Vicente Posada Unay Jr : « Comment pouvez-vous réellement créer des emplois verts sans parler aux syndicats ? »

Vicente Posada Unay Jr : « Comment pouvez-vous réellement créer des emplois verts sans parler aux syndicats ? »

Vicente Posada Unay Jr addresses delegates at a future of work and just transition seminar held in Cotonou, Benin between 28 August and 1 September 2018.

(Tamara Gausi)

En adhérant à l’Accord de Paris sur le climat en 2015, le gouvernement philippin s’était formellement engagé à réduire, à l’horizon 2030, ses émissions de carbone de 70 % en-deçà des « taux habituels ». Toutefois, malgré cet objectif incroyablement ambitieux, il reste à l’actuel gouvernement du président Rodrigo Duterteà clarifier comment il entend atteindre ses objectifs d’émissions : malgré la promulgation de la Loi sur l’énergie renouvelable de 2008, le charbon continue d’occuper 45 % du bouquet énergétique actuel du pays.

Les Philippines sont un des pays les plus vulnérables du monde au changement climatique. Le pays affiche cependant aussi l’un des taux les plus faibles de consommation d’électricité par habitant, et des coûts de production d’énergie parmi les plus élevés du sud-est asiatique. Qui plus est, les défenseurs du charbon aux Philippines soutiennent que sans combustibles fossiles, le pays ne sera pas en mesure de stimuler le développement économique, ni de réduire la pauvreté conformément aux Objectifs de développement durable de l’ONU.

En novembre 2018, Vicente Posada Unay Jr, coordinateur de projets dans le cadre du programme d’énergie de SENTRO, la Centrale des travailleurs unis et progressistes des Philippines, a été élu secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’industrie de l’énergie (POWER), nouvellement formé. À l’occasion d’un séminaire sur l’avenir du travail et la transition juste, organisé au mois d’août dernier par la Confédération syndicale internationale (CSI), la CSI-Afrique, l’IEOI-CSC Belgique et World Solidarity, à Cotonou, au Bénin (et lors d’une conversation téléphonique au début de cette semaine), M. Posada s’est entretenu avec Equal Times des défis auxquels s’affrontent les Philippines dans leur marche vers une transition juste.

Sur le papier, les Philippines sont dotées de politiques très progressistes en matière de changement climatique, avec une législation sur l’énergie renouvelable et les emplois verts et un objectif ambitieux de réduction des émissions. Quelle est la réalité ?

Il y a un problème au niveau de la conformité, de même que dans la formulation de certaines lois. À titre d’exemple, le gouvernement philippin a promulgué la Loi sur l’énergie renouvelable en 2008, qui favorise le développement, l’exploitation et la commercialisation des ressources énergétiques renouvelables. L’agence chargée par la loi de mettre en œuvre la feuille de route du Programme national pour les énergies renouvelables est le Département de l’Énergie. Or cette feuille de route permet de constater très clairement qu’en réalité, les intérêts des travailleurs ne sont pas pris en compte. Il en va davantage de projections commerciales que de travail décent.
Puis, en 2016, le Congrès a passé la Loi sur les emplois verts, cependant ni nous [les syndicats], ni le Département du Travail et de l’Emploi (DOLE), n’ont jamais été consultés à ce propos. Partant cette loi, qui est censée fournir une protection aux travailleurs dans le cadre de la création d’emplois verts, a en réalité été conçue pour générer des investissements. Comment pouvez-vous réellement créer des emplois verts sans consulter les syndicats ?

Cette année, une série de consultations ont eu lieu avec les syndicats ouvriers concernant les emplois verts, où nous avons tenté de mettre en avant la question suivante : « Qu’est-ce qu’en réalité un emploi vert ? » Nous partons du point de vue que la transition d’une société basée sur les combustibles fossiles à une société basée sur l’énergie renouvelable implique la participation de tout le monde. Ce débat ne peut pas se limiter au niveau du gouvernement ou de l’industrie, ni même du mouvement syndical – nous devons changer notre système d’enseignement et de formation professionnelle, notamment, pour préparer les gens aux emplois du futur. Une branche du DOLE - l’Administration chargée de l’éducation technique et du développement des compétences – a été invitée à élaborer un programme pour la mise à niveau des compétences des travailleurs. Sans ça, nous resterons confinés à la formulation existante et au statu quo.

