L’inquiétante dérive des autorités des Fidji vers un État policier qui cible les syndicats

L'inquiétante dérive des autorités des Fidji vers un État policier qui cible les syndicats

Felix Anthony, national secretary of the Fiji Trades Union Council (FTUC), addresses delegates at the 4th ITUC World Congress in Copenhagen, Denmark on 3 December 2018.

(Horst Wagner/ITUC)

Le gouvernement démocratique restauré aux îles Fidji est redevenu un État policier. Il y a un mois, la solidarité syndicale mondiale a une nouvelle fois dû se mobiliser pour obtenir la libération du dirigeant syndical fidjien emprisonné Felix Anthony. Les syndicats se préparent à présent à soulever ce problème à la conférence annuelle de l’Organisation internationale du Travail (OIT) organisée ce mois-ci, ainsi qu’à la réunion annuelle du Groupe des syndicats du Commonwealth.

Cela fait plusieurs mois maintenant qu’un conflit oppose le Fiji Trades Union Council (FTUC) et le gouvernement de l’ex-dictateur Frank Bainimarama. Plusieurs plaintes n’ont toujours pas été examinées : insuffisance du salaire minimum, réforme incomplète de la législation du travail et contentieux dans le secteur minier et l’industrie du transport aérien.

Par ailleurs, le gouvernement ne respecte toujours pas le Rapport conjoint de mise en œuvre signé il y a trois ans par les partenaires tripartites, en vue d’éviter l’envoi d’une commission d’enquête de l’OIT aux Fidji.

Les syndicats fidjiens avait convenu d’un commun accord d’organiser une journée de protestation le 3 mai, durant la tenue de la réunion annuelle de la Banque asiatique de développement (BAD) aux Fidji. Il avait été conseillé aux travailleurs de rester chez eux ou de se réunir en privé, tandis qu’un autorisation avait été demandée pour organiser une marche publique le lendemain, à 5 km du lieu où se déroulait la réunion de la BAD.

Quelques semaines avant les actions programmées, la haute direction du département de l’éducation a enjoint les enseignants de ne pas y participer. Même si cette journée d’action était prévue durant les congés scolaires, il leur a été expliqué que toute participation serait déclarée illégale et que les enseignants participants pourraient faire l’objet de mesures disciplinaires ou autres – une violation flagrante de la liberté syndicale.

Parallèlement, le FTUC a été informé du rejet de la demande d’autorisation pour la manifestation par l’Autorité fidjienne du réseau routier, invoquant la sécurité publique et la perturbation du trafic routier à proximité du lieu de réunion de la BAD. La police a confirmé l’interdiction – une violation de la liberté d’association.

Une journée d’action marquée par une série d’arrestations et de détentions

Le lundi 29 avril, la police a ordonné à 13 responsables nationaux de la Fijian Teachers Association de se présenter au poste de police le plus proche pour y être interrogés à propos de ce mouvement de contestation. Chacun d’entre eux a subi un interrogatoire de quatre heures, avant d’être relâché.

Le lendemain, les secrétaires générales de la Fiji Nurses Association, Salanieta Matiavi, et de la Fijian Teachers Association, Paula Manumanuitoga, ont été appréhendées par la police et maintenues en détention pendant 48 heures après avoir été interrogées. Le même jour, le représentant syndical du National Union of Workers (NUW), Shiu Lingam, a été détenu durant 35 heures.

Le mercredi 1er mai, Journée internationale des travailleurs, le secrétaire général du FTUC Felix Anthony a été arrêté en présence du directeur du bureau de l’OIT pour les pays insulaires du Pacifique, du directeur général de la Fiji Commerce and Employers Federation, des secrétaires adjoints nationaux du FTUC et du ministre de l’Emploi, de la Productivité et des Relations de travail. Il a été libéré 48 heures plus tard, les syndicats du monde entier ayant protesté avec véhémence contre son arrestation.

Tous les responsables arrêtés ont été incarcérés dans des postes de police différents, certains dans des conditions déplorables.

Peu avant ces violations des libertés syndicales et associatives, l’Office national fidjien des eaux (WAF) avait remis, le 25 avril, un avis de licenciement à plus de 2.000 employés, membres du NUW, leur expliquant qu’ils avaient été embauchés dans le cadre de projets et que ces derniers avaient été suspendus subitement.

Le NUW s’est déclaré opposé à ces licenciements et a tenté, le 30 avril, de soumettre une motion au tribunal du travail pour y mettre un terme, mais ce dernier a refusé de l’examiner, avant la semaine suivante. Au moment où l’affaire a pu être traitée, la présidence a déclaré qu’il était trop tard pour empêcher les licenciements « après coup ».

