Mandalika, un projet touristique qui menace les droits des populations locales en Indonésie

Mandalika, un projet touristique qui menace les droits des populations locales en Indonésie

This aerial picture, taken on 23 February 2019, shows the Mandalika coastal development project, in the south of the Indonesian island of Lombok. The Indonesian government hopes the development will boost tourism and bring in new foreign investment, but civil society has expressed concerns over human rights abuses connected to the project.

(AFP/Arsyad Ali)

Un projet de développement touristique en Indonésie, soutenu par la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), basée à Pékin, est critiqué, car il entraîne des violations des droits humains à l’encontre des populations locale et autochtone. À ce jour, la BAII n’a apporté aucune réponse concrète aux préoccupations de la société civile et des collectivités.

« Il est révélateur qu’il ait fallu que le premier projet autonome de la BAII en Indonésie provoque un scandale et éclabousse la banque publiquement pour que celle-ci s’engage à apporter une réponse substantielle (bien que lacunaire) », déclare Wawa Wang, une conseillère principale de VedvarendeEnergi, une ONG danoise spécialisée dans les questions de développement et d’environnement.

Le projet Mandalika, situé sur l’île de Lombok, est l’une des initiatives des « 10 nouvelles Bali » annoncées par le président indonésien Joko Widodo en 2017, en vue de créer des pôles touristiques dans tout le pays pour attirer à la fois les investissements étrangers et les touristes. La BAII est un bailleur de fonds essentiel pour ce projet de 3 milliards de dollars US (2,53 milliards d’euros).

À mesure que la BAII multiplie les investissements dans la région, notamment dans des pays comme la Birmanie où, en février, l’armée a arraché le pouvoir des mains d’un gouvernement démocratiquement élu et, dans les mois qui ont suivi, réprimé l’opposition, avec plus de 1.000 personnes tuées à ce jour, le projet Mandalika pourrait être le précurseur de craintes plus vastes en matière de droits humains et de travail à propos des investissements de la Chine en Asie du Sud-Est.

« Ce qui est préoccupant, compte tenu du bilan peu reluisant des multinationales chinoises en matière de respect des droits des travailleurs et des syndicats, c’est que les travailleurs […] seront probablement soumis à de très mauvaises conditions et normes de travail, malgré les politiques de sauvegarde de la BAII », déclare Maung Maung, président de la Confédération des syndicats de Birmanie (Confederation of Trade Unions, CTUM).

Absence de consentement éclairé et de consultations en bonne et due forme

L’île de Lombok, située à l’est de Bali, fait partie de la province des Petites îles de la Sonde occidentale (aussi appelée Nusa Tenggara occidental), l’une des plus pauvres d’Indonésie. Le plan de développement de la zone entourant Mandalika prévoit la construction d’un complexe touristique intégré de 1.175 hectares comprenant des hôtels et un circuit pour le Grand Prix moto, ce dernier étant actuellement en construction. La BAII est l’un des bailleurs de fonds aux côtés du groupe français VINCI Construction Grands Projets.

Au début de l’année, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a publié une déclaration détaillant ses préoccupations concernant les accaparements de terres, évictions de communautés autochtones de l’ethnie sasak et intimidations et menaces à l’encontre de défenseurs des droits humains.

« Eu égard à la sombre histoire des violations des droits humains et des accaparements de terres dans la région, la BAII et les entreprises ne peuvent pas détourner le regard et continuer à faire comme si de rien n’était. »

« Leur incapacité à prévenir et à traiter les risques de violations des droits humains est assimilable à une complicité dans ces violations », a déclaré Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, dans le communiqué de mars 2021.

Selon le HCDH, des allégations crédibles font état de saisies de terres, de destruction de maisons, de champs, de sources d’eau et de sites culturels ou religieux et indiquent que les habitants qui ont contesté ont fait l’objet d’intimidations et de menaces. Mme Wang estime que tous ces problèmes auraient pu être évités.

« La banque a négligé d’exiger de son client qu’il procède à une évaluation approfondie de l’impact environnemental et social […] et a rejeté la recommandation formulée par une coalition de supervision des infrastructures basée en Indonésie de divulguer son propre audit de l’arpentage des terres, et ce, malgré les rapports faisant état de conflits fonciers, de déplacements sous la contrainte de populations et d’expropriations foncières dans des conditions menaçantes pour les personnes affectées par le projet », explique-t-elle.

Expulsions forcées

Des membres de la communauté qui se sont entretenus avec Equal Times ont déclaré que certains résidents vivent encore dans la zone du projet touristique, notamment une communauté de pêcheurs. Ils affirment que pas moins de cinq séries d’expulsions forcées ont été menées depuis 2019.

