Les « guerres contre la drogue » sont inefficaces et violent les droits humains, dénoncent chercheurs et ONG

Les « guerres contre la drogue » sont inefficaces et violent les droits humains, dénoncent chercheurs et ONG

Military police patrol during a special operation against drug traffickers in the Cidade de Deus favela, Rio de Janeiro, Brazil, in February 2018.

(AFP/Mauro Pimentel)

Augmentation de 130 % de la culture du pavot, plus 72.000 décès par overdose rien qu’aux États-Unis en 2017 – un chiffre au plus haut niveau jamais atteint, près de 4.000 exécutions de condamnés à mort à travers le monde depuis 2009 pour des délits liés à la drogue, tels sont quelques-uns des chiffres alarmants avancés par le rapport de l’International Drug Policy Consortium (IDPC), publié en octobre dernier. Selon celui-ci, les politiques prohibitionnistes mises en avant par les États membres de l’ONU durant la dernière décennie dans leur « guerre contre la drogue » n’ont pas réussi à contenir la progression du trafic de stupéfiants dans le monde. Elles auraient au contraire produit des résultats opposés à ceux recherchés.

« Éliminer la consommation de drogue à une échelle globale n’était pas un objectif réaliste », affirme à Equal Times Rebecca Jesseman, directrice des politiques du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

Pourtant, en 2009, les pays membres de l’ONU adoptaient une stratégie mondiale pour lutter contre le problème de la drogue, (Political Declaration and Plan of Action on International Cooperation towards an Integrated and Balanced Strategy to Counter the World Drug Problem), dans le but d’éliminer la production, le trafic et la consommation de substances illicites, ainsi que le détournement de précurseurs (produits chimiques disponibles sur le marché légal permettant de produire des substances interdites) et enfin le blanchiment d’argent.

Loin d’engendrer les effets escomptés, la stratégie antidrogue de l’ONU aurait plutôt généré de nombreux effets collatéraux tels que l’apparition, entre 2009 et 2017, de plus de 800 nouvelles substances psychoactives, souvent vendues à bon prix comme « euphorisants légaux » et substituts aux drogues illicites existantes, comme la codéine, qui fait des ravages par exemple au Nigeria.

De son côté, l’Europe a enregistré une hausse de 4 % des décès par overdose depuis 2015, tandis qu’aux États-Unis, le nombre de décès par surdose a atteint un niveau si élevé que l’espérance de vie y a diminué de 4 mois, une première depuis la Seconde guerre mondiale !

« Plusieurs des objectifs identifiés en 2009, comme l’élimination de la consommation de la drogue à une échelle globale, étaient trop ambitieux et n’étaient pas basés sur une analyse réaliste du problème de la drogue et de notre capacité à éliminer quelque chose qui est ancré dans le comportement humain. Nous devons prendre conscience que la consommation de drogues est un problème de santé, et non de justice criminelle », ajoute Rebecca Jesseman.

Une approche américaine aux lourdes conséquences

« L’abus de drogues est l’ennemi public numéro un des États-Unis », déclarait le président américain Richard Nixon en 1971. Dix ans plus tard, Ronald Reagan, confronté à une explosion de la consommation de crack cocaïne dans le pays, identifiait quant à lui les drogues illégales comme une menace à la sécurité nationale. Depuis, près d’un demi-siècle, les États-Unis n’ont pas hésiter à adopter une législation et des mesures anti-drogue très sévères : comme le rapportaient Human Rights Watch et l’Union pour les libertés civiles américaines (ACLU), en 2016, la possession d’une demi-once (14 grammes) de cannabis pouvait entraîner une peine de 20 ans de prison !

« Traditionnellement, les États-Unis se sont positionnés comme les champions de la ’guerre contre la drogue’. Dans certains cas, ils ont exporté leur approche vers d’autres pays. Les ’tribunaux des drogues’ en sont un bon exemple. Les États-Unis ont activement prôné une approche policière et punitive envers les drogues auprès d’autres pays. Ils ont donc une grande responsabilité par rapport à ce qui se passe », explique Diederik Lohman, directeur du programme de santé de Human Rights Watch, à Equal Times.

Avec un soutien logistique et militaire aux forces armées locales, la sécurisation des frontières, les livraisons d’armes, l’échange d’informations entre les services de renseignements américains et d’Amérique latine, dans leur croisade, les États-Unis n’ont pas hésité à soutenir les pays d’Amérique latine, qui produisent plus de la moitié de l’héroïne et de la cocaïne consommée dans le pays, pour que ceux-ci s’attaquent aux cartels de la drogue sévissant à l’intérieur de leurs frontières. Depuis les années 1970, les États-Unis auraient d’ailleurs dépensé près de mille milliards de dollars pour tenter d’y éradiquer la production et de drogue et combattre les cartels.

Du Mexique, à la Colombie, en passant par les Philippines et l’Indonésie, l’implémentation de politiques anti-drogues répressives ont eu de graves conséquences pour les droits humains. Au Mexique, les violences militarisées entre les cartels et les forces de l’ordre ont fait 150.000 morts et 37.000 disparus depuis 2006, tandis qu’en Amérique du Sud et en Afghanistan, les campagnes d’éradication de la culture du pavot et de la coca ont aggravé la sécurité financière des paysans dépourvus d’alternatives économiques. L’année dernière, six cultivateurs de coca ont été tués par balles et 21 autres ont été blessés lors d’une manifestation contre une opération d’éradication menée par les forces armées colombiennes.

