Des pilules adaptées à vos gènes : la révolution médicale qui se prépare

Des pilules adaptées à vos gènes : la révolution médicale qui se prépare

Genyo genomics unit in Granada, one of the most advanced oncological research centres in Spain.

(María José Carmona)

On sait depuis l’époque d’Hippocrate que le cancer est une maladie silencieuse. Toutefois, malgré sa capacité à se camoufler, on sait désormais qu’il laisse aussi des traces. Lorsqu’une cellule tumorale se développe et infecte d’autres tissus ou lorsqu’elle meurt, une partie de son information génétique est libérée dans le sang. Cette maladresse est fatale parce qu’elle laisse des indices à travers le corps.

L’équipe du Dr Luis Javier Martínez a pour mission de les trouver. Dans son unité de génomique, au sein du centre de recherche Genyo à Grenade, son équipe piste ces gènes intrusifs partout dans le sang. Grâce à ces gènes, ils sont à même de déterminer l’apparence d’une tumeur, si elle croît ou décroît, si elle réagit aux médicaments ou si la dose doit être modifiée. Et tout ceci sans qu’il soit nécessaire de procéder à une ponction et de prélever un morceau de tissu. Une analyse de sang suffit.

« La biopsie solide constitue une intervention très invasive et, selon l’endroit où se trouve la tumeur, il peut même s’avérer impossible de la pratiquer. C’est la raison pour laquelle cette nouvelle technique — la biopsie liquide — est si révolutionnaire », explique la professeure Rosario Sánchez, chercheuse principale de Genyo.

Nos gènes sont la pierre de Rosette de cette médecine du futur qui est actuellement testée dans des laboratoires comme celui-ci, où les éprouvettes coexistent avec d’énormes serveurs informatiques. Le développement des technologies facilite la mise au point de techniques de plus en plus précises. Et ce, à une vitesse inimaginable. En 2003, il avait fallu 13 ans à 37 laboratoires du monde entier pour déchiffrer le génome humain. « Aujourd’hui, nous pouvons séquencer un génome ici même en une seule journée », explique le Dr Martínez, le responsable de cette unité.

Grâce à ces informations, nous savons maintenant quels sont les gènes qui nous prédisposent à certaines maladies, mais nous avons aussi découvert que nous ne répondons pas tous de la même façon aux traitements et que le même antibiotique pour la même infection peut vous faire du bien ou non, en fonction de votre génétique.

La nouvelle médecine personnalisée ou de précision s’appuie sur cette idée. Au lieu d’attaquer la maladie à l’aveuglette, elle recherche des indices génétiques — aussi appelés biomarqueurs — afin de donner à chacun le médicament qui lui convient le mieux. « Le but est de regrouper les patients selon leur profil génétique. De cette façon, nous pouvons aussi prévenir les pathologies plus tôt et réaliser un meilleur diagnostic précoce », explique Prof. Sánchez.

Pour l’instant, l’oncologie est en première ligne de la recherche, mais elle s’étendra bientôt au diabète ou à la maladie de Parkinson. Le principe est que dans un avenir pas trop lointain, les médecins utiliseront toutes les informations relatives à notre génome en parallèle à notre dossier médical. Qu’ils soient en mesure de réussir du premier coup grâce au traitement le plus adapté et qu’ils sachent quelles maladies nous menacent, aussi silencieuses soient-elles.

Une médecine révolutionnaire et universelle ?

Déjà, 30 % des médicaments approuvés en 2017 reposent sur des informations génétiques. Autrement dit, ils ciblent certaines mutations ou protéines spécifiques de notre ADN. La question est de savoir si, en plus d’être plus précise, cette nouvelle médecine sera également universelle ou si ces traitements révolutionnaires seront uniquement réservés à une partie de la planète.

Le Forum économique mondial lui-même a déjà exprimé des réserves : « La médecine de précision exige des technologies sophistiquées qui ne sont pas disponibles dans de nombreuses régions du monde. Potentiellement, les inégalités en matière de prestations de santé entre les pays et les groupes socio-économiques pourraient s’accroître. »

Ses craintes ne sont pas sans fondement étant donné qu’aujourd’hui, deux milliards de personnes, soit plus d’un tiers de la population mondiale, n’ont même pas accès aux médicaments essentiels.

Farmaindustria, l’Association nationale espagnole de l’industrie pharmaceutique, reconnaît que les nouveaux médicaments « ne seront plus utilisés par des centaines de milliers ou des millions de patients, mais par beaucoup moins, si bien que leur prix sera plus élevé ». Surtout parce que « le processus de recherche et de développement est long et coûteux ». Malgré cela, ils concèdent qu’il faudra chercher de nouvelles formules pour les financer.

« La médecine de précision peut représenter un investissement initial à certains égards, mais elle permettra sans conteste de réaliser des économies sur le long terme », déclare Consuelo Martín de Dios, Directrice générale de la fondation Instituto Roche. Parce que, déclare-t-elle, elle permettra de réduire le nombre de médicaments et d’examens inutiles, de prévenir les rechutes et, par conséquent, d’éviter les nouvelles hospitalisations. Cette précision se révélera utile dans une société vieillissante et de plus en plus malade.

Par-delà les coûts, le défi consiste maintenant à créer un cadre réglementaire comme celui dont disposent déjà le Royaume-Uni ou la France, à former les professionnels et à améliorer les infrastructures qui doivent stocker et analyser l’ensemble de ce torrent de données contenues dans nos gènes.