« Ces communautés vulnérables, y compris les autochtones de Mandalika, ont perdu leur droit à participer à la prise de décision publique dans un climat exempt d’intimidation », déclare Mme Wang. « Outre les moyens de subsistance perdus, nombre d’entre eux vivent désormais dans une pauvreté accablante depuis que le projet a été approuvé. »

Dans une réponse au HCDH, le gouvernement indonésien a nié que l’Indonesia Tourism Development Corporation, le partenaire local chargé de l’implémentation, n’ait pas indemnisé correctement la population locale et a affirmé qu’il n’y avait pas eu d’accaparement de terres ni de déplacements forcés.

Contactée pour un commentaire, la BAII a indiqué que son cadre environnemental et social (Environmental and Social Framework, ESF), récemment mis à jour, est adéquat en ce qui concerne la diligence raisonnable en matière de droits humains et a déclaré qu’elle avait réagi aux préoccupations exprimées et amélioré le processus pour l’avenir.

« Les leçons tirées du projet Mandalika incluent une meilleure évaluation de la capacité du client à implémenter les instruments environnementaux et sociaux au niveau du projet, le fait de s’assurer que le nombre adéquat de membres qualifiés du personnel est une condition préalable au déblocage du financement, l’amélioration de l’évaluation des enjeux patrimoniaux et le recours à des consultants locaux », a déclaré un porte-parole de la BAII, qui a refusé que son nom soit cité, dans un courriel adressé à Equal Times.

Néanmoins, les groupes de la société civile estiment que ceci est loin d’être suffisant et que les impacts de tout changement de la part de la BAII ne se sont pas encore fait sentir dans les communautés affectées. Par ailleurs, la plupart des recommandations de la société civile n’ont pas été incluses dans la version mise à jour de l’ESF, et ce, malgré des tentatives actives de participation.

Carmina Flores-Obanil, coordinatrice régionale de la Coalition mondiale pour les droits humains dans le développement, affirme que la plus grande préoccupation est qu’« il n’y a vraiment pas de place pour les acteurs locaux dans l’ESF […]. Il y a de la place pour les clients, la banque, mais les communautés affectées par le projet ne sont pas incluses dans le processus. »

Inquiétudes plus générales concernant la BAII dans la région

La BAII a été fondée en 2016 comme alternative aux banques multilatérales de prêt existantes, telles que la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement (BAD). À l’époque, nombreux étaient ceux qui s’inquiétaient du rôle de la Chine. Le président de la banque, Jin Liqun, est Chinois et Pékin contrôle environ 26 % des parts avec droit de vote et exerce une influence manifeste sur le fonctionnement de la banque.

« La partie chinoise regarde ce qu’elle a fait au niveau national, sans aucune protection des droits humains, sans consultation locale, et considère les politiques économiques et sociales comme des obstacles à la réalisation des objectifs », déclare Joshua Rosenzweig, directeur régional adjoint pour l’Asie de l’Est au bureau d’Amnesty International à Hong Kong.

Comme il fallait s’y attendre, cela signifie également que la BAII a montré des lacunes en matière de participation des groupes de la société civile au niveau international. « Il y a quelques années, nous avons eu l’impression qu’ils faisaient un effort pour établir un contact avec les organisations de la société civile, puis cela a changé. Nous avons senti qu’ils recommençaient à dresser des murs », explique Petra Kjell, responsable de campagnes chez Recourse, une ONG basée aux Pays-Bas qui observe le financement du développement mondial.

Elle souligne le rôle limité des groupes de la société civile lors de la réunion annuelle de la BAII, surtout lorsqu’il est comparé à celui qu’ils ont à la Banque mondiale, qui leur permet d’inviter des intervenants de manière indépendante et d’organiser des panels.

La Birmanie est un autre pays qui préoccupe Mme Kjell. Selon un rapport du groupe de campagne Justice for Myanmar, la BAII a indirectement financé une entreprise d’infrastructure de télécommunications qui fait des affaires avec l’armée, ainsi qu’une cimenterie qui utilise du charbon. Les déclarations de la fin mai du vice-président de la banque, qui laissait la porte ouverte à des prêts au gouvernement contrôlé par la junte, sont également inquiétantes.

« Le fait que la BAII soit la seule banque multilatérale de développement à ne pas avoir dévoilé publiquement la manière dont elle entretient des relations avec la Birmanie [est préoccupant] », déclare Mme Kjell. « La BAII doit être transparente en Birmanie et adopter une position ferme et ouverte. Le fait que la banque ait été créée à l’initiative de la Chine envoie certains signaux qui pourraient être problématiques compte tenu de la position de la Chine à l’égard de la Birmanie. »

Alors que les entreprises occidentales sont soumises à une pression croissante pour couper leurs liens avec la junte en raison des violations des droits humains, le rôle de la Chine ne fait que croître, selon M. Maung, ce qui est profondément troublant. « Du point de vue de la Confédération des syndicats de Birmanie, les gens ne possèdent désormais plus rien », ajoute M. Maung. « Toutes les ressources et les entreprises sont détenues et contrôlées par la junte militaire et ses complices, notamment la Chine. »