La Coupe du monde féminine 2019 marquera-t-elle un tournant dans la réduction des inégalités de genre dans le football ?

La France accueille ce mois-ci la Coupe du monde féminine de football, organisée par la FIFA, la fédération internationale de football et la Fédération française de football (la FFF). Les deux fédérations communiquent depuis des mois sur leurs efforts pour réduire les inégalités de genre dans le football, notamment français, en accueillant les nouvelles licenciées dans de meilleures conditions, en fidélisant les anciennes en leur permettant de s’entraîner correctement et de prendre part aux processus décisionnels, en organisant plus de championnats et en prévoyant de diffuser les matchs à la télévision pour augmenter la visibilité des femmes dans le football.

Mais qu’en est-il vraiment des avancées pour la reconnaissance de ce sport comme une profession offrant les mêmes opportunités aux femmes qu’aux hommes et pour un changement d’image auprès du public ? En tant qu’hôte de l’édition 2019, la France se devait de se poser ces questions, car elle sera forcément scrutée par la presse internationale durant tout ce mois de juin.

Rome ne s’est pas faite en un jour, la féminisation du football français non plus. Mais au sein de la FFF, on s’accorde pour dire qu’il y a eu « un changement d’ère côté féminin », ces dernières années. « Tout a changé quand Noël Le Graët est devenu président de la Fédération française de football, en 2011 », se souvient Annie Fortems, pionnière du football féminin. Bien que la section féminine de la FFF existe depuis les années 70, les dirigeants du football français ne se sont pas vraiment intéressés au développement de celle-ci jusqu’en 2012 et la mise en place d’un plan de féminisation.

Bien qu’il y ait près de 160.000 Françaises qui pratiquent ce sport en club, moins de 200 d’entre elles possèdent à ce jour un contrat (le plus souvent à temps partiel) et touchent ainsi une rémunération. Celle-ci tourne autour de 2.400 euros en moyenne, (avec de fortes disparités entre joueuses), quand chez les hommes, elle dépasse les 100.000 euros bruts mensuels, en moyenne, pour ceux qui évoluent en Ligue 1.

L’un des facteurs explicatifs importants est qu’il n’existe pas encore en France de ligue professionnelle féminine. Mais Annie Fortems estime que les choses pourraient peut-être changer après la Coupe du monde.

« En France, il y a un vrai alignement de planètes, comme il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais plus : le fait que la Coupe du monde se passe chez nous, que les politiques soutiennent la FFF, que les médias en parlent tous les jours, que les sponsors suivent les footballeuses… Tous les éléments sont réunis ».

Depuis sa prise de poste en 2014, Frédérique Jossinet, en charge du développement du football féminin au sein de la FFF, travaille activement sur cette Coupe du monde. « L’enjeu est bien plus que sportif. Ce que nous voulons, c’est un rayonnement pour installer définitivement le foot féminin sur l’ensemble du territoire et à l’étranger », explique-t-elle. « Et qu’on arrête de parler de foot féminin, mais de football tout court ! »

Le pivot de cet enthousiasme réside dans le fait que la France soit le pays organisateur [comme en 1998 pour la Coupe du monde masculine] : « on l’a vu en 98 avec les hommes, c’est important que ça se passe chez nous, pour aller plus loin, pour avoir plus de ressources économiques », continue Frédérique Jossinet. En effet, en plus des revenus issus de la billetterie des 52 matchs de la compétition et de la vente de produits dérivés, les droits de diffusion télévisuelle (en forte augmentation depuis la dernière édition, en 2015) pourraient rapporter une manne bénéfique aux projets d’expansion de la pratique pour les femmes. D’autant plus que la FIFA espère franchir la barre du 1 milliard de téléspectateurs, et si cela se confirme, les sponsors devraient suivre.

