Comment combattre le fléau des faux médicaments en Afrique? L’exemple du Bénin

Comment combattre le fléau des faux médicaments en Afrique? L'exemple du Bénin

Police and gendarmes destroying fake medication in Abomey-Calavi, Benin, on 15 June 2016, after busting suppliers in a trade that has become more lucrative than drug trafficking.

(Gratien Capo)
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Dans la boutique de Dadjè [nom d’emprunt], situé dans le quartier d’Agla à Cotonou, un espace vide, à l’angle gauche du grand comptoir qui se dresse au milieu du local, attire l’œil. C’est la place qu’occupait précédemment le bocal des médicaments. « C’est un commerce assez enrichissant, mon époux et moi en tirions, par le passé, le tiers de notre chiffre d’affaires, mais nous avons été contraints d’y mettre fin. La série de dernières arrestations, nous a dissuadé », explique l’épouse de Dadjè, cogérante de cette boutique qui vend un peu de tout.

Au Bénin, la population a longtemps eu facilement accès à toutes sortes de médicaments, sans ordonnances, mais surtout dans la plupart des cas, contrefaits. « Dans les rayons illicites, on retrouve des antipaludéens, des vermifuges, des vitamines, quelques antibiotiques, des antalgiques, des hypotenseurs utilisés de façon courantes… », à en croire Ernet Gbaguidi, président de l’association Bénin Santé et Survie du Consommateur. D’après les estimations des diverses organisations de santé, de 40 % à 70 % des médicaments en circulation en Afrique seraient faux ou mal dosés.

Évidemment, ce sont des produits mal conçus et nuisibles pour la santé, causant la mort de plusieurs millions de personnes chaque année : « Les médicaments issus de ces rayons illicites sont souvent sans principe actif. Il y en a qui sont à l’origine de l’ulcération au niveau de l’estomac, d’insuffisance rénale, d’intoxication hépatique et d’autres symptômes imprévisibles », explique-t-il.

Depuis 2016, le gouvernement béninois a commencé à prendre de sérieuses mesures pour mettre fin à ce marché lucratif.

La prise de conscience a démarré en 2009 avec l’Appel de Cotonou contre les faux médicaments, qui encourage la mobilisation internationale contre l’impunité des trafiquants. L’objectif était d’encourager les professionnels de la santé et les autorités africaines à agir au-delà des discours. Il aura fallu attendre sept années pour voir réellement s’amorcer les premières actions.

L’Acte 1 a été lancé le 24 février 2017, avec l’opération « Pangéa 9 » du gouvernement du président Patrice Talon. D’après les statistiques de sources officielles : « plus de 80 tonnes de médicaments ont été saisies en quelques mois, contre 4 tonnes en 2015 ».

À ce bilan s’est ajoutée une centaine d’arrestations de vendeurs de faux médicaments. Les saisies ont été opérées sur l’ensemble du territoire, dans les principaux marchés. L’action la plus marquante s’est déroulée courant février 2017 à Adjégounlè, connu comme le secteur des « pharmacies à ciel ouvert » du grand marché Dantokpa à Cotonou. Assan, tenancier d’un commerce d’électroménager situé non loin dudit secteur, témoigne pour Equal Times: « Nous sommes arrivés au marché comme à l’accoutumé, quand ce matin-là des hommes en uniformes sont apparus, descendant par lots de leurs véhicules. Ils ont bloqué les issues un peu partout, après ça ils ont cassé les boutiques et ramassé les médicaments. Ils ont embarqué au fur et à mesure toute personne s’affichant sur les lieux comme propriétaire ou vendeur de faux médicaments. Ce secteur du marché a été interdit d’accès pendant plusieurs jours ». Autour de l’échoppe d’Asan, aujourd’hui, des étalages de divers produits ont émergé en remplacement des îlots de faux médicaments observés par le passé.

