L’ennemi domestique – se loger avec un handicap en France

L'ennemi domestique – se loger avec un handicap en France
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« Je ne veux plus de personnes vivant en situation de handicap qui soient sans solution. Ce sera l’une des priorités de mon quinquennat, parce qu’aujourd’hui, il y a des millions de personnes vivant en situation de handicap et leur famille, qui sont sans solution, des gens livrés à eux-mêmes, à un quotidien auquel on n’apporte aucune réponse. Aucune ! ».

Ces mots sont ceux du – alors encore – candidat à la Présidentielle, Emmanuel Macron, le 3 mai 2017, lors du débat télévisé d’entre deux tours, face à Marine Le Pen.

Malgré cette promesse, le gouvernent français a fait adopter par les parlementaires une loi sur le logement (dit Loi ELAN) qui prévoit, dans son article 18, le passage de 100 % à 20 % de logements accessibles aux personnes en situation de handicap dans les constructions neuves. Pour le gouvernement, l’objectif est clair : il faut lever les freins du marché immobilier, en assouplissant les contraintes normatives pour créer le fameux « choc de construction », censé faire baisser les prix des loyers.

Mais pour les personnes en situation de handicap qui, à des degrés divers représentent près de 12 millions de Français, la pilule a du mal à passer. Pour la grande majorité des gens, trouver un logement est déjà difficile. Mais pour les personnes en situation de handicap, c’est encore pire. Et avec la mise en place du « principe d’adaptabilité » (pour rendre les logements adaptables, c’est-à-dire les rendre susceptibles d’être accessible moyennant des travaux), cela risque de s’aggraver. En effet, les bailleurs risquent de préférer louer à des personnes dont l’aménagement ne nécessitera pas de travaux supplémentaires, excluant davantage les personnes en situation de handicap de la cité.

« Avec le vote de la loi Elan, les députés de ce pays ont envoyé un message très clair aux personnes handicapées : nous avons décidé de la place que vous devez avoir dans cette société et cette place n’est pas parmi nous. Vous avez tout naturellement moins de droits », avait réagi Elena Chamorro, l’une des animatrices du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (Clhee). Pour les associations, la loi réinstaurerait des quotas qui « auraient pour effet d’assigner une partie de la population à des lieux non choisis », dénonce de son côté le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).

De nombreuses personnes en situation de handicap sont touchées par un isolement lié à l’accessibilité de leur logement, de la ville et des transports publics. Questionner l’accès au logement pour les personnes en situation de handicap, c’est interroger l’accès à la cité et le droit pour chacun de choisir son lieu de vie.

 

Odile Maurin in her apartment in Toulouse, on 11 June 2018. It is on the fourth floor. Odile had to fight, as her illness progressed, to get an automatic door fitted on the ground floor.

Photo: Tien Tran

Odile Maurin est atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique rare touchant moins d’une personne sur 2.000, dont elle souffre depuis plus de 20 ans. La douleur liée à la station debout l’empêche de marcher plus de quelques pas. Elle s’est battue avec son bailleur pour obtenir l’installation d’une porte automatisée en bas de chez elle. Elle est présidente de l’association Handi-social : « L’État et l’administration de manière générale ne nous donneront rien », déclare-t-elle à Equal Times, « c’est à nous de nous battre pour obtenir ce dont on a besoin ».

 

Odile Maurin takes a shower with the help of her ‘living assistant’ in Toulouse on 11 June 2018. The assistant comes for a few hours every day. She helps her prepare meals, shop and do the housework.

Photo: Tien Tran

L’accès à la douche par fauteuil est rendu impossi¬ble par la présence d’une marche. Pour l’instant, elle peut encore se lever et parcourir les quelques pas qui l’amènent au bac à douche où elle s’assoit. Mais son handicap va probablement s’aggraver, l’empêchant bientôt totalement d’y avoir accès. Chez elle, rien n’est vraiment adapté et son fauteuil ne peut pas aller dans sa chambre ou dans la salle de bain.

« Je dois préparer mon avenir », dit-elle, « car la maladie va évoluer, probablement pour le pire ». Odile réfléchit à son prochain logement qu’elle souhaite voir entièrement automatisé. « Parfois, la douleur m’empêche de me lever de mon lit et dans cet appartement, il devient alors impossible de me déplacer », affirme-t-elle.