Les employés, en provenance de diverses régions du pays, se sont tous rendus sur leur lieu de travail le 1er mai, Journée internationale des travailleurs, où les attendaient des policiers armés, postés aux entrées en tenue anti-émeute, menaçant de les arrêter et leur rappelant avec insistance qu’ils n’étaient pas autorisés à pénétrer dans l’enceinte des bâtiments ou à se rassembler devant les entrées.

À Lautoka, deuxième ville des Fidji, les employés ont tenté de se rassembler sur une parcelle appartenant au NUW, après avoir été chassés de leur lieu de travail. Malgré le fait que les employés aient expliqué que cette parcelle était une propriété privée, la police a néanmoins tenté de les disperser par la force.

Refusant de quitter les lieux, les 29 employés ont été arrêtés et placés en détention pendant 48 heures, accusés de rassemblement illégal en vertu de la loi amendée de 2012 relative au maintien de l’ordre public, datant de l’époque de la dictature militaire. Il a finalement été convenu du paiement d’une caution, outre l’application d’un couvre-feu et la restriction drastique des déplacements à l’étranger.

Dans la capitale Suva, les forces anti-émeutes sont entrées dans les bâtiments du FTUC et ont demandé aux employés de quitter les lieux. Les policiers, en grand nombre, ont occupé le bâtiment toute la journée et ont attendu que tous les membres s’en soient allés. Il leur a été expliqué qu’ils n’avaient pas le droit de se réunir, même dans l’enceinte de leurs bureaux, et qu’ils ne pouvaient pas être vus en train de participer à une réunion.

Le jeudi 2 mai, à 8h30 du matin, la police a ordonné le retrait de toutes les banderoles, affiches et tentes installées dans les bâtiments du FTUC. À la mi-journée, les officiers de police ont déclaré que plus aucune nourriture ne pourrait être acheminée aux plus de 300 employés rassemblés dans les bureaux après l’heure du déjeuner, de 13 à 14 heures. Le jour suivant, il leur a été interdit de consommer la boisson nationale kava, ou même des jus, dans le bâtiment ou les bureaux.

Les membres du syndicat ont également reçu l’ordre de ne rien publier ou « diffuser en direct » sur les réseaux sociaux. La plupart des policiers présents sur les lieux étaient en réalité des militaires habillés en uniforme de police.

Le harcèlement policier s’intensifie

« Les intimidations auxquelles se livre la police sont la pire des choses que nous ayons eu à subir dernièrement », déplorent les syndicalistes fidjiens. Mais ce n’était qu’un début. Les intimidations et autres avertissements du gouvernement, ainsi que la détention de plusieurs dirigeants, ont poussé le bureau exécutif du FTUC à reporter les manifestations.

Malgré cela, le 30 avril, la police a mené une perquisition dans les bureaux du NUW à Lautoka, emportant un ordinateur portable et un ordinateur de bureau. Le 2 mai, la police a organisé une fouille au siège du FTUC à Suva et a emporté des équipements personnels tels que des supports USB et des périphériques de stockage de fichiers, ainsi que l’ordinateur central du bureau et les dossiers de documents papier contenant les communiqués de presse du syndicat, les conventions collectives entre le NUW et la WAF, le Rapport conjoint de mise en œuvre et les bilans financiers. Trois membres du personnel ont été interrogés séparément à propos du travail du FTUC et de leur rôle dans l’organisation du mouvement de contestation, de la manifestation et du rassemblement des employés de la WAF dans les bureaux du syndicat.

Le lendemain, il a été demandé à Felix Anthony de remettre son téléphone et son ordinateur portable. Il a ensuite été arrêté par la police le samedi 5 mai, alors qu’il effectuait un trajet de quatre heures en voiture avec sa famille. La police a déclaré vouloir procéder à une inspection du véhicule, elle a ensuite vérifié son permis de conduire et ne l’a autorisé à poursuivre sa route qu’après avoir contacté une personne par téléphone.

Le FTUC en déduit que le gouvernement tente d’asphyxier les syndicats et de priver les travailleurs de leurs droits fondamentaux de se réunir pacifiquement, de manifester et de participer à la négociation collective.

À l’instar de la WAF, diverses autres institutions administrées par le gouvernement insistent pour imposer des contrats individuels à durée déterminée aux enseignants, au personnel infirmier et aux employés de la fonction publique. Il ne s’agit là que d’un nouveau moyen d’atteindre les objectifs du « Décret sur les services nationaux essentiels » de la dictature militaire, bien que ce décret ait été révoqué après l’accord tripartite reportant une commission d’enquête de l’OIT.

Hélas, le système tripartite s’est effondré, le gouvernement ayant choisi de prendre des mesures unilatérales pour toutes les questions professionnelles, au mépris de la législation requérant une consultation tripartite. Devrons-nous attendre encore longtemps avant que l’OIT et le Commonwealth soient une nouvelle fois appelés à sanctionner cet État policier paria de l’« Oncle Frank » [Frank Bainimarama]?