En 2001, l’industrie de l’électricité a été dérégulée. Quel a été l’impact sur les consommateurs et les travailleurs ?

La Loi sur la réforme de l’industrie de l’énergie électrique (EPIRA), de 2001, était censée réduire le coût de l’électricité pour les consommateurs et améliorer la fourniture de services, mais elle a échoué dans les deux cas. À l’heure actuelle, le Japon est le seul pays de la région qui dépasse les Philippines en termes de prix de l’électricité. Entretemps, la situation pour les travailleurs est difficile. Il est estimé que 17.000 travailleurs dans les secteurs de la production, de la transmission et de la distribution de l’industrie électrique exercent des emplois contractuels. Il est incontestable que la privatisation de l’industrie électrique représente l’un des principaux obstacles à l’engagement du gouvernement à réduire les émissions de carbone. Les grandes sociétés énergétiques ont, toutes, lourdement investi dans le charbon, de sorte que la privatisation a encouragé la construction de nouvelles centrales au charbon au lieu de promouvoir les énergies renouvelables comme notre source primaire d’énergie. Nous nous trouvons en même temps face à une situation quelque peu paradoxale, où nous voyons les syndicats de la production énergétique engagés dans des conventions collectives avec des salaires et des prestations comparativement plus favorables que d’autres parties de l’industrie, comme les coopératives de l’électricité. Pour autant, le défi désormais consistera à convaincre nos syndicats des centrales au charbon que l’intérêt national doit primer sur leurs conventions collectives.

Quelle est la place de l’industrie minière dans la marche graduelle du pays vers une transition juste ?

L’industrie minière est le principal émetteur de carbone et le principal destructeur de ressources naturelles aux Philippines. La Loi minière philippine de 1995 a libéralisé le secteur et au cours des 20 dernières années, le gouvernement et le peuple philippin n’ont jamais obtenu aucun avantage de l’activité minière. Les travailleurs, les communautés, l’environnement – absolument tout est subordonné aux intérêts des investisseurs étrangers. Une lueur d’espoir avait surgi au début de la présidence de Duterte. En 2016, il avait désigné Gina Lopez [une écologiste renommée] en tant que secrétaire par intérim du Département de l’Environnement et des Ressources naturelles des Philippines (DENR). Elle était très progressiste et aurait décrit la Loi minière des Philippines comme étant une loi « inique ». Elle avait émis un mémorandum visant à imposer un moratoire sur la totalité des projets miniers à grande échelle aux Philippines au motif de leurs effets destructeurs et avait même engagé des consultations avec les communautés locales. Elle a, toutefois, suscité une opposition farouche [de l’industrie minière] et sa nomination n’a pas été retenue. Un ancien général de l’armée [Roy Cimatu] a été nommé à sa place. Cela montre bien que les intérêts du peuple et de l’environnement sont souvent subordonnés aux intérêts du capital.

Quelles sont les conditions de travail et d’emploi dans l’industrie minière ?

Il court un mythe comme quoi l’activité minière constitue une importante source d’emplois aux Philippines mais il n’en est rien. D’après le Bureau des mines et des géosciences, le secteur minier aurait créé 219.000 emplois en 2016. Pourtant, s’il faut en croire le Rapport annuel sur le commerce et l’industrie des Philippines, en 2015, 220 entreprises minières ont créé 32.249 emplois dans l’industrie, ce qui représente une contradiction de taille.

Les conditions ne sont pas bonnes. Selon des sources de l’industrie, un travailleur moyen toucherait 356.550 pesos (environ 6.785 USD) par an. Mais sur le terrain, le salaire réel des travailleurs tourne autour de 256.550 pesos (4.880 USD approximativement) par an. À Mindanao, dans le sud du pays, où un grand nombre de compagnies minières sont basées et où un conflit est en cours, la plupart des travailleurs sont des contractuels, quand bien même ils effectuent le même travail que les travailleurs permanents, ce qui est interdit par la loi. La mine de Philsaga, par exemple, dans la localité d’Agusan del Sur, compte un effectif de 4.743 travailleurs ; 2.443 d’entre eux sont des permanents et les 2.300 autres sont des contractuels employés dans le cadre de contrats de services passés avec des agences [d’embauche].