Un récent rapport de l’ONUaccuse également les autorités mexicaines d’être responsables, dans leur lutte contre le crime organisé et les cartels de drogues, d’actes de torture tels que l’asphyxie, des simulacres de noyade (waterboarding) et des pénétrations anales.

Aux Philippines, le président Rodriguo Duterte s’est, quant à lui, lancé dans une traque sanguinaire pour éliminer les trafiquants et consommateurs de drogues, entraînant l’exécution extrajudiciaire de plus de 27.000 personnes depuis juin 2016. « Hitler a massacré trois millions de juifs… il y a trois millions d’addicts aux drogues. C’est vrai. Je serais heureux de les massacrer », déclarait-il lors d’une conférence de presse en septembre 2016.

«La majorité de la cocaïne et de l’héroïne consommées aux États-Unis est cultivée à l’étranger. On ne peut pas simplement construire un mur autour de soi-même et se couper du reste du monde. Pendant des années, les États-Unis ont donc implémenté, chez eux, une approche très dure face aux drogues et ont commencé à faire pression sur des pays comme la Colombie et le Mexique pour qu’ils s’attaquent à la drogue produite à l’intérieur de leurs frontières », explique Diederik Lohman.

Bureaucratie et politique internationale inefficaces

Au cours des 60 dernières années, l’ONU, qui doit définir un nouveau plan d’action décennal en matière de stupéfiants en mars 2019, a basé ses politiques en matière de lutte contre la drogue sur trois traités internationaux : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention de 1971 sur les substances psychotropes et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.

Bien que ces traités ne préconisent pas une « guerre contre les drogues », des experts déplorent l’emploi généralisé de stratégies répressives pour faire face au problème, au détriment d’une approche globale axée sur la santé publique. C’est le cas de Donald MacPherson, directeur du Centre canadien des politiques sur les drogues.

« La sur-utilisation de la loi criminelle pour appliquer ces traités persistent jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, au cours des 50 dernières années, nous avons beaucoup appris sur la manière d’aborder les problèmes liés à la drogue. L’accent a été mis sur les drogues et nous a détourné des questions de santé publique et de développement social, qui doivent être prises en considération lorsqu’on s’adresse au problème de la drogue. Mais le système onusien n’a pas réussi à s’adapter. C’est une machine très lente qui n’arrive pas à comprendre les problèmes contextuels de notre époque comme les problèmes sociaux économiques ou encore les traumatismes, qui mènent à la consommation de substance illicites. Les pays qui financent le plus l’ONU, comme la Russie, les États-Unis et la Chine, ont des visions très draconiennes sur la consommation de drogues. C’est pour cela que l’ONU n’évolue pas », explique l’expert à Equal Times.

Légalisation et décriminalisation

Devant l’échec de la communauté internationale et le bilan catastrophique en matière de santé publique et de droits humains, certains pays ont récemment décidé de tourner le dos aux politiques onusiennes et de décriminaliser ou de légaliser la consommation de certaines drogues. En Amérique du nord par exemple, l’État du Colorado, aux États-Unis, ainsi que le Canada, ont récemment légalisé la consommation récréative de cannabis, dans le but de réguler et de taxer un produit déjà largement consommé tout en éliminant les trafiquants.

En 2001, le Portugal a quant à lui décidé de décriminaliser la consommation et la possession de toutes les drogues. Si les trafiquants y sont toujours considérés comme des criminels, les consommateurs, eux, sont maintenant traités comme des malades.

Le résultat a été que 17 ans plus tard, le petit pays du sud de l’Europe a observé une baisse drastique des infections au VIH et à l’hépatite et de la criminalité reliée à la drogue.

De leur côté, les autorités du Colorado ont observé des effets négatifs comme une expansion, sur leur territoire, de la culture du cannabis produite sur le marché noir par les organisations criminelles, qui profitent de la légalisation pour passer de la drogue en contrebande vers des États où l’interdiction persiste.

Toutefois, « il a été prouvé que les approches basées sur la réduction des méfaits comme les programmes de distribution de seringues propres et les sites de consommation supervisés ont de bien meilleurs résultats », explique quant à elle Hannah Hetzer, directrice des politiques internationales à la Drug Policy Alliance aux États-Unis, à Equal Times.

Le neuroscientifique et directeur du département de psychologie de l’Université de Columbia à New York, Carl L. Hart, étudie l’effet des drogues depuis près de 30 ans. Selon lui, il ne fait aucun doute que les approches punitives et prohibitionnistes traditionnellement employées pour contrer l’utilisation de substances illicites font fausse route.

« Nos politiques sont plus problématiques que les drogues en elles-mêmes, parce qu’elles interdisent des drogues que les gens vont consommer de toute manière, ce qui pousse la consommation vers le marché noir, explique-t-il. Nous devrions traiter les drogues comme nous traitons l’alcool. Une approche raisonnable serait de légaliser les drogues et de mettre le gouvernement en charge de leur qualité et de leur réglementation. »

This article has been translated from French.