Il faut faire avancer le débat sur la reconnaissance des génocides historiques

Il faut faire avancer le débat sur la reconnaissance des génocides historiques

In 2020, during the 60th anniversary of Congo’s independence, the Belgian city of Ghent removed a bust of King Leopold II as part of a decolonisation project.

(AFP/Matteo Cogliati/Hans Lucas)

S’agit-il d’une arme de guerre entre États ? D’une mode dans le sillage de la flambée des revendications identitaires ? D’une tentative de tirer des leçons du passé pour éviter d’en répéter les erreurs ? D’une obligation éthique avec des conséquences réelles ?

Le génocide est l’un des crimes de droit international les plus délicats à définir pour les experts et à accepter pour ses responsables. Récemment pourtant, les accusations directes se sont accumulées comme jamais auparavant, de même que la reconnaissance explicite de la perpétration d’un crime qui, selon le Statut de Rome de 1998, implique la destruction systématique et délibérée (en tout ou en partie) d’un groupe ethnique, racial, national ou religieux par un gouvernement. Une définition qui ne parvient pas à satisfaire tout le monde, étant donné que, par exemple, elle ne précise pas ce que pourrait être une « destruction partielle », qu’elle ne prévoit pas qu’un groupe social ou politique soit une victime (le terme moins connu de « démocide » ayant été réservé à cet effet) et qu’elle n’envisage pas non plus les actions contre l’environnement qui pourraient entraîner des risques sérieux pour la survie d’un groupe donné.

Il s’agit d’un crime qui englobe non seulement le massacre de personnes et les atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, mais aussi des mesures qui affectent directement leurs conditions de vie, notamment en détruisant leurs foyers ou le fait de les forcer à les abandonner, en les privant de nourriture ou de soins de santé, en empêchant leur reproduction par des politiques de stérilisation forcée ou en ordonnant le déplacement forcé de leurs membres vers d’autres territoires.

C’est ainsi que le concept est entendu depuis sa formulation par Raphael Lemkin en 1944 et qu’il est reflété dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948. La Cour pénale internationale est actuellement l’instance judiciaire chargée de poursuivre et juger ces crimes. Dans la pratique toutefois, depuis le début de ses fonctions en 2002, elle n’a ouvert qu’une procédure pour génocide, à l’encontre du dictateur soudanais Omar el-Bechir (renversé en 2019) pour sa responsabilité dans les massacres successifs de la population locale du Darfour entre 2003 et 2008, commis par les forces armées soudanaises et les milices locales soutenues par Khartoum.

Un cas qui vient s’ajouter à une courte liste qui commence au début du XXe siècle avec, d’après l’ONU, uniquement le génocide arménien (1915-1923, avec l’Empire ottoman en ligne de mire), l’Holocauste (1941-1945, l’Allemagne nazie contre les Juifs), le Samudaripen (1941-1945, l’Allemagne nazie contre les Roms), celui du Cambodge (1975-1979, le gouvernement khmer rouge contre sa propre population), du Rwanda (1994, le gouvernement hutu contre les Tutsis), de Srebrenica (1995, le gouvernement serbe de Bosnie contre les musulmans de Bosnie) et des Yézidis (2014, le groupe djihadiste Daech contre cette minorité kurde non musulmane du nord de l’Irak).

Évidemment, il s’agit d’une liste que d’autres sources jugent incomplète, soit en remontant plus loin que le XXe siècle, soit en tenant compte d’affaires actuelles aussi tragiques que celle qui, depuis 2017, impute au gouvernement ultranationaliste birman le massacre de la minorité Rohingya.

Retour à l’ordre du jour international : pour des raisons d’éthique… et par intérêt

Parmi les différents facteurs qui ont ramené cette question sur le devant de la scène internationale, il n’y en a sûrement aucun aussi important que la campagne Black Lives Matter. Aux États-Unis, la réaction du grand public à la mort de George Floyd aux mains d’un policier en mai 2020 a eu un écho substantiel dans de nombreux autres pays, accélérant un processus qui, conjugué à d’autres motivations, a amené, par exemple, l’Allemagne à finalement reconnaître le 28 mai 2021 sa responsabilité dans le massacre d’au moins 60.000 Héréros et 10.000 Namas en Namibie entre 1904 et 1908.

