Partout dans le monde, les réfugiés handicapés sont confrontés à de nombreux obstacles

Partout dans le monde, les réfugiés handicapés sont confrontés à de nombreux obstacles

An elderly woman from the Donetsk region arrives at the railway station in Lviv, Ukraine in May 2022. Many volunteers and NGOs across Europe have mobilised to provide support to Ukrainian refugees with disabilities.

(Adri Salido/Anadolu Agency via AFP)

Comme de milliers d’autres Zimbabwéens, Evