En Guinée, la protection des travailleuses domestiques peine à faire des progrès

En Guinée, la protection des travailleuses domestiques peine à faire des progrès

A young woman looks out onto the street from the entrance of a house in Conakry, in December 2017. In Guinea, thousands of poor families place their children, especially girls, in domestic service.

(Drew Makepeace)

En arrivant à son lieu de travail, ce 30 mai 2020, dans le quartier de Sangoyah, dans la haute banlieue de Conakry, la capitale guinéenne, Aïssatou Diallo, une travailleuse domestique de 20 ans, était loin d’imaginer qu’elle allait vivre les pires moments de sa vie. Sa patronne l’accuse d’avoir dérobé une somme de 800.000 francs guinéens (85,65 de dollars US) et un téléphone. Aïssatou Diallo répond qu’elle n’est pas l’auteure de ce vol. La patronne fait appel alors à un jeune du quartier pour « la faire avouer ». L’employée domestique, mère d’une petite fille, est ligotée avant d’être soumise aux supplices d’un fer à repasser. Elle est enfermée dans une chambre pendant deux jours pour l’interrogatoire et se retrouve avec six plaies sur les pieds, les mollets et les cuisses.

Malgré la torture, la jeune femme ne reconnait pas les faits qui lui sont reprochés. Son employeur l’envoie finalement à la gendarmerie où elle est jetée en cellule. Son incarcération sera de courte durée, car les gardes ayant constaté les plaies sur le corps de la prisonnière vont demander à l’employeuse de l’envoyer à l’hôpital. Mais c’est à son domicile qu’elle va la ramener, où elle paye le service d’un infirmier pour le pansement des plaies.

Cette affaire a été mise en lumière grâce à l’implication d’Asmaou Bah Doukouré. Cette Guinéenne dirige, depuis près d’une décennie, le Syndicat National des Employés de Maison de Guinée (le SYNEM-Guinée), dont le but est de défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs domestiques.

La syndicaliste se rend aussitôt au domicile de la patronne avec la mère de la jeune Aïssatou. Les choses s’accélèrent : la jeune victime est envoyée dans un centre hospitalier pour y recevoir des soins ; sa patronne est mise aux arrêts sur ordre du juge qui a été saisi pour l’affaire ; le tortionnaire, en cavale, est toujours activement recherché par la police.

L’issue de ce procès dont la date n’est pas encore fixée est très attendue, car en cas de condamnation, il constituera une victoire pour le syndicat des domestiques. « Jusque-là, à cause des pesanteurs sociales, tous les abus commis par les employeurs sur leurs domestiques sont passés sous silence ou réglés à l’amiable », explique Mme Bah Doukouré à Equal Times.

Au bas de l’échelle

Pour inverser cette situation, la secrétaire générale du SYNEM, également présidente du Réseau africain des employés de maison et membre du comité exécutif de la Fédération internationale des travailleurs domestiques, organise régulièrement des ateliers pour sensibiliser et informer ces travailleuses sur leurs droits, afin qu’elles soient à même de défendre leur cause.

La rémunération des travailleurs domestiques est l’autre préoccupation du SYNEM-Guinée. Selon les témoignages recueillis auprès de ces travailleurs de l’ombre, rares sont ceux qui sont payés au salaire minimum guinéen fixé à 440.000 francs guinéens par mois (47,11 dollars US). « Seuls quelques expatriés acceptent de payer au-delà », précise Mme Doukouré.

Marie Sylla, 30 ans, vient de quitter son employeur, un haut cadre de l’administration publique. Elle était rémunérée à 400.000 francs guinéens (42,83 dollars US) par mois pour 12 heures de travail quotidien. Elle envoie la moitié de son pécule à sa fille restée au village. Elle déplore le traitement réservé aux travailleuses domestiques en Guinée : « Beaucoup d’entre elles dorment chez leurs employeurs, où elles sont victimes de tous les abus. J’en connais qui travaillent jusqu’à deux heures du matin ».