Des disparités encore trop présentes

Mais générer des profits est une bonne nouvelle pour le sport féminin, si celui-ci peut réellement en bénéficier en terme d’investissements. Le 1er juin dernier, la Norvégienne Ada Hegerberg, l’une des meilleures joueuses mondiales qui a reçu le Ballon d’Or 2018, a pris une décision qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre : elle boycotte le Mondial pour mettre en exergue le sexisme subi dans le football et le manque d’opportunités pour les joueuses.

Une décision personnelle et politique qui fait suite à deux années de conflit avec les dirigeants du football norvégien. Suite à une défaite durant l’Euro 2017, critiquée par les médias de son pays, l’ex-enfant chérie Ada Hegerbeg décline la sélection nationale et se lance dans une bataille sur l’égalité des genres avec sa fédération dans le viseur. « Je suis norvégienne, je suis très fière d’être norvégienne. Je ne représente pas ma fédération, mais je représente mon pays. C’est dur de prendre une telle décision, mais c’est encore plus dur de ne pas être cohérente avec soi-même et avec ses valeurs », avait-elle alors déclaré.

Des évènements qui rappellent ceux de 2017, au Brésil, quand plusieurs joueuses professionnelles avaient, elles aussi, claqué la porte de la « Seleção » nationale pour signifier leur ras-le-bol face au manque de considération de la part de la Confédération brésilienne de football (CBF).

La Fédération norvégienne a finalement réagi en décidant d’aligner le salaire des athlètes femmes avec celui des hommes. Celles-ci ont donc vu leur rémunération doubler, tandis que, pour ce faire, leurs homologues masculins ont consenti une baisse de leur gratification annuelle. Une première mondiale !

Malgré cette avancée, Ada Hegerbeg restera en dehors de la compétition, car elle estime toujours qu’« un grand nombre de choses reste à faire pour améliorer les conditions des femmes qui jouent au football ».

Mettre en lumière les inégalités de salaires aujourd’hui encore en France, revient à lancer un pavé dans la mare. Dans son livre Pas pour les filles ?, l’ancienne joueuse de l’équipe de France, Mélissa Plaza raconte : « dès que je mentionne ces écarts de salaires, on m’oppose le fait que le spectacle offert par les hommes est rentable et attractif, tandis que les femmes n’attirent qu’un public averti très loin de remplir les stades ». Le chemin est encore long, mais les joueuses sont de plus en plus impliquées dans le combat pour plus de reconnaissance.

Ainsi aux États-Unis, les footballeuses, championnes du monde en titre, se sont lancé dans une bataille juridique. En couverture du magazine Time, ce 3 juin, Alex Morgan, capitaine de l’équipe américaine dénonce « la discrimination sexiste institutionnalisée basée sur le genre » que subissent les joueuses. Celles-ci gagnent en moyenne 40 % du salaire des hommes. Dans une plainte déposée en mars dernier, elles avaient dénoncé que leur fédération avait reversé 4,7 millions d’euros de primes à la sélection masculine pour n’avoir atteint que les huitièmes de finale du Mondial au Brésil en 2014. Tandis que pour leur victoire en 2015 comme première du championnat mondial, les femmes n’ont reçu que 1,5 million d’euros de primes.

La plainte des triples championnes du monde ne concerne pas seulement l’argent, mais aussi les conditions de travail. En novembre 2016, les Américaines avaient déjà déposé une plainte auprès de la Commission américaine pour l’égalité des chances en matière d’emploi, accusant leur fédération d’enfreindre les lois sur l’égalité salariale entre hommes et femmes. Elles avaient trouvé un accord en avril 2017 et obtenu une augmentation de 30 %.