Désormais, plus de trace de commerce de médicaments dans les rues, du moins officiellement. Les pharmacies connaissent plus d’affluence que par le passé. Sous anonymat, une pharmacienne témoigne : « Depuis que la lutte a démarré effectivement, beaucoup viennent vers nous pour acheter des produits. Ce que nous vendons le plus c’est le paracétamol et d’autres produits contre la fatigue ».

Cette volonté politique affichée ne réjouit pas seulement les pharmaciens, mais aussi les acteurs de la société civile. Théophile Dossou, syndicaliste au Centre national hospitalier universitaire (CNHU) de Cotonou souligne : « les faux médicaments tuent plus vite que les maladies. Quand vous allez au service de dialyse, au CNHU vous allez trouver beaucoup de Béninois souffrants des conséquences de l’usage des faux médicaments ».

Remonter la filière vers les fournisseurs

Pangéa 9 a donc été une première réussite, mais les autorités ne se sont pas arrêtées en si bon chemin. Un autre défi s’est présenté : s’attaquer aux fournisseurs. De source policière, il y aurait dans le lot de ces fournisseurs, des personnes hauts-placées, car c’est un trafic bien souvent plus lucratif que celui de la drogue. Jean-Baptiste Elias, président du Front des Organisations Nationales de lutte contre la Corruption (FONAC) affirmait pour sa part : « Il n’y a jamais de trafic de faux médicaments sans corruption ».

En décembre 2017, la police a ainsi effectué une descente musclée au domicile d’un député : Mohammed Atao Hinnouho. Une perquisition qui a permis la saisie de plusieurs centaines de cartons de produits pharmaceutiques et consommables médicaux que le politicien gardait chez lui. Une enquête ouverte dès lors a mis en cause la responsabilité d’un certain nombre d’acteurs, dont des pharmaciens. Ceux-ci échangeaient avec les hommes du député incriminé, a révélé la justice béninoise.

Les grossistes-répartiteurs sont autorisés par le ministre de la Santé (5 entreprises au total) pour importer et distribuer au Bénin les médicaments – fabriqués sur place ou le plus souvent en Asie, et doivent suivre des guides de bonnes pratiques. L’enquête de la justice a révélé des circuits illégaux et de nombreux manquements aux règles. Plusieurs grossistes ont donc été condamnés à des amendes pour leur implication ou la non-dénonciation des faits, malgré leurs efforts pour clamer leur innocence. Toute cette enquête, mêlant corruption, délinquance et position des politiques a été largement médiatisé sur plusieurs mois.

Vers une normalisation du secteur

Pour le gouvernement, le travail de la police et de la justice dans ce domaine favorise son image. « L’arsenal en place au Bénin ne laisse plus aucun répit aux trafiquants de faux médicaments », disait fièrement le président béninois Patrice Talon, le 23 mai 2018, au pupitre de la conférence de Genève sur les faux médicaments. Le gouvernement affiche aussi sa volonté de restaurer les bonnes pratiques. Il souhaite renforcer les moyens du Laboratoire National de contrôle de la qualité des médicaments et mettre en place une commission afin de procéder à la relecture des textes régissant le secteur pharmaceutique dans le but de renforcer le cadre législatif. Le Conseil national de l’ordre des pharmaciens du Bénin a été suspendu en Conseil des ministres, le 14 mars 2018, en vue d’une réorganisation.

Sur le continent africain, la lutte contre les faux médicaments devient une préoccupation de plus en plus grandissante. Lors du 32e Sommet des chefs d’États et de gouvernement de l’Union africaine, en février 2019 en Éthiopie, les leaders politiques africains ont décidé de la création de l’Agence africaine du médicament, avec pour objectif de « réglementer les produits médicaux en vue d’améliorer l’accès à des produits médicaux de qualité, sans risques et efficaces sur le continent. »

Les États africains doivent encore ratifier le traité qui mettra en œuvre cette collaboration internationale. L’un des rôles de l’agence sera entre autres de mutualiser les expertises de chaque pays dans la lutte à l’échelle nationale pour en faire profiter aux autres pays. L’expérience du Bénin pourra ainsi être mise à profit des autres pays pour renforcer la lutte.

This article has been translated from French.