Face au mouvement anti-tabac, le Malawi pourrait se tourner vers la culture du cannabis

Nous nous trouvons à Lilongwe, la capitale du Malawi, dans un quartier densément peuplé, Chinsapo. Storm Jericho Kadondo, prêtre rastafarien, retire avec précaution les mauvaises herbes qui entourent la plante de cannabis qu’il fait pousser en secret derrière la palissade de sa maison.

« Étant rastafarien, je fais pousser au moins une plante de cannabis pour la méditation. Mais c’est en secret que je dois cultiver cette plante sacrée, parce qu’ici, c’est illégal », dit M. Kadondo, directeur exécutif de l’Association rastafarienne.

Toutes les formes de culture du cannabis sont illégales au Malawi, qu’il s’agisse de marijuana, avec une teneur plus élevée en THC, la substance psychoactive, et qui est utilisée à des fins médicinales et récréatives, ou encore de chanvre, dont la teneur en THC est négligeable et dont les nombreux usages sont industriels.

Cependant, le pays est connu pour être l’un des premiers producteurs de cette plante de toute l’Afrique australe. Et la variété Malawi Gold, souche particulièrement forte de marijuana (connue localement sous le nom de chamba), est grandement appréciée par les connaisseurs de cannabis du monde entier.

La communauté rastafari du Malawi, fort nombreuse, fait campagne depuis des années pour la légalisation de la culture, de la vente et de la possession de cannabis, puisque fumer de la marijuana est considéré comme l’un des piliers du mouvement rastafari. Cette revendication, autrefois marginale, commence à prendre de l’ampleur face à l’effondrement du cours du tabac sur les marchés mondiaux, alors qu’il représente environ 60 % des recettes en devises du pays.

En parallèle, le soutien international croissant à la dépénalisation et à la légalisation du cannabis s’est traduit par une nouvelle manière de percevoir la plante. Ainsi, la légalisation du chanvre est amplement soutenue, celui-ci pouvant être utilisé dans la fabrication de nombreux produits commerciaux, du textile aux produits de beauté.

Avec la position de plus en plus ferme de la communauté internationale contre le tabagisme, le Malawi perd des millions de dollars en recettes d’exportation. Mais « les Rastas sont convaincus que la légalisation de la culture de la marijuana pourrait radicalement transformer le destin économique du pays », affirme M. Kadondo à Equal Times. En 2018, le prix obtenu aux enchères par les paysans cultivant le tabac au Malawi était de 1,58 USD par kilogramme ; le cannabis pourrait rapporter jusque 30 fois plus.

Storm Kadondo explique que l’Association rastafarienne a écrit à la Commission législative ainsi qu’à la Commission des droits humains du Malawi pour demander instamment au gouvernement de suivre l’exemple de pays tels que l’Uruguay et le Canada qui ont légalisé toutes les formes de cannabis.

« La marijuana a de nombreuses propriétés vitales. L’huile de cannabidiol (plus connue sous le nom de CBD ou d’huile de chanvre) connaît une forte demande en raison de ses éléments curatifs », dit M. Kadondo.

Ras Chikomeni Chirwa confirme. Ce musicien et paysan est devenu une célébrité du jour au lendemain en début d’année lorsqu’il a voulu présenter sa candidature aux élections présidentielles qui doivent se tenir en mai. Bien que sa candidature ait été disqualifiée, puisqu’elle n’était pas conforme aux critères fondamentaux prévus en droit électoral, sa promesse de légaliser le cannabis lui a valu de nombreux partisans.

« Le gouvernement ne parvient pas à adopter une position claire concernant la culture de la marijuana », dit-il à Equal Times. « Le gouvernement se comporte comme si le cannabis était une nouvelle substance, alors que depuis des générations il est utilisé pour guérir de nombreuses maladies et qu’il offre de réelles possibilités économiques au pays. »

Le potentiel économique du cannabis, malgré la chute des prix

D’après un rapport de la Banque mondiale de 2011, le commerce de la marijuana représente environ 0,2 % du PIB annuel du Malawi. Et même si dans certains états des États-Unis (un des principaux marchés mondiaux pour le cannabis) les prix de gros du cannabis ont chuté de jusqu’à 50 % entre 2017 et 2018 parce qu’un grand nombre de producteurs ont inondé le marché, les travaux de recherche menés sur le cannabis par le Brightfield Group estiment que le marché légal du cannabis pourrait croître de 60 % d’ici 2021, atteignant 31,4 milliards USD. Cette évolution pourrait représenter une opportunité brillante pour des pays tels que le Malawi, où les denrées agricoles constituent 80 % de toutes les exportations et où 80 % de tous les emplois sont dans l’agriculture.