Parallèlement, la France vient de s’excuser pour sa « responsabilité accablante » (selon l’expression utilisée par Emmanuel Macron) dans le génocide rwandais susmentionné, tandis que la Belgique a exprimé l’an dernier ses « profonds regrets » pour les exactions commises dans ce qui est aujourd’hui la République démocratique du Congo durant le règne de Léopold II. Plus récemment, le 1er juillet de cette année, la maire d’Amsterdam a présenté ses excuses pour le rôle de la ville dans la traite des esclaves à l’époque coloniale.

Dans cette accélération très visible, on peut comprendre que, en termes positifs, il existe également une tentative claire de répondre à la montée inquiétante des groupes et partis suprémacistes dans de nombreuses sociétés occidentales.

Elle vise à freiner les dynamiques populistes qui continuent à nourrir les instincts racistes les plus déplorables qui rendent si difficile le « vivre ensemble » dans un monde globalisé. Mais il convient de ne pas oublier, en guise de contrepoint, que la référence au crime de génocide continue aussi d’être utilisée comme un instrument au service des relations internationales lorsqu’un gouvernement, comme celui présidé par Joe Biden, décide de reconnaître formellement le génocide arménien pour en punir un autre (la Turquie en l’occurrence) avec lequel les divergences vont croissant.

Dans cette même recherche des raisons qui expliquent cette multiplication apparemment sincère des excuses et de la prise de responsabilités historiques, il existe bien sûr d’autres motivations qui ont moins trait à l’éthique et à la sincérité et beaucoup plus aux intérêts géopolitiques et géo-économiques.

Ainsi, en pleine concurrence pour les marchés, alors que la crise frappe de plein fouet les structures économiques de nombreuses puissances mondiales et régionales, il est aisé de comprendre que ces excuses visent à tout le moins à éviter de rompre les liens avec les anciennes colonies, de plus en plus conscientes de leur propre potentiel et affichant de plus en plus leurs revendications par rapport aux abus qu’elles ont subis.

Un bon exemple de cette situation est ce qui se passe concernant le patrimoine culturel et artistique africain : en effet, selon le résultat d’une commission encouragée par Emmanuel Macron en 2018, entre 90 et 95 % de ces richesses se trouvent actuellement hors du continent (ou, autrement dit, entre les mains publiques et privées de certains pays d’Europe occidentale). Ce qui explique pourquoi l’Allemagne se dit prête, par exemple, à rendre les impressionnants « bronzes du Bénin » au Nigeria, pays qui est aujourd’hui la première économie d’Afrique.

Cette même Allemagne qui, dans une tentative de joindre les actes aux paroles d’auto-incrimination dans le génocide mentionné ci-dessus en Namibie, a commis l’erreur grossière d’offrir — sans négociation préalable — 1,1 milliard d’euros (environ 1,31 milliard de dollars US) au gouvernement de Windhoek (à verser dans les 30 ans pour des projets de développement). Un montant qui a aussitôt été rejeté par les communautés locales (qui l’ont interprété comme une tentative d’acheter leur approbation pour un montant dérisoire) et qui ont demandé une compensation se chiffrant en centaines de milliards ; une demande rejetée à son tour par Berlin.

En somme, il s’agit là d’un exemple parmi d’autres (les Pays-Bas ont également offert des programmes d’aide à l’Indonésie pour des raisons similaires) qui montre à quel point il est difficile de satisfaire toutes les parties et de fixer un montant concret d’indemnisation qui aiderait réellement à surmonter un traumatisme de cette ampleur.

Cette motivation de la part des anciennes puissances coloniales s’accompagne de plus en plus de la crainte que les sentiments anti-occidentaux soient exploités par ceux qui ne traînent pas ce passé colonial derrière eux.

Évidemment, c’est avant tout la Chine qui se distingue dans ce groupe, car elle est déjà devenue le principal investisseur et partenaire commercial de nombreux pays africains et asiatiques. Dans le cadre des efforts déployés pour consolider son hégémonie face à Washington, Pékin utilise à son avantage le ressentiment accumulé par les sociétés et les gouvernements qui ont souffert du mépris et des abus de l’Occident.

En somme, et vu de l’Occident, il s’agit pour chacun des acteurs impliqués d’utiliser les instruments à sa disposition pour tirer le meilleur parti possible de la lecture d’un passé dont il n’est pas toujours possible d’être fier. Et ce, en gardant le regard tourné vers un présent et un avenir qui visent à préserver, à moindres frais, un statu quo menacé par la prise de conscience progressive des héritiers des victimes et par la concurrence de nouveaux acteurs extérieurs qui voient surtout une opportunité de gagner des positions dans l’éternelle bataille entre les aspirants au leadership mondial ou régional. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, les paroles sont bien plus nombreuses que les actes.

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis