Au Portugal, le renouveau de la production de liège autrefois chancelante et devenue durable

Au Portugal, le renouveau de la production de liège autrefois chancelante et devenue durable

In this 18 July 2011 file photo, a worker checks cork disks to be used in champagne bottle stoppers being produced at a plant in Coruche, Portugal.

(Armando Franca)

Chaque été, dans la région de l’Alentejo au sud du Portugal, des travailleurs armés de haches, aussi aiguisées que des rasoirs, consacrent leurs journées à l’opération minutieuse de la récolte du liège. C’est un travail hautement qualifié, fondé sur des méthodes éprouvées depuis des siècles, entièrement manuelles, qui impliquent de séparer avec soin l’écorce extérieure de l’écorce-mère. Les planches de liège seront ensuite séchées, puis transformées. Un chêne-liège peut vivre plus de 200 ans ; à partir de ses 25 ans, il pourra être prélevé tous les neuf ans.

Jusqu’à il y a quelques années, l’industrie séculaire du liège au Portugal était en plein déclin. En effet, la crainte que ne survienne le « goût de bouchon » qui gâte le vin avait entraîné l’essor des bouchons fabriqués à partir de matériaux synthétiques, de verre et de métal. Or, les bouchons de liège représentent 70 % des exportations de liège portugaises. Aujourd’hui environ 40 millions de bouchons de liège sont fabriqués tous les jours au Portugal, mais la demande de liège, produit durable, recyclable et biodégradable, a largement dépassé le secteur du vin.

Le liège est un produit extrêmement versatile, allant d’un substitut du cuir pour les végan, à une option naturelle pour les revêtements de sol. Le Portugal en produit près de 100.000 tonnes par an, soit 63 % de la production mondiale, pour une valeur d’environ 986,3 millions d’euros. Les porte-parole du secteur soulignent également qu’en offrant des emplois décents, « verts » et qualifiés à des milliers de travailleurs, il donne un exemple remarquable en cette transition mondiale vers une économie à faible émission de carbone.

Au Portugal, le plus grand producteur mondial de produits à base de liège, Corticeira Amorim, travaille actuellement à des solutions permettant de construire une maison entière en liège, grâce à un système de construction modulaire. Le liège est également à l’honneur chez Mercedes-Benz pour réaliser un prototype de voiture écologique, avec du liège depuis le tableau de bord jusqu’au volant. Le liège est aussi utilisé dans le bâtiment pour des joints d’expansion, des entrepôts frigorifiques, des tuyaux de chauffage et de conditionnement de l’air et dans les socles de machines.

L’efficience énergétique du liège acquiert encore plus d’importance à l’heure où le monde s’efforce de rafraîchir les températures en hausse à cause de l’émission des gaz à effet de serre. En outre, le chêne-liège est le seul arbre dont on puisse retirer l’écorce sans le tuer, ce qui permet de multiples récoltes.

Le chercheur Rui Novais de l’université portugaise d’Aveiro et son équipe sont en train de mettre au point de nouvelles applications pour le liège, notamment dans le secteur de la construction. Ils travaillent en particulier sur un ciment écologique contenant du liège qui peut remplacer les matériaux d’isolation thermique traditionnels. Son équipe s’est également penchée sur la possibilité de produire des combustibles renouvelables à partir de céramiques à base de liège qui sont utilisées comme catalyseurs, sous de la lumière solaire focalisée, pour séparer le dioxyde de carbone.

« Nous nous sommes concentrés sur des matériaux qui s’inscrivent dans le contexte de l’économie circulaire », explique Rui Novais à Equal Times. « Un changement de paradigme est indispensable. L’extraction du liège se fait tous les dix ans, par un procédé naturel. L’arbre n’est pas endommagé, et sa capacité d’absorption du CO2 rend le système deux fois plus avantageux. »

Parmi d’autres découvertes, le chercheur et son équipe ont constaté que si l’on ajoute du liège à des éco-ciments, ce matériau fournit une bonne isolation thermique et acoustique qui peut protéger efficacement les bâtiments. « Il y a deux applications distinctes : d’une part, pour protéger les bâtiments contre la pollution à radiation électromagnétique nous devons ajouter de petites quantités de liège pyrolysé, et d’autre part pour obtenir des isolants thermiques et acoustiques nous utilisons de gros volumes de liège [sans aucun traitement préalable] », explique Rui Novais.

Sylviculture durable

La durabilité revêtant un intérêt croissant, des investissements considérables ont été effectués afin de permettre le développement de nouvelles manières d’utiliser le liège, parfois surprenantes. Mais le secteur doit également relever le défi d’une meilleure gestion des 736.000 hectares de chênaies du Portugal.