Afin de bien mesurer le défi, il convient de penser au fait que chaque génome humain équivaudrait à environ dix millions de messages sur Twitter. « Le séquençage du génome génère plus de données que l’astronomie. Nous nous heurtons à un goulot d’étranglement. Comment pourrons-nous analyser toutes ces données ? », s’interroge le bio-informaticien Gonzalo Claros.

D’autres questions se posent par ailleurs : qu’adviendra-t-il de toutes ces données concernant notre profil génétique ? Qui pourra en disposer ? Et par-dessus tout : Sommes-nous prêts à en savoir autant sur nous-mêmes ? Tel est le débat qui nous attend.

Entre mythe et phobie

« J’ai subi une opération il y a 30 ans et depuis lors les choses ont énormément changé. Avant, on vous disait que vous aviez un cancer du sein et puis c’est tout. Le traitement était le même pour toutes. Maintenant, chaque tumeur porte son propre nom », déclare Paqui Aguilar, présidente de l’Association pour le suivi des femmes ayant subi une chirurgie pour un cancer du sein (ASAMMA). Comme elle l’indique, les progrès de la médecine personnalisée améliorent déjà la vie de nombreuses femmes.

Un test destiné aux patients ayant un profil génomique spécifique (appelé HER2-enrichi) est disponible. Désormais, grâce à une analyse de sang, on peut savoir s’ils devront subir une chimiothérapie ou s’ils peuvent l’éviter. « Imaginez ce que cette patiente évite. La chimio, c’est très agressif », insiste Mme Aguilar.

Ce test est utilisé dans un groupe spécifique de femmes — dont 20 % sont atteintes d’un cancer du sein — et toujours sur prescription médicale. Mais que se passerait-il s’il n’y avait pas de limites, si n’importe qui pouvait obtenir un test génétique pour savoir quelles maladies ils ont ou auront ? C’est déjà le cas aux États-Unis.

En 2017, le gouvernement américain a autorisé la commercialisation des tests génétiques aux fins de vente directe aux consommateurs. Pas besoin d’être malade ni d’avoir une ordonnance d’un médecin. Ils sont vendus sur Internet ; sur Amazon, vous pouvez les acheter pour entre 60 et 200 dollars US, soit environ 52 à 173 euros. En analysant un échantillon de salive, ils peuvent aussi bien prédire que vous développerez de la cellulite que découvrir l’origine de vos ancêtres. Et cela peut être dangereux.

En l’absence d’un accompagnement ou d’une interprétation médicale appropriés, cette information génétique à elle seule n’est pas concluante. Il y a trop de données difficiles à lire et à digérer. « Nous avons mythifié la génétique. Cette obsession des tests fait ressortir notre manque de culture en matière de santé », déclare Fernando Bandrés, président du Centre interuniversitaire de biomédecine, éthique et droits de l’homme.

L’un de ses exemples les plus éloquents est connu sous le nom d’« effet Jolie ». Lorsque l’actrice Angelina Jolie a annoncé qu’elle avait subi une double mastectomie préventive par crainte d’hériter d’un cancer du sein, la demande de tests génétiques a augmenté de près de 40 %.

« Nous devons faire preuve de prudence. Nous aurons accès à beaucoup d’informations, mais nous devons d’abord apprendre à les utiliser », déclare Mariano de la Figuera, de la Société espagnole des médecins des soins primaires (SEMERGEN).

Les médecins de famille seront les premiers à faire face à cet empressement et à cette anxiété de tout savoir. « Que se passera-t-il si nous commençons à détecter très tôt certaines maladies incurables telles que la maladie d’Alzheimer ? Savoir que vous allez développer une maladie impossible à soigner n’aide personne », prévient-il.

Face à ceux qui mythifient la génétique, il y a aussi ceux qui la craignent. Ceux qui, mis en garde par des dizaines de films de science-fiction, craignent que leurs données biologiques ne tombent entre les mains d’entreprises et de compagnies d’assurance qui finiront par nous discriminer génétiquement, comme le prédisait le film Gattaca en 1997.

« Tout progrès est porteur d’un risque et le risque est que d’aucuns utilisent ces informations à mauvais escient, mais cela ne devrait pas nous empêcher de continuer. Plus nous disposerons de données, plus nous pourrons accroître la sécurité des prédictions », argumente M. Claros, le bioinformaticien.

Et ce n’est que le début. Quelle incertitude n’y aura-t-il pas le jour où les chercheurs, en plus de lire les gènes, pourront les modifier ? « Nous assistons à un changement très profond, comme celui qui s’est opéré à la Renaissance, sauf que maintenant, celui-ci est très rapide. Bien que les nouvelles technologies nous ébahissent, nous devons faire naître une réflexion », déclare M. Bandrés.

En commençant par ne pas oublier que nous ne sommes pas uniquement la somme de nos gènes. Nous sommes également l’environnement dans lequel nous vivons et les comportements quotidiens que nous adoptons. Comme nous le rappelle le Dr de la Figuera, indépendamment du nombre de découvertes que nous apporte l’ADN, la médecine reste la science de l’incertitude et « la seule chose que les gènes déterminent avec certitude est que tous ceux qui naissent meurent ».

This article has been translated from Spanish.