La campagne en faveur de la légalisation du cannabis au Malawi a subi un immense bond en avant en décembre dernier avec l’adoption par le Parlement d’une proposition présentée par Boniface Kadzamira, député indépendant du district Ntchisi Nord, au centre du pays, visant à élaborer un projet de loi permettant la culture, la production et la possession de chanvre industriel et de marijuana à des fins médicales. Le Parlement a donné le feu vert à des essais concernant le chanvre industriel, et entre-temps les législateurs débattent du projet de loi.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le parlement du Malawi se penche sur la légalisation du cannabis. Joe Manduwa, ancien vice-ministre de l’Agriculture, fut le premier député à préconiser la culture légale du chanvre industriel, en avril 2000. Aujourd’hui, il maintient sa position.

« La culture du chanvre, une fois devenue légale, pourrait redresser l’économie du pays. En effet, sa production est moins chère que celle du tabac, mais il atteint des prix tout à fait rémunérateurs sur les marchés internationaux », explique M. Manduwa.

D’après lui, en outre, cette culture légale contribuerait à la création d’emplois, ce qui est important dans un pays où les niveaux de pauvreté ne cessent d’augmenter. « Nous nous plaignons des taux de chômage élevés. Or, si la marijuana était légalisée, les jeunes trouveraient un emploi au lieu de traîner dans les rues », affirme-t-il.

Mais de préciser immédiatement qu’il est urgent de mener une campagne d’information pour sensibiliser la population à la différence entre le chanvre industriel et la marijuana.

Tanya Clark, investisseuse britannique, est du même avis. Elle dirige l’Association nationale du chanvre industriel et a mené des travaux de recherche sur le chanvre industriel au Malawi depuis 2015.

« [De nombreux] Malawiens vivent proches de la religion, et c’est justement l’angle religieux qui a porté atteinte à la campagne en faveur de la légalisation du chanvre industriel. En outre, de nombreux Malawiens n’ont pas facilement accès à l’information, et cette lacune fait qu’ils ne voient que les aspects négatifs de la culture du chanvre », dit Mme. Clarke.

Cependant, les partisans d’une interdiction continuent de présager que tout assouplissement des règles concernant le chanvre industriel entraînerait des infractions de la part des cultivateurs, lesquels feraient pousser de la marijuana, ce qui serait susceptible d’accroître l’usage des drogues chez les jeunes du pays.

« Il est vrai que nous pourrions céder aux chants de sirène économiques et nous lancer dans le chanvre industriel, mais il convient de réfléchir aux impacts sociaux et moraux que la législation en matière de marijuana pourrait avoir sur la nation », dit Nelson Bazwell Zakeyo, directeur exécutif de Drug Fight Malawi. Les opposants de la législation tels que Nelson Zakeyo mettent en garde contre l’effet pernicieux de l’usage fréquent de la marijuana, qui va du déclin des fonctions cognitives à l’apparition de troubles psychotiques.

Le Dr. Hetherwick Ntaba, médecin et ancien ministre des Affaires étrangères (1993-1994) qui soutenait déjà la légalisation de la culture du chanvre dès la proposition de M. Manduwa au Parlement il y a 19 ans, précise que la désinformation est assez généralisée concernant l’utilisation de la marijuana, et qu’aucune donnée scientifique ne prouve que cette substance soit plus dangereuse ou addictive que des substances contrôlées telles que le tabac ou l’alcool.

« Le problème au Malawi, c’est que nous sommes trop conservateurs, et que nous traitons le chanvre comme s’il s’agissait d’une nouvelle substance. Les détracteurs de la légalisation de la culture du chanvre affirme qu’elle entraînerait une hausse des taux de délinquance, mais cet argument n’a aucun fondement logique. Au contraire, les bienfaits de la légalisation sont de loin supérieurs à ses inconvénients. »