La Convention sur la violence et le harcèlement a marqué notre histoire – le moment est venu de la mettre en œuvre

L’euphorie qui a envahi la salle en dit long. Debout, les travailleurs, les gouvernements et même certains employeurs, ont applaudi l’adoption de la Convention sur la violence et le harcèlement 2019 par la Conférence internationale du Travail (CIT). Un combat difficile et de longue haleine, ainsi que dix années de campagnes syndicales. L’événement a également offert une excellente occasion de célébrer le 100e anniversaire de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Tout a commencé par le besoin de convaincre les gouvernements et les employeurs membres de l’OIT de la nécessité de définir des normes internationales pour prévenir la violence sexiste à l’égard des femmes. Une résolution adoptée en 2009 par la CIT reconnaissait déjà les conséquences dramatiques de la violence sexiste sur la dignité des femmes, leur sécurité et leur autonomie au travail, qui, souvent, les excluent de facto de la sphère de l’emploi. Cette résolution réclamait l’interdiction de toute violence sexiste sur le lieu de travail, ainsi que la mise en œuvre de politiques, programmes et autres mesures législatives pour la prévenir.

Ayant constaté des différences considérables d’un pays à l’autre concernant les dispositions légales visant à prévenir la violence sexiste sur les lieux de travail, les syndicats ont immédiatement demandé à l’OIT, par l’entremise de sa conférence du travail annuelle, de négocier une législation internationale contraignante en matière de travail (ou une convention) destinée à prévenir la violence sexiste à l’égard des femmes, partout dans le monde.

Afin que la CIT puisse commencer à définir des normes, le conseil d’administration de l’OIT doit tout d’abord reconnaître l’existence d’un problème et la nécessité d’y remédier. Si certains gouvernements défendaient dès le départ le principe d’établir des normes contraignantes, beaucoup d’autres restaient à convaincre. D’autre part, le groupe des employeurs au sein de l’OIT était fermement opposé au projet, soutenant que cette problématique, aussi importante soit-elle, ne nécessitait pas de définir de nouvelles normes légales. Le mouvement syndical et divers partenaires de la société civile ont organisé une campagne conjointe pour gagner le soutien en faveur d’une convention de l’OIT. Après plusieurs années de tâtonnements, l’OIT a finalement lancé, en 2015, un processus visant à établir des normes pour éliminer la «  violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail  », reconnaissant que si les femmes sont nettement plus exposées aux risques de la violence, n’importe qui peut en être victime sur son lieu de travail.

Adopter des normes de l’OIT est un processus de longue durée, au cours duquel, dans ce cas-ci, interviennent des consultations avec les gouvernements, les syndicats et les employeurs, divers rapports et réunions d’experts, ainsi que des négociations tripartites. Parallèlement, les révélations foudroyantes, dénonçant violence et harcèlement fondés sur le genre dans le monde du spectacle, ont fait le tour des réseaux sociaux via le mouvement #MeToo, accentuant l’ampleur et l’urgence du problème. Si les femmes bénéficiant d’une sécurité d’emploi, occupant des postes à responsabilités et influents, sont restées si longtemps silencieuses face à la violence et au harcèlement fondés sur le genre qu’elles enduraient, il est aisé d’imaginer à quel point la situation doit être pire encore dans des secteurs tels que la vente de vêtements, le travail domestique, le commerce de rue, les transports, l’hôtellerie ou la santé.

Le cadre de normes professionnelles le plus complet à ce jour

Le 21 juin 2019 marque un tournant dans l’histoire. La Convention sur la violence et le harcèlement (C190) et la Recommandation (R206) qui l’accompagne forment probablement le cadre de normes professionnelles le plus large jamais adopté par l’OIT, instituant le droit de chacun de travailler dans un environnement professionnel exempt de violence et de harcèlement. Classant la violence et le harcèlement dans la catégorie des comportements et pratiques inacceptables, cette convention met en exergue les dommages causés, qu’ils soient physiques, psychologiques, sexuels ou économiques. Elle reconnaît et définit aussi les caractéristiques spécifiques de la violence et du harcèlement fondés sur le genre.

La convention s’applique à tous les secteurs, que ce soit dans l’économie informelle ou formelle, en zones rurales ou urbaines. Elle concerne tous les travailleurs, tous statuts contractuels confondus : postulants, demandeurs d’emploi, bénévoles, candidats en formation, stagiaires et travailleurs licenciés. Elle reconnaît par ailleurs que les personnes victimes d’actes de violence ou de harcèlement, aggravés par la discrimination et les inégalités, doivent bénéficier de la protection la plus renforcée qui soit. Personne n’est laissé pour compte.

La Convention 190 étend le concept de l’environnement professionnel au-delà du lieu de travail immédiat, couvrant les situations ayant un lien direct ou indirect avec le travail, comme les excursions, voyages ou autres activités sociales en lien avec la profession exercée, de même que le cyberharcèlement, et demande que soient pris en considération la violence et le harcèlement imputables à des tiers, qu’il s’agisse de clients, de patients ou de simples particuliers.

La convention demande que des mesures soient mises en place pour atténuer l’incidence de la violence domestique sur l’emploi, offrant un filet de sécurité aux victimes de violence domestique qui risqueraient, en d’autres circonstances, de perdre leur emploi ou de devoir choisir entre salaire et sécurité.

L’approche de cette convention novatrice et visionnaire consiste à reconnaître que la violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique enraciné dans des relations de pouvoir inégalitaires et abusives au sein de la société et dans le monde du travail, et ancré dans des systèmes d’oppression interdépendants.

Elle appelle les gouvernements à mettre en place les dispositions légales et politiques nécessaires pour prévenir, dénoncer et faire cesser la violence et le harcèlement (fondés sur le genre), et permettant de déterminer clairement les responsabilités.

Tout l’enjeu consiste maintenant à garantir la ratification et la mise en œuvre de la Convention 190. L’Uruguay devrait être le premier pays à la ratifier et, perspective encourageante, plusieurs autres pays, dont la Namibie, l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la Belgique, l’Espagne, la France et l’Irlande ont déjà exprimé le souhait d’y apposer leur signature le plus rapidement possible. Les syndicats et leurs partenaires devront à nouveau se mobiliser pour faire en sorte que cette ratification devienne une réalité. Le 7 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent, les syndicats uniront leurs forces pour revendiquer le droit de tous les membres du personnel aidant de recevoir un salaire minimum décent et une rémunération égale pour un travail de même valeur, et de se voir garantir santé et sécurité sur leur lieu de travail, ainsi que des environnements professionnels exempts de discrimination et de harcèlement.

La Convention 190 et la Recommandation 206 qui l’accompagne apportent espoir et conviction. L’espoir de reléguer dans le passé la violence et le harcèlement en milieu professionnel et la conviction que le pouvoir des syndicats professionnels, et notamment celui des femmes syndicalistes, pourront transformer nos réalités dans le monde du travail.