Tout aussi déplorable est le traitement salarial de certaines mineures. « Elles sont le plus souvent payées en habits usés à la fin du mois sous prétexte qu’elles sont déjà nourries et logées », explique Mme Doukouré. Selon les informations du gouvernement guinéen, la majorité des travailleurs domestiques en Guinée sont des femmes, dont une partie est encore mineures. D’après une enquête réalisée en 2010 en partenariat avec l’OIT, 43 % des enfants de 5 à 17 ans auraient une activité économique, soit plus d’1,5 million d’enfants.

Ces pratiques, constituent pourtant une violation du droit guinéen. Le pays a ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et les traités régionaux et internationaux sur l’interdiction du travail des enfants, la discrimination selon le sexe et la traite des êtres humains. Selon le droit guinéen, les enfants ont droit à l’éducation, et la scolarisation dans l’enseignement primaire est obligatoire. La loi guinéenne autorise le travail des enfants dans certaines limites (à partir de 16 ans), mais ils doivent bénéficier de tous les droits du travail.

La Guinée est également parmi les pays qui ont ratifié la Convention 189 de l’OIT et la Recommandation 201 sur le travail domestique de l’OIT. Cette convention reconnait le droit du travailleur domestique de constituer un syndicat et de s’y affilier, elle protège le droit à un salaire minimum, le payement à la fin de chaque mois et l’accès à la sécurité sociale. La convention accorde également aux travailleurs domestiques, un jour de congé par semaine et réglemente leur temps de travail afin qu’ils soient traités au même pied d’égalité que les travailleurs des autres secteurs, conformément au code du travail.

Malheureusement, sur le terrain, ces instruments juridiques souffrent d’un manque d’application « à cause de l’absence d’une volonté politique », explique le juriste Moussa Camara.

Dans un rapport de Human Right Watch paru en 2007, intitulé Au bas de l’échelle, l’organisation n’hésitait pas à écrire à propos des jeunes mineures : « Ces filles vivent dans des conditions analogues à l’esclavage ». Treize ans plus tard, la réalité décrite dans cette longue enquête reste toujours largement d’actualité. Pour améliorer leur situation, le juriste Moussa Camara recommande « la prise des mesures courageuses pour professionnaliser le personnel judiciaire et surtout la lutte contre la corruption dans l’appareil sécuritaire et dans le système judiciaire ».

Ce phénomène, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, pourrait s’expliquer par le facteur culturel. En effet, en Guinée, comme ailleurs en Afrique noire, « le travail des enfants n’est pas vu comme un fléau, mais plutôt comme un processus naturel d’apprentissage et, dans le cas des familles pauvres comme une contribution à la dépense familiale », explique le sociologue Mamadou Barry.

Curieusement, cette perception est partagée par bon nombre de personnes parmi l’élite guinéenne. « L’exploitation des enfants comme employés domestiques est très largement rependue et acceptée socialement. Les familles de classe moyenne et supérieure, y compris celles d’employés du gouvernement et des ONG, ont souvent des employés domestiques qui travaillent chez elles, et considèrent rarement la façon de les traiter comme un abus », décrit Human Right Watch dans le rapport cité plus haut.

Les hommes aussi concernés

Même s’ils ne sont pas nombreux, les hommes aussi exercent ce travail souvent informel dans certains ménages. Le chiffre reste cependant difficile à estimer. Communément appelés « boys », ils sont majoritairement jardiniers, cuisiniers et chauffeurs. Amadou Sanoh est l’un d’eux. Âgé d’une quarantaine d’années, il travaille comme cuisinier chez un couple de médecins. En tant qu’homme, il est mieux loti. Payé au-delà du salaire minimum, il bénéficie en plus d’un jour de repos par semaine. Malgré cet avantage, Amadou n’est pas fier de son travail à cause des pressions psychologiques qu’il subit au quotidien.