Cependant, les pires violations concernent la santé et la sécurité. D’après ce que nous ont dit les travailleurs, la politique des mines est que quand un accident survient, aucun rapport n’est rédigé. Le DOLE, pour sa part, affirme que l’industrie minière ne relève pas de ses compétences mais bien de celles du DENR, alors que le DENR renvoie la balle au DOLE. Entretemps, ce sont les travailleurs qui sont lésés. C’est pourquoi il nous revient à nous, syndicats, avec le soutien de l’OIT (Organisation internationale du travail) et des autres parties prenantes, de faire pression pour que les syndicats soient représentés au niveau tripartite national pour l’industrie minière.

Quelles dispositions concrètes SENTRO a-t-il prises pour promouvoir une transition juste ?

Nous participons activement à l’Alyansa Tigil Mina (l’Alliance pour la suspension de l’extraction minière, ATM), qui est une coalition d’ONG et d’organisations de la société civile qui luttent pour un changement majeur dans la manière dont les ressources naturelles de notre pays sont administrées et, en particulier, pour une interdiction des mines à ciel ouvert. SENTRO occupe aussi une place centrale dans la coalition qui milite en faveur d’une proposition de loi au Congrès pour une gestion alternative des ressources minérales, laquelle favoriserait une extraction minière responsable et durable. Nous collaborons également avec les syndicats locaux de Mindanao à la construction des capacités et l’amélioration de leur convention collective existante moyennant l’inclusion de nouvelles clauses afférentes à la santé et à la sécurité, ainsi qu’à la création d’un système tripartite régional.
Nous avons aussi mené une recherche, en partenariat avec l’ONG Australian People’s Aid, sur le potentiel de l’énergie renouvelable dans les coopératives du secteur de l’électricité. Nous cherchons en outre à collaborer avec une coopérative électrique d’une province insulaire hors-réseau dans le sud de Luçon [la plus grande et la plus peuplée des îles des Philippines].
SENTRO est aussi membre du Renewable Energy Centre nouvellement fondé, dont le lancement a eu lieu en octobre avec le concours de la Fondation Friedrich Ebert (FES) d’Allemagne. Nous sommes la seule centrale syndicale à participer à cette initiative, qui englobe aussi de nombreux chercheurs, ONG et professionnels, et qui a vocation à promouvoir les énergies renouvelables aux Philippines.

Quels sont les principaux défis qui devront être relevés ?

Les 121 coopératives électriques du pays appartenant aux membres-consommateurs sont menacées de privatisation. En 2013, les travailleurs de la Coopérative électrique Albay (ALECO) ont entamé une grève des employés pour résister à la privatisation. Une mobilisation massive des travailleurs et des consommateurs a eu lieu, suite à laquelle le gouvernement a provisoirement suspendu la privatisation des coopératives électriques.

Toutefois, un nouveau Projet de loi sur les franchises (Franchise Bill) est à présent en cours d’élaboration et, s’il est voté, pourrait voir les 11,6 millions de ménages à travers les Philippines qui sont actuellement membres-consommateurs des coopératives électriques perdre leur pouvoir de propriété au secteur privé. Nous [SENTRO] œuvrons actuellement d’arrache-pied avec les coopératives électriques pour opposer ce projet de loi.

Le gouvernement s’efforce tant bien que mal de concilier les intérêts des milieux d’affaires avec la mise en œuvre de ses engagements climatiques. La route vers une intégration effective de la transition aux énergies renouvelables sera longue, cependant, en tant que syndicat, nous poursuivrons sans relâche notre lutte en faveur de la démocratie énergétique. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour nous ? Résister, récupérer et restructurer l’industrie de l’énergie pour la remettre entre les mains du peuple.