L’Indice CSI des droits dans le monde dénonce les failles du modèle économique mondial – un nouveau contrat social peut nous aider à en bâtir un nouveau

Certains pays utiliseront la crise de la Covid-19 pour accélérer leurs atteintes aux droits des travailleurs, mais nous pouvons recourir à l’Indice CSI des droits dans le monde pour arrêter et inverser cette tendance.

Nous devons le faire car l’Indice 2020 des droits dans le monde dénonce la rupture du contrat social entre gouvernements, employeurs et travailleurs, alors que les violations des droits des travailleurs et des travailleuses n’ont jamais été aussi nombreuses depuis sept ans. La démocratie et la liberté font l’objet d’attaques soutenues.

Les gouvernements et les employeurs ont restreint les droits des travailleurs et des travailleuses en limitant la négociation collective, en violant le droit de grève et en excluant des travailleurs des syndicats. Ce comportement s’est aggravé, compte tenu d’une hausse du nombre de pays qui entravent l’enregistrement de syndicats.

Pas moins de 85 % des pays ont violé le droit de grève. Des grèves et des manifestations ont été interdites au Bélarus, en Guinée, au Sénégal et au Togo, et ont été réprimées avec une violence inouïe en Bolivie, au Chili et en Équateur. En Iran et en Iraq, des arrestations collectives ont eu lieu lors de manifestations.

Quatre-vingts pour cent des pays ont violé le droit de négociation collective. L’Égypte et le Honduras ont décidé de contourner les droits de négociation collective en entravant l’enregistrement des syndicats et en congédiant des représentants syndicaux.

Il est alarmant de constater que le nombre de pays qui ont empêché l’inscription de syndicats est passé de 86 en 2019 à 89 en 2020. Au Soudan, toutes les organisations syndicales et associations ont été suspendues et au Bangladesh, 46 % des 1.104 demandes d’enregistrement que le ministère du Travail a examinées de 2010 à 2019 ont été rejetées.

Le nombre croissant de pays qui s’opposent à la liberté d’expression et la limitent révèle la fragilité des démocraties, tandis que celui des États qui limitent l’accès à la justice est toujours aussi inacceptable que l’année dernière.

La Turquie et Hong Kong figuraient parmi les exemples les plus extrêmes des 56 pays et territoires s’opposant à la liberté d’expression et la limitant, dont le nombre était de 54 en 2019.

Dans 72 % des pays, les travailleurs n’ont pas accès ou n’ont qu’un accès limité à la justice et des cas graves ont été signalés au Bangladesh où les tribunaux du travail ont accumulé un retard de trois ans et comptabilisaient pas moins de 18.000 plaintes de travailleurs toujours en instance. En Iran, en mars 2020, 38 militants syndicaux étaient toujours arbitrairement détenus, souvent dans des prisons isolées et secrètes, où ils subissent de mauvais traitements et ne peuvent consulter d’avocat.

En 2020, des arrestations de responsables syndicaux ont fait grand bruit en Corée, en Indonésie et en Turquie; des travailleurs ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire dans 61 pays.

Les pires contrevenants

Cette septième édition de l’Indice CSI classe 144 pays en fonction de leur niveau de respect des droits au travail. Les dix pires pays pour les travailleurs et les travailleuses en 2020 sont le Bangladesh, le Brésil, la Colombie, l’Égypte, le Honduras, l’Inde, le Kazakhstan, les Philippines, la Turquie et le Zimbabwe.

C’est la première fois que le Honduras figure parmi les pires pays, alors que la législation du travail répressive de l’Inde la fait réapparaître dans ce groupe dans lequel elle était apparue pour la première fois en 2016. L’Égypte a été classée dans la catégorie des pires pays au monde en 2015, 2017, 2018 et y réapparaît donc en 2020.

Depuis sept ans, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont la pire région au monde pour les travailleurs et les travailleuses compte tenu de l’insécurité qui y règne et des conflits qui secouent la Palestine, la Syrie, le Yémen et la Libye. Il s’agit aussi de la région la plus régressive en ce qui concerne la représentation de la main-d’œuvre et les droits syndicaux.

En 2020, la situation en Afrique du Sud, en Jordanie, au Pakistan, au Togo et au Venezuela s’est détériorée. En revanche, le classement de plusieurs pays s’est amélioré, notamment l’Argentine, le Canada, l’Espagne, le Ghana, la Namibie, la Sierra Leone et le Vietnam.

Dans neuf pays, des travailleurs ont été tués, notamment lors de manifestations syndicales: Afrique du Sud, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Honduras, Iraq et Philippines. Six de ces neuf pays se trouvent sur le continent américain, faisant des Amériques la région plus meurtrière pour les travailleurs. Dans l’ensemble, la main-d’œuvre a subi des violences dans 51 pays.

À ceci s’ajoute l’apparition de la Covid-19; le plus grand bouleversement économique mondial depuis des générations. Mais soyons clairs : les défis auxquels nous sommes confrontés demeurent inchangés. La pandémie représente une convergence de crises : les inégalités et la méfiance, l’urgence climatique, l’égalité des femmes, le racisme, la technologie, la crise du multilatéralisme.

Le choc d’ordre social et économique a exposé des travailleurs, dans de nombreux pays, à la maladie et à la mort en raison de la répression à l’encontre des syndicats et du refus des gouvernements de respecter les droits et d’entamer un dialogue social. Ces pays se sont trouvés dans l’incapacité de combattre efficacement la pandémie, et sous couvert de mesures visant à lutter contre le coronavirus, ils font avancer leur programme à l’encontre des droits des travailleurs.

Mais c’est à ce niveau que l’Indice CSI des droits dans le monde serait le plus efficace dans la mesure où il n’est pas seulement une liste de violations : nous l’utiliserons pour établir le nouveau modèle économique dont le monde a besoin alors qu’il se remet de la pandémie de Covid-19. Cette économie mondiale devra être résiliente, s’appuyant sur un nouveau contrat social : un nouvel engagement envers les droits des travailleurs, de nouveaux investissements dans le respect de l’État de droit et la démocratie sur le lieu de travail. Tels sont les fondements d’un avenir où nous ne laisserons personne pour compte.