Le droit à l’alimentation a été violé en Grèce. Et maintenant ?

Avec la fin du troisième programme d’aide économique en août 2018, la Grèce a disparu des manchettes internationales. Mais les effets de huit années de restrictions budgétaires sauvages se feront encore ressentir pendant des décennies. Le véritable coût de la crise se manifeste dans les effets durables de la chute des salaires, des retraites et des investissements publics dans les conditions de prêt exigées par la troïka.

Un nouveau rapport, présenté par le Transnational Institute, FIAN International et Agroecopolis, intitulé « Democracy not for sale: the struggle for food sovereignty in the age of austerity in Greece » (NDT « Une démocratie pas à vendre : la lutte pour la souveraineté alimentaire à l’ère de l’austérité en Grèce »), documente les conséquences de ces mesures d’austérité sur l’accès des populations à la nourriture et plus globalement le système agricole et alimentaire de la Grèce. Le rapport s’appuie sur des travaux de terrain menés dans toute la Grèce et notamment sur des entretiens avec plus de 100 personnes. Il conclut que :

• La précarité alimentaire a doublé pendant les années de crise, passant de 7 % en 2008 à plus de 14 % en 2016.
• Le taux de chômage rural s’est envolé, passant de 7 % en 2008 à 25 % en 2013, tandis que le revenu rural par habitant a baissé de 23,5 % entre 2008 et 2013.
• La proportion des ménages avec enfants ne disposant pas des moyens suffisants pour acheter quotidiennement un repas à base de protéines est passée de 4,7 % en 2009 à 8,9 % en 2014.
• Le recours aux soupes populaires, aux banques alimentaires et à d’autres programmes d’aide humanitaire a sensiblement augmenté. En 2016, pas moins de 200 organisations fournissaient des repas gratuits à des personnes dans le besoin rien que dans la préfecture de l’Attique.

Ces impacts sont la conséquence directe des mesures d’austérité imposées à la Grèce. Plusieurs mesures d’austérité — notamment les changements apportés aux taxes agricoles et aux régimes de sécurité sociale et la poussée vers la privatisation et la libéralisation des échanges — ont directement contribué à fragiliser le droit à l’alimentation en Grèce. D’autres mesures telles que la réduction du salaire minimum et la réduction des prestations de retraite ont également porté atteinte au droit à l’alimentation, ainsi qu’au droit au travail, au logement et à la santé.

Fait surprenant, aucune mesure préventive n’a été adoptée en vue d’éviter de tels dégâts. Aucune étude d’impact sur les droits de l’homme n’a été réalisée avant, pendant ou après l’adoption des trois protocoles d’accord, alors qu’il s’agit là d’un des critères minimaux requis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (auquel les pays de la zone euro sont partis) pour prendre ces mesures rétrogrades.

À qui la responsabilité incombe-t-elle ?

Bien qu’il soit clair que l’austérité imposée à la Grèce a entraîné des violations des droits de l’homme, déterminer à qui incombe la faute est moins évident. Le devoir de respecter les obligations en matière de droits de l’homme incombe en tout premier lieu au gouvernement grec. Il est cependant essentiel de situer ce devoir dans un cadre plus large, celui des crises économiques et démocratiques.

Les États membres de la zone euro, en leur qualité de prêteurs directs, sont également responsables du fait qu’ils ont signé les protocoles d’accord et, sans doute, ont fait pression sur le gouvernement grec en ce sens. Nombreux sont ceux qui ont fait remarquer — y compris parmi ceux qui ont participé directement aux négociations de ces protocoles — que la Grèce avait peu de marge de manœuvre et qu’il ne s’agissait pas de « discussions entre interlocuteurs égaux ». Étant donné les preuves de cette ingérence directe, voire de cette coercition, de la part des États membres de la troïka, il est permis de penser que ces derniers ont une part de responsabilité accrue dans les conséquences de l’austérité.

Lors de la présentation officielle du rapport le 20 novembre 2018 à Bruxelles, Olivier de Schutter, l’ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, a fait valoir que nous étions arrivés à un moment assez problématique, car des violations des droits de l’homme sont survenues sans que l’on ne dispose encore de mécanismes adéquats en matière de responsabilité et de réparation.

Certaines possibilités se présentent : lui et son équipe étudient la possibilité offerte par l’article 340 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de demander des comptes aux institutions européennes, ce qui pourrait constituer la base d’une stratégie juridique prometteuse.

Mais tout cela, c’est pour l’avenir. Pour l’instant, nous pouvons tirer notre inspiration des nombreuses initiatives qui ont vu le jour pendant la crise afin d’aider à garantir l’accès des populations à l’alimentation, notamment les cuisines solidaires, les coopératives alimentaires, les programmes agricoles avec un soutien communautaire et de nombreux autres groupements économiques de solidarité et sociaux.

Il s’agit d’agriculteurs, de pêcheurs et de citoyens qui s’engagent activement dans une nouvelle politique alimentaire. Ils remodèlent déjà les rapports de pouvoir et de reddition de comptes sur le terrain ; et cette vague ne disparaîtra pas avec la fin officielle des protocoles d’accord. Comme l’a fait remarquer un agriculteur interrogé dans le cadre du rapport : « Nous sommes un mouvement désormais ».