Quels navires, quels carburants privilégier pour réduire l’impact sur l’environnement du transport maritime ?

Quels navires, quels carburants privilégier pour réduire l'impact sur l'environnement du transport maritime ?

With approximately 80 per cent of all goods transported by sea, the industry is looking to find viable solutions whilst sustaining global trade.

(Georg Wendt/DPA Picture-Alliance via AFP)
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Le secteur maritime est soumis à des pressions croissantes afin de réduire son impact sur l’environnement. La voie à suivre ne manque cependant pas de défis, qu’ils soient purement économiques et politiques, ou bien technologiques. Alors que 80 % des marchandises sont transportées par les mers et les océans, l’industrie vise des solutions viables et compatibles avec le commerce mondial.

« La question n’est plus de savoir ‘’si’’ ou ‘’quand’’ la décarbonation de notre secteur doit avoir lieu. Nous savons que c’est maintenant qu’il nous faut agir. Reste à savoir quels seront les moyens déployés par le transport maritime pour opérer un changement significatif au cours de cette décennie d’action si cruciale », déclare Nick Brown, directeur général de la société de classification Lloyd’s Register. En effet, ce secteur émet environ 940 millions de tonnes de CO2 par an, soit un peu plus de 2,5 % des émissions mondiales.

L’Organisation maritime internationale (OMI), l’agence des Nations Unies qui réglemente les transports maritimes, s’est fixé pour objectif de réduire les émissions de carbone du secteur d’au moins 50 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008. Pour atteindre cet objectif, elle propose, entre autres, l’introduction de navires à émissions nulles dans la flotte mondiale d’ici 2030.

L’OMI prévient qu’à défaut d’une action immédiate, les émissions en provenance des navires pourraient être 30 % plus élevées en 2050 qu’en 2008.

« La plupart des entreprises du secteur maritime ont les capacités nécessaires pour atteindre les objectifs de l’OMI », précise à Equal Times Lucy Gilliam, responsable des politiques de transport maritime de l’ONG Seas at Risk, soulignant en outre le « manque d’ambition » de la réglementation qui se contente d’assurer le statu quo.

D’après l’experte, « l’industrie dispose déjà des technologies qui lui permettraient de réduire radicalement ses émissions », raison pour laquelle elle estime que parallèlement à l’introduction de carburants propres, la réglementation devrait être plus stricte.

Selon les estimations du Forum maritime mondial, il faudrait un investissement d’environ 0,8 à 1,2 milliard de dollars (0,7 à 1,05 milliard d’euros) pour réduire les émissions de carbone d’au moins 50 % d’ici 2050. Ces investissements recouvrent tant les modifications des navires (optimisation du stockage et des technologies concernant l’efficacité à bord et les moteurs) que la production de carburants et les infrastructures de stockage et de ravitaillement à terre.

Quel est le meilleur carburant ?

Les technologies permettant de produire les carburants et les navires à émissions nulles sont presque arrivées sur le marché. La bonne nouvelle est que des prototypes et des démonstrations d’embarcations à émissions nulles sont en cours de réalisation, qui utilisent différents carburants. La moins bonne nouvelle, en revanche, est qu’à l’heure actuelle aucune technologie ne peut être fournie à grande échelle, c’est pourquoi la flexibilité est un facteur clef.

Plusieurs compagnies maritimes misent d’ores et déjà sur certains carburants, sans aucune certitude quant à la solution définitive, mais en prenant un risque assumé qui ouvrira la voie, du moins l’espèrent-elles, à de nouveaux investissements. Maersk, le premier armateur mondial, a annoncé en janvier qu’il allait remplacer ses plus vieux porte-conteneurs (12 au total) par une nouvelle série, disponible dès 2024, qui utilisera du méthanol neutre en carbone. Cela lui permettra d’économiser environ 1 million de tonnes d’émissions de CO2 par an, sachant qu’en 2020, par exemple, Maersk a émis 33 millions de tonnes de CO2. Le méthanol est un carburant en cours de développement, dont le prix de revient est plus élevé. Mais ce surcoût peut être compensé, d’après la compagnie maritime, par la « prime » au carburant vert que ses clients, tels Amazon, Unilever ou H&M, sont disposés à verser à leurs chaînes d’approvisionnement.

Le méthanol peut être fabriqué à partir de diverses sources renouvelables, comme la biomasse, ou par électrolyse, à l’aide d’énergies renouvelables, mais il est encore impossible de garantir une production en quantité suffisante. Actuellement, la production mondiale de méthanol est de 110 millions de tonnes métriques par an alors que rien que pour alimenter ses douze nouveaux porte-conteneurs, Maersk aurait besoin de 450.000 tonnes.

Un autre choix est l’ammoniac « vert », produit à partir de l’hydrogène de l’eau. « L’ammoniac possède certaines propriétés essentielles qui en font une alternative écologique : il est facile à liquéfier et a une densité énergétique élevée. Un mètre cube d’ammoniac liquide fournit environ moitié plus d’énergie que le même volume d’hydrogène liquide », expose à Equal Times Thanos Sofios, directeur associé de la société de conseil Breakwave Advisors. Mais il a pour inconvénient le fait d’être hautement toxique (en raison de sa corrosivité), ce qui soulève des problèmes d’environnement et de sécurité des travailleurs.