« Je suis l’employé de chaque membre de la famille. Même la benjamine peut me demander de puiser de l’eau ou d’aller chez le tailleur récupérer sa robe », explique-t-il.

Ousmane Sylla gère un restaurant dans un quartier de la périphérie de Conakry. Il a travaillé comme domestique pendant trois ans. De cette expérience, il ne garde pas que de bons souvenirs. « On m’a plusieurs fois accusé d’avoir volé de l’argent ou des objets de valeur. C’était un subterfuge pour ne pas me payer mon salaire. Quand je continuais la réclamation, mon patron menaçait de m’envoyer en prison pour vol. Finalement, je n’avais pas d’autre choix que de renoncer, car à la police, les patrons ont toujours raison », se souvient-il avec amertume.

Moins exposés aux violences physiques que les femmes, les hommes voient aussi leurs droits bafoués : ils sont victimes de licenciements abusifs, d’emprisonnements arbitraires et de violences psychologiques. Malgré tout, beaucoup préfèrent garder profil bas. Au siège du SYNEM, contrairement à leurs camarades femmes, les hommes ne se bousculent pas pour retirer leur carte de membre.

Des progrès, mais peut mieux faire

Dans le dernier rapport du département d’État américain sur la traite des êtres humains, la Guinée est classée dans la sous-catégorie des pays « sous surveillance ». « En 2017, nous avons été rétrogradés au niveau 3. Mais en 2019, notre pays a été sorti de la zone rouge. Et cette année nous sommes toujours au niveau 2, en revenant dans la sous-catégorie des pays sous surveillance », explique Aboubacar Sidiki Camara du Comité national de lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées. Il ajoute que si la situation ne change pas, le pays risque de voir le département d’État américain revoir l’aide que les États-Unis fournissent quand un pays ne respecte pas les « standards minimums pour l’élimination du trafic d’êtres humains ».

Toutefois, ce classement ne doit pas occulter le travail abattu sur le terrain par les ONG et les associations syndicales qui luttent pour la protection des domestiques. Elles sensibilisent les employeurs sur la manière dont ils doivent traiter leurs employés – notamment avec le soutien de la campagne internationale intitulée « Mon domicile équitable » (« My Fair Home » en anglais) – et dans les pires des cas retirent les plus jeunes pour les placer dans des refuges et des petits réseaux de familles d’accueil.

« Ces associations sont d’un grand réconfort pour les enfants domestiques et elles ont changé la vie de beaucoup d’entre eux », note encore HRW dans son rapport.

Cependant, ces structures manquent de personnel, de formation, de mobilité territoriale et des moyens financiers pour répondre à l’ampleur du phénomène, et surtout elles n’ont pas l’autorité légale pour représenter devant les tribunaux les enfants dont elles s’occupent. De son côté, l’État a créé une instance de protection, l’OPROGEM (Office de Protection du Genre, de l’Enfance et des Mœurs) chargée d’enquêter et combattre les abus commis contre la couche juvénile.

Mais les résultats sur le terrain laissent à désirer. Sur le plan de l’éducation et de la formation, l’État guinéen et ses partenaires ont adopté certaines mesures prometteuses pour améliorer l’accès des filles à l’éducation. Malheureusement leur impact sur les filles domestiques reste limité. Pour changer cette situation, l’une des solutions serait l’élaboration d’un programme spécifique pour contrôler la scolarisation des filles, encourager celles qui ont abandonné l’école à se réinscrire et permettre aux plus âgées de suivre une formation professionnelle.

Sur le plan judiciaire, il n’y a eu que très peu de poursuites jusqu’à présent. Le fonctionnement de la Justice souffre de graves faiblesses institutionnelles comme le manque de formation et des pratiques de corruption. L’espoir d’un procès dans l’affaire d’Aïssatou Diallo contre son employeuse pourrait faire évoluer les choses. Au moins, elle a déjà fait parler dans l’opinion du pays

This article has been translated from French.