Élections et intégration régionale en Amérique latine

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Les résultats de l’intense cycle électoral que traverse actuellement l’Amérique latine ne font pas que modifier la composition de nombreux gouvernements – et parfois même leur appartenance politique –, ils influent également sur les équilibres régionaux et ébranlent le processus d’intégration régionale. Il est vrai que celui-ci est particulièrement mis à mal aujourd’hui tant par des causes internes que par le contexte international défavorable sur le plan du commerce international.

Les organisations ayant le plus souffert de cette conjoncture sont les plus influencées par le processus bolivarien. En premier lieu se trouve l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique), qui connaît un déclin prolongé suite à la crise du Venezuela, son principal soutien économique et mobilisateur politique avec Cuba. Ce déclin avait commencé avec la mort d’Hugo Chávez. Auparavant, si l’Alliance avait atteint son développement maximum avec le ralliement du Honduras, la destitution de Manuel Zelaya dans ce pays d’Amérique centrale avait aussi marqué un tournant pour l’ALBA. Le récent départ de l’Équateur a mis en évidence les difficultés politiques de l’Alliance, qui n’ont pu être surmontées par l’administration pratiquement imperceptible de David Choquehuanca, ancien ministre bolivien des Affaires étrangères et actuel secrétaire général de l’organisation.

Malgré tout, c’est l’Unasur (Union des nations sud-américaines) qui a été la plus touchée par la conjoncture actuelle. Après le passage de l’ex président colombien Ernesto Samper au poste de secrétaire général et ses tentatives partiales de médiation dans la crise vénézuélienne, il s’est avéré impossible de lui trouver un successeur pour assumer ses fonctions à la fin de son mandat. Le veto qu’a opposé le président Maduro à l’élection de l’argentin José Octavio Bordón et le rejet postérieur de toute solution consensuelle ne prenant pas en compte un candidat provénézuélien ont abouti à la paralysie, puis à la fracture de l’Unasur (temporaire seulement, estime-t-on pour l’instant).

En effet, en avril 2018, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou ont suspendu leur adhésion à l’Unasur pour une durée indéterminée, en attendant de pouvoir assurer l’élection de son secrétaire général. Un peu plus tard, l’Unasur a encore été frappée symboliquement, au cœur même de sa conception idéologique fondatrice. Le gouvernement équatorien a décidé de retirer la statue de Néstor Kirchner dressée au siège de l’organisation à Quito, considérant qu’elle représentait un intolérable symbole de corruption. Le bâtiment, dont la construction a coûté des millions, pourrait être destiné par ces mêmes autorités à devenir le siège d’une université indigène.

La complexité de la conjoncture vénézuélienne atteint également la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caraïbes), plongée dans une crise existentielle assez inquiétante et à laquelle on entrevoit difficilement une solution, au moins à court ou moyen terme. L’annulation définitive du sommet UE-CELAC, qui aurait dû se tenir à la fin de l’an dernier au Salvador (et a finalement été remplacé par une réunion des ministres des Affaires étrangères) témoigne de la fracture vécue en son sein à cause du Venezuela.

La création du Groupe de Lima en août 2017, activement engagé dans la dénonciation des violations des droits de l’homme par le gouvernement de Maduro, a accentué les contradictions internes de la CELAC et enflammé les débats. Ce groupe est composé de 11 pays latino-américains (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay et Pérou) outre le Canada. Il a été rejoint par le Guyana et Sainte-Lucie, et conserve donc une composition majoritaire de gouvernements d’Amérique latine.

À cette liste d’événements liés par le fil conducteur de la crise que connaît le Venezuela, dont les composantes humanitaires et migratoires ont déjà des répercussions sur la région, on ne peut qu’ajouter ceux qui concernent le Mercosur. Il faut rappeler à cet effet la suspension temporaire du Venezuela de ce bloc sous-régional en août 2017, pour « rupture de l’ordre démocratique » à l’intérieur de ses frontières, un fait qui a provoqué de violentes altercations entre les gouvernements démocratiques du bloc et le régime de Maduro.

Mais la réorganisation régionale va au-delà du Venezuela. Alors que sur les six élections présidentielles convoquées cette année, les élections brésiliennes n’ont pas encore été tenues et qu’Andrés Manuel López Obrador ne prendra ses fonctions présidentielles au Mexique que le 1er décembre prochain, des ombres d’incertitude menacent à l’horizon du Mercosur et de l’Alliance du Pacifique.

Dans le cas du Brésil, la principale inconnue tient à l’éventuelle victoire du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro. Ses attaques contre des organismes multilatéraux tels que les Nations Unies font craindre sa position vis à vis du Mercosur. Il convient de signaler que dans le sillage de Donald Trump, Bolsonaro est un ardent défenseur du protectionnisme, un partisan des négociations bilatérales et non multilatérales, ainsi qu’un farouche ennemi des alliances commerciales telles que le Mercosur.

L’Alliance du Pacifique se retrouve dans une situation inédite, puisque les quatre présidents des pays qui la composent ont débuté leur mandat au cours de l’année 2018 ou vont le faire, dans le cas du Mexicain Andrés Manuel López Obrador. Et c’est précisément le cas du Mexique qui est le plus inquiétant, eu égard aux pulsions protectionnistes du futur président et à son absence lors du sommet de Puerto Vallarta, en juillet dernier. Cependant, le nouveau secrétaire aux Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, qui a pris part quant à lui au sommet, a confirmé l’engagement de son gouvernement auprès de l’Alliance. Ce à quoi, il faut ajouter la reprise du dialogue entre López Obrador et les entrepreneurs, qui favorisera une politique commerciale fondée sur plus d’ouverture.

En conclusion, les résultats électoraux ont eu des retombées sur les processus d’intégration régionale et sous-régionale, et continueront d’en avoir. Nous constatons également que la région est exposée aux vents protectionnistes en provenance des États-Unis. La demande de plusieurs secteurs de production colombiens face à la concurrence que pourrait représenter la production et l’exportation de viande et de produits laitiers de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, possibles futurs membres de l’Alliance du Pacifique, est un signe des temps. Il faut espérer qu’il ne s’agisse pas d’une tendance irréversible.

This article has been translated from Spanish.