« L’ammoniac est plus adapté à une utilisation sur des cargos ou d’autres navires sans passagers, exploités par des équipages professionnels », ajoute M. Sofios.

L’hydrogène liquide est une autre possibilité, puisqu’il peut être fabriqué à partir d’énergies renouvelables, solaire ou éolienne, même si la source principale reste le gaz naturel. Le premier navire à hydrogène liquide au monde a quitté l’Australie pour le Japon le 28 janvier, et de nombreux autres devraient suivre. En fait, la Stratégie pour l’hydrogène 2020 de l’Union européenne s’est fixé pour objectif de produire un million de tonnes d’hydrogène propre d’ici 2024. Mais là aussi des obstacles apparaissent pour son utilisation, « le premier étant qu’il est difficile à stocker et qu’il occupe beaucoup d’espace à bord, huit fois plus que les carburants fossiles, et requiert donc de réservoirs très lourds », précise Thanos Sofios.

À court et à moyen terme, les carburants synthétiques et biocombustibles sont en tête parce qu’ils sont déjà largement disponibles et ont une très faible teneur en soufre. Le gaz naturel liquéfié, c’est-à-dire le gaz naturel traité pour être transporté sous forme liquide est également très présent, du moins jusqu’à nouvel ordre, tant qu’il restera conforme aux normes de l’OMI.

Le biodiesel entre également en lice. Ce biocarburant liquide produit à partir d’huiles végétales telles que le soja, l’huile de palme ou le colza est utilisé dans de nombreux cas. Mais il n’est pas non plus une panacée, car il a aussi son revers de la médaille. Utiliser des millions d’hectares de cultures pour les carburants entraîne un risque de déforestation et de volatilité des prix des denrées alimentaires de base.

Pour le moment, tous ces carburants vont coexister. « Il n’y aura pas et il ne devrait pas y avoir d’approche unique ; les différents carburants se conformeront aux besoins de chaque segment », affirme Ingrid A. Irigoyen, directrice adjointe aux océans et au climat de l’ONG Aspen Institute. « Cela dit, nous pouvons prévoir qu’un nombre limité de solutions finissent par ouvrir la voie, qui seront fondées sur trois critères de base : le potentiel de cycle de vie sans émissions, l’évolutivité et le coût ».

Des voiliers aux corridors verts

Au-delà des carburants, d’autres alternatives peuvent jouer un rôle clé. Par exemple, des bateaux électriques sont déjà disponibles pour des trajets courts, même s’ils n’occupent qu’une place modeste dans le transport mondial de marchandises, où prédominent les longues distances et les lourds chargements.

L’industrie se tourne surtout vers le passé et se tourne vers une vieille connaissance, le vent. « L’assistance éolienne est le moyen le plus direct d’utiliser des énergies renouvelables sur les navires et cette ressource va gagner en importance dans cette période de transition, » indique a Equal Times Tristan Smith, spécialiste du transport maritime et chercheur à l’université UCL de Londres. Les voiles modernes, par exemple, qui ressemblent particulièrement à des ailes d’avion, peuvent faire économiser jusqu’à 30 % de carburant lorsqu’elles sont adaptées à des cargos. Cargill, le géant de l’industrie agroalimentaire, s’est déjà engagé à les installer cette année.

Entretemps, des alliances se nouent pour promouvoir le changement. Au cours de la COP 26, le dernier sommet sur le climat tenu à Glasgow, une coalition de 22 pays a accepté de créer des routes commerciales maritimes à émissions nulles entre plusieurs ports sur des itinéraires spécifiques. L’idée est d’encourager la coordination entre infrastructures et technologies de taille relativement plus gérable. Pour atteindre cet objectif, les ports peuvent adopter des réglementations spécifiques, n’accepter que les navires utilisant des carburants verts et octroyer aux compagnies maritimes des incitations concrètes, entre autres fiscales, les engageant à privilégier ces itinéraires.

La route Asie-Europe de transport maritime conteneurisé, la plus polluante au monde, pourrait ainsi servir de banc d’essai.

« Les premiers corridors verts peuvent accélérer la transition et favoriser cette indispensable collaboration entre le secteur public et privé, en créant des conditions privilégiées propices et en montrant l’exemple aux différents pays pour étendre l’utilisation de ces carburants à l’échelle mondiale », explique Ingrid Irigoyen.

Un nouveau corridor vient d’être mis en place, qui relie les ports de Los Angeles aux États-Unis et de Shanghai en Chine, suite à l’accord conclu fin janvier entre ces villes portuaires et leurs partenaires du secteur maritime.

D’autres options sont considérées, telles que la désignation de zones à vitesse réduite, ou l’amélioration des infrastructures portuaires permettant le chargement et déchargement. « Le développement de l’infrastructure d’approvisionnement en carburant est essentiel et il convient de ne pas sous-estimer les défis liés à l’acheminement du carburant jusqu’aux navires », précise a Equal Times Matthew Williams, directeur de la stratégie de décarbonisation à Lloyds Register. Il est clair cependant qu’aucune de ces actions ne suffira à elle seule à relever les défis à venir. « Il est temps de passer de la théorie à la pratique. La collaboration entre les parties prenantes de toute la chaîne d’approvisionnement est primordiale pour assurer au secteur maritime une navigation sûre et durable vers la transition énergétique », conclut M. Williams.

This article has been translated from Spanish by Silvia Mendez