En Australie, les joueuses de l’équipe nationale viennent elles de lancer une campagne à destination de la FIFA pour dénoncer l’écart colossal existant entre leurs primes et celles accordées aux hommes. Appuyées par le syndicat qui représente les équipes nationales australiennes féminine et masculine, le Professional Footballers Australia (PFA), les joueuses exigent une augmentation de la dotation (64 millions d’euros au lieu des 33 millions prévus). Interrogé par Sports Illustrated, le porte-parole de la PFA, Julius Ross, a déclaré :

« C’est la première étape d’une action en justice. Le PFA a informé une équipe juridique éminente possédant une vaste expérience du droit du travail, de la discrimination, des conflits de rémunération entre hommes et femmes et des droits humains. Nous pensons que la FIFA a, en vertu de ses statuts, une obligation de médiation et d’arbitrage dans cette affaire. »

Ces combats sont inspirés par celui, précurseurs, des joueuses scandinaves. En octobre 2017, l’équipe féminine du Danemark s’est lancé dans une grève, avec comme point d’orgue l’annulation d’un match de qualification contre la Suède. La raison ? Elles reprochaient à leur fédération de ne pas leur offrir des salaires raisonnables pour couvrir leur engagement en sélection nationale et réclamaient la signature d’une convention collective. En moyenne, elles touchaient 1.460 euros par mois. En boycottant ce match, l’équipe danoise a réussi à obtenir une augmentation de salaire... mais a aussi compromis sa participation au Mondial 2019.

La bataille contre les préjugés sexistes

En plus de la question de la reconnaissance d’un statut professionnel, il y a aussi un travail à entreprendre – notamment au niveau du traitement médiatique et publicitaire – pour que le football féminin se libère des clichés et des préjugés. « Sport de lesbiennes », joueuse « trop musclée pour une fille » ou trop « garçon manqué », « le foot ce n’est pas pour les filles » sont des phrases qu’on entend encore souvent.

Pour lutter contre les stéréotypes, les joueuses allemandes ont décidé de miser sur l’humour – mais pas que. Avec un clip largement diffusé, l’équipe huit fois championne d’Europe demande au public d’au moins connaître leurs noms et s’amuse d’avoir reçu comme récompense pour leur exceptionnelle performance… un service à thé ! Elles taclent également les hommes sur leur virilité exacerbée et avouent ne pas chercher des exemples à suivre chez eux, mais entre elles. Leur message est clair : le football, c’est « leur » jeu.

Pourtant, pour certains, ce mois de compétition cassera peut-être quelques idées reçues, mais il sera impossible d’échapper à de bons vieux clichés. Adèle Bellange, la réalisatrice du podcast L’Olympiade Femelle qui croise féminisme et pratique sportive, relativise l’événement qui va aussi « accroître les clichés liés à la féminité ».

« On attendra des joueuses qu’elles respectent certains codes : cheveux longs, boucles d’oreilles, maquillage. Elles doivent avoir l’air féminines selon les codes attendus par la société. Encore une fois, le corps des femmes est mis en avant, leurs performances sportives seules ne sont pas suffisantes. Les joueuses, et plus largement le foot féminin, sont glamourisés. »

Un passage inévitable peut-être pour plaire aux annonceurs publicitaires, qui auraient eux aussi besoin de revoir leurs codes marketing.

Même constat pour Veronica Noseda, militante contre le sexisme au sein de l’association Les Dégommeuses, fondée en 2012 par des footballeuses qui interviennent à Paris auprès des jeunes pour les sensibiliser aux mécanismes sexistes et homophobes dans le sport. « Il y a une injonction à la féminité », dit-elle sans détour. « Pour justifier le fait de mettre des crampons, on demande aux joueuses d’être hyper féminines, en dehors du terrain », poursuit-elle. Un avis qui peut s’illustrer avec l’exemple de la récente photo de groupe officielle de l’équipe brésilienne, où les joueuses croisaient élégamment les jambes.

Les choses sont donc incontestablement en train de s’améliorer, mais les enjeux restent multiples. Pour les footballeuses professionnelles, la Coupe du Monde sera surtout l’occasion pour elles de montrer qu’elles méritent d’être prises au sérieux. Pour cela, le message répété par toutes les équipes est qu’elles ont bien l’intention de montrer tout leur savoir-faire de jeu, et que salaires et attention du public ne seront que juste récompense.

This article has been translated from French.