Voici comment la société civile peut repousser la haine pour qu’elle devienne marginale

Pour le mouvement argentin en faveur de la légalisation de l’avortement, mené par les féministes, l’investiture du nouveau président en novembre 2019 a marqué un tournant après dix ans de lutte.

À l’issue de sa victoire électorale, le président entrant Alberto Fernández s’est engagé publiquement à dépénaliser l’avortement en Argentine. Cet engagement est l’aboutissement d’une intense campagne de la société civile, dans le cadre de laquelle s’étaient tenues, quelques mois auparavant, des manifestations de grande ampleur, alors qu’un projet de loi était présenté au Parlement.

Ces mobilisations ont contribué à mettre en exergue que les groupes confessionnels conservateurs amplement financés et extrêmement bien organisés qui s’opposaient ouvertement à l’avortement ne représentaient pas une grande partie des électeurs argentins. Ce qui était encore un sujet tabou quelques années plus tôt devint un des principaux thèmes débattus lors de la campagne électorale.

Cette réussite exemplaire s’inscrit dans un contexte d’atteintes accrues aux droits humains, caractérisées par la préoccupante montée en puissance de groupes non étatiques opposés aux droits, non seulement en Amérique latine mais partout dans le monde.

Le récent rapport publié par CIVICUS, l’Alliance mondiale de la société civile, fait état de la prévalence, prééminence et puissance accrues des groupes qui s’acharnent à contrer les droits humains – et des organisations qui les défendent. Ces groupes se positionnent au sein de la société civile mais s’attaquent aux droits humains. Ils gagnent en visibilité à mesure qu’ils prennent confiance, grâce à des ressources croissantes et à un maillage renforcé entre eux, même au-delà des frontières.

Ce retour de flamme du militantisme conservateur opposé aux droits grignote, un peu partout dans le monde, des droits chèrement acquis. Mais, comme ce fut le cas en Argentine, une riposte impressionnante de la société civile est en cours, qui cherche à édifier des coalitions chaque fois plus nombreuses, à atteindre des personnes d’horizons chaque fois plus variés en d’adressant à des cibles qui n’étaient pas les siennes auparavant.

Une communication efficace et créative

Si le mouvement argentin en faveur des droits relatifs au genre et à la reproduction a été en mesure de recueillir l’appui de centaines de milliers de personnes, en particulier de femmes, c’est parce qu’il a établi de plus fortes connexions avec les citoyens et les communautés locales, et parce qu’il a eu recours à une communication efficace et créative.

Mais c’est là juste une des nombreuses réponses que la société civile peut et doit formuler pour lutter contre la vague des anti-droits.

Sachant que nombre des attaques contre les droits sont le fait de groupes confessionnels ultraconservateurs qui donnent une interprétation étroite et sélective des textes et traditions religieuses, de nombreux groupes de la société civile s’efforcent désormais de tisser des liens avec des groupes confessionnels plus modérés, afin de faire front commun face à l’extrémisme tout en avançant des arguments de soutien aux droits fondés sur la religion.

En Amérique latine, une coalition entend regrouper les groupes confessionnels les plus modérés afin qu’ils puissent défendre ensemble les droits des femmes. En Malaisie, la société civile s’est mise à interagir avec les organisations musulmanes qui prennent part aux processus onusiens pour tenter de leur faire percevoir la discrimination subie par les personnes LGBTQI. En Ouganda, une organisation de la société civile s’est mise à utiliser le langage biblique pour faire accepter la nécessité d’accéder à une éducation sexuelle de base et à des services VIH/sida. Des responsables de campagne LGBTQI au Botswana se tournent également vers des groupes confessionnels modérés, à la suite d’un arrêt historique rendu l’année dernière qui dépénalise les relations homosexuelles et de la violente réaction entraînée par cette décision au sein des groupes ultraconservateurs.

La riposte concertée de la société civile peut également prévoir l’intervention des partis politiques, lesquels peuvent être encouragés à adhérer à des normes minimales de respect des droits, comme l’a fait la société civile LGBTQI en Lettonie. Et la société civile met davantage l’accent sur les réseaux internationaux d’appui, ne fût-ce qu’en réponse au fait que les forces anti-droits partagent de plus en plus leurs ressources, compétences et stratégies à l’international, comme démontré par le financement des forces ultraconservatrices du Botswana par des groupes évangélistes ayant leur siège aux États-Unis.

Pour l’essentiel, les alliances contractées par la société civile doivent être vastes, réunir tous ceux qui soutiennent les droits fondamentaux et qui sont révoltés par les graines de la haine, de la discorde et du conflit semées aujourd’hui de manière délibérée et calculée dans tant d’endroits du monde.

Nos efforts en tant que société civile seront d’autant plus efficaces s’ils vont de pair avec des mobilisations de masse qui démontrent le soutien populaire aux droits et qui défient les positions de ceux qui cherchent à récuser ces droits, éventuellement en organisant des contre-protestations lorsque les forces anti-droits cherchent à s’approprier l’espace public et à monopoliser le discours public. Le type de mobilisations qui fut essentiel dans la victoire des groupes argentins de défense des droits.

En Pologne, les tentatives des groupes extrémistes religieux de restreindre encore davantage le cadre juridique national de l’avortement, déjà assez limité, avaient au départ obtenu le soutien du parti au pouvoir. Mais elles ont à nouveau échoué, grâce aux manifestations de grande envergure organisées à maintes reprises sans flétrir, démontrant le pouvoir des femmes, ce qui a poussé le gouvernement à revenir sur sa position. En Irlande, les droits à l’avortement et au mariage homosexuel ont été remportés en dépit d’une opposition farouche et ce, grâce à une combinaison de mobilisation de base, de campagnes en ligne et de manifestations massives.

Nous observons, partout dans le monde, que la société civile ne sombre pas dans le désespoir, mais qu’elle s’engage au contraire encore plus dans la lutte en faveur des droits fondamentaux. De nombreuses réponses sont à la disposition de la société civile, qui passent toutes par l’ouverture et l’établissement de nouveaux liens, par l’écoute et la capacité de tenir des conversations inhabituelles, ainsi que par l’aptitude à communiquer de manière créative. C’est avec ce type de réponses que nous pourrons prouver, en tant que société civile, que nous sommes le courant le plus représentatif et ainsi faire en sorte que les forces de la haine deviennent marginales.