 

Emmanuelle has multiple sclerosis and has to hold onto the walls to get into her apartment, as seen here in Toulouse, on 16 June 2018. Climbing the two storeys to her apartment soon wears her out.

Photo: Tien Tran

Emmanuelle a été diagnostiquée d’une sclérose en plaque en 2016, après avoir ressenti une très forte douleur en posant le pied à terre. La maladie évolue par crises, qui vont en s’aggravant et laisse la personne dans une situation de handicap de plus en plus critique. Elle parvient à évoluer dans son appartement en s’appuyant le long des murs, sa jambe gauche étant paralysée. « Ça m’a frappé jeune, j’ai été coupée en plein élan, avec tous mes projets qui se sont effondrés. Psychologiquement, c’était très dur à vivre ; il m’a fallu du temps pour m’habituer à cette idée, et encore aujourd’hui, à l’accepter pleinement ».

Le logement d’Emmanuelle est inadapté : 34 marches séparent son appartement de la rue, de l’extérieur. Sortir devient une expédition : « Il me faut trois ou quatre heures pour me préparer ». Le plan de travail et l’évier de sa cuisine sont trop haut : « c’est ma fille qui me fait à manger dorénavant ». Elle l’aide aussi à sortir de sa salle de bain lorsqu’elle ne peut plus en sortir, en raison de la douleur. Car les logements inadaptés frappent aussi les proches et pèsent sur leur qualité de vie.

Une fois dehors, le parcours du combattant continue pourtant : « Les marches, c’est l’enfer pour moi, je ne peux pas les monter dans mon fauteuil », raconte-t-elle à Equal Times, « aller chez des amis ou au restaurant devient compliqué : il faut planifier et prévoir s’il y aura assez de places pour le fauteuil, si je peux y aller et en repartir facilement ».

 

Emmanuelle has a coffee with her friend Viviane who works in the neighbourhood bakery. They became close when the first signs of her illness appeared.

Photo: Tien Tran

Avec l’évolution de la maladie, il était vital pour elle de partir dans un logement accessible. Mais la mairie de Toulouse lui a proposé un logement situé dans la banlieue, à plusieurs heures en transport en commun du cœur de la ville. « J’ai refusé », explique-t-elle, « à 45 ans, on ne se fait pas des amis comme ça ; alors imaginez lorsque l’on est handicapé : j’ai trop besoin d’eux dans mon quotidien ».

Si elle peut encore, pour le moment, difficilement descendre les escaliers, son fauteuil ne peut pas la suivre : « Je suis dépendante des autres pour sortir de chez moi », raconte-t-elle, « avec l’évolution de mon handicap, j’ai vu des amis s’éloigner, alors que les habitants du quartier, qui m’ont vu commencer à boiter, puis sortir en béquilles pour finir en fauteuil se sont rapprochés de moi ; ce sont eux qui me permettent de m’en sortir, de m’empêcher de me tirer une balle dans la tête, je ne peux pas les quitter ». La mairie de Toulouse a fini par lui fournir un logement adapté dans le même quartier.

 

This is Hortense in the apartment in Toulouse where she lived for over 50 years. As her physical capacity diminished and her neighbourhood changed, she gradually found herself a lonely prisoner.

Photo: Tien Tran

Souffrant de nombreux problèmes de santé, Hortense Thellier habitait au troisième étage d’un immeuble sans ascenseur. Petit à petit, la ville a muté et l’a recluse dans son appartement.« Avant dans le quartier, on avait tout, des merceries, des marchands de journaux, des bijoutiers, des épiceries... On se parlait, on échangeait. Pour moi, le supermarché est trop loin, je ne peux plus y aller depuis bien longtemps », racontait-elle en 2016. Sans enfants, elle n’avait plus de proches, tous sont décédés.

« J’ai trop de problèmes de santé, je ne peux plus descendre les escaliers, je ne peux plus les monter non plus, alors je reste chez moi, seule ». Sa grande fatigue et son grand âge, l’empêchaient de sortir de son domicile, jusqu’à son décès, l’année dernière, à l’âge de 97 ans.

L’isolement social est un mal qui frappe déjà les sociétés modernes et qui est accentué pour les personnes avec un handicap. Une chose que n’ont pas à l’esprit ceux qui établissent les politiques publiques : les logements non-accessibles coupent ces personnes de leur vie sociale en les empêchant de rendre visite à leurs amis et leur famille et d’être intégrées dans leur ville et quartier.

This article has been translated from French.