« La gestion durable des forêts est extrêmement importante », dit Angela Morgado, directrice exécutive de l’Associação Natureza Portugal (Association Nature Portugal, ANP), ONG portugaise sans but lucratif qui s’occupe de la conservation de la nature et de la protection de la planète, en partenariat avec le Fonds mondial pour la nature (WWF). « Mieux les forêts seront gérées, plus elles seront préservées ; en outre nous savons que les forêts apportent de nombreux bienfaits environnementaux tels que la rétention de gaz carbonique et la régulation des sols. »

À mesure que le changement climatique mène à des saisons sèches chaque fois plus longues, les forêts de chênes-lièges sont un instrument important pour éviter les feux de forêt tels que ceux, dévastateurs, de Pedrógão Grande en 2017.

En 2006 déjà, le WWF, dans un rapport intitulé Cork Screwed?, avertissait que l’avenir des 2,7 millions d’hectares de forêts de chênes lièges du Portugal, d’Espagne, d’Algérie, du Maroc, d’Italie, de Tunisie et de France était compromis, avec un risque de désertification et de feux de forêts si le déclin (alors prévu) du marché des bouchons de liège entraînait une conversion de ces surfaces à d’autres productions, néfastes du point de vue environnemental.

Aujourd’hui, le projet Green Heart of Cork, mené conjointement par le WWF et l’ANP, vise à protéger la plus grande surface de forêt de chênes-lièges au monde, dans la basse vallée des bassins fluviaux du Tage et du Sado, en rétribuant les propriétaires terriens qui contribuent à de bonnes pratiques agricoles et sylvicoles. « Le fait que les forêts de chênes-lièges soient semi-naturelles implique qu’elles doivent être gérées, car sinon elles courent le risque d’évoluer vers un autre type de système », explique Rui Barreira, directeur de la conservation pour WWF/ANP.

Le Portugal est gravement touché par la désertification, due en partie à son climat sec. Or, les chênaies sont un instrument de protection important contre la désertification. En effet, lorsqu’elles sont bien gérées, elles créent une diversité biologique accrue, augmentent le matériau organique des sols et contribuent à la régulation du cycle hydrologique. L’Institut supérieur d’agronomie (ISA) du Portugal estime que les forêts de chênes-lièges peuvent fixer près de 6 tonnes de CO2 par hectare, ce qui se traduit dans le pays par plus de 4 millions d’hectares par an, raison pour laquelle le chêne-liège est considéré comme une « espèce prioritaire » par le WWF/ANP dans la lutte contre la désertification et le changement climatique.

Emplois verts et décents

Même si la récolte du liège se fait à la main, avec des techniques séculaires, il n’en reste pas moins que la technologie joue un rôle croissant dans l’industrie du liège. Des entreprises, telles que Corticeira Amorim, investissent considérablement dans l’innovation ; par exemple, une technologie de dépistage appelée NDtech utilisée pour le contrôle de qualité vise à éliminer le trichloroanisole (TCA), un des composés chimiques responsables du fameux « goût de bouchon ».

La filière du liège donne des emplois directs à entre 12.000 et 14.000 travailleurs au Portugal, qui viennent s’ajouter aux 6.500 emplois de l’extraction forestière et à des milliers d’emplois indirects, d’après le WWF/ANP. Les travailleurs chargés de l’extraction de l’écorce du chêne-liège sont appelés tiradors (« leveurs ») et bien que leur travail soit de courte durée et saisonnier (puisque l’écorçage se fait généralement entre juin et juillet), ils reçoivent une rémunération journalière d’entre 80 et 120 euros, ce qui est un bon salaire dans le Portugal rural. La plupart des leveurs ont une couverture médicale et bénéficient d’autres prestations sociales.

L’introduction de nouvelles technologies permet aussi de créer de nouvelles fonctions pour des diplômés. .

D’après un article de 2018 sur Forbes, le NDtech de Corticeira Amorim a créé des emplois pour une nouvelle génération de salariés ayant un certain niveau d’instruction ; il s’agit au total de plus de 700 nouveaux emplois

Même dans les fonctions administratives, les emplois du secteur du liège tendent à se retrouver au-dessus de la moyenne en termes de rémunération et de conditions de travail, d’après le syndicat portugais SINDCES. « C’est un secteur dynamique parce qu’il est tourné vers les exportations et qu’il s’adapte pour proposer d’autres produits, au-delà de l’industrie vinicole, par exemple des produits destinés à la construction », dit Pedro Barqueiro de SINDCES.

L’APCOR, principale association portugaise du secteur du liège, est optimiste quant à l’avenir du secteur. Dans une déclaration écrite envoyée à Equal Times, elle affirme que celui-ci a connu une augmentation salariale de 2,4 % en moyenne l’année dernière. L’APCOR précise en outre : « Au cours des dernières années, la filière du liège a enregistré une augmentation annuelle de 4,5 % en moyenne, et a atteint en 2018 une valeur de 1 milliard d’euros. Cette valeur a légèrement augmenté en 2019, pour atteindre 1,064 milliard. Ces chiffres nous permettent de regarder l’avenir avec enthousiasme et optimisme.  »