau physique de distribution est formé en partenariat avec une trentaine de pharmacies et 13 hôpitaux en phase pilote au Bénin.

Sur la question de savoir comment elle arrive à gagner la confiance de ses partenaires, Arielle répond : « Il suffit de montrer les possibilités qu’offre Kea Medicals et de vanter ses succès face aux incrédules. Ce n’est pas toujours facile sachant que beaucoup ne se sont pas encore familiarisés avec les technologies de l’information et de la communication, mais cela ne nous limite pas ». Dans l’ensemble, les médecins et les patients qui ont déjà expérimenté Kea Medicals expriment de bonnes impressions. Rencontré dans une clinique de la capitale économique du Bénin, le docteur Boris Adjovi trouve que Kea Medicals est un outil innovant et permet de résoudre des problèmes liés aux antécédents médicaux des patients qui ne sont pas toujours bien fournis. « De ce point de vue, la tâche du médecin est facilitée », confie-t-il. La satisfaction se lit également sur le visage des patients.

« Depuis quelques mois que j’ai commencé par utiliser Kea Medicals, je perds moins de temps dans les explications à fournir au médecin et on s’occupe plus vite de moi » se réjouit Diane, une patiente venue en consultation le jour du reportage d’Equal Times.

Pour son approche innovante, Kea Medicals a d’ailleurs remporté plusieurs prix. Citons entre autres, le Prix FUTUR E.S in Africa du projet le plus innovant et à fort impact sociétal pour l’Afrique, sélectionné lors d’une compétition ayant réunie au Maroc en 2018, 30 start-up finalistes venant entre autres du Cameroun, de l’Afrique du Sud et du Kenya. Vèna Arielle Ahouansou a été lauréate 2018 du prix Tony Elumelu de l’entrepreneuriat, lauréate du Women In Africa Entrepreneur Club 2017. Elle est classée dans le Top 20 des femmes africaines les plus prometteuses. Le programme Moremi basé au Ghana classe également Arielle parmi les 25 jeunes femmes de moins de 25 ans les plus influentes d’Afrique.

This article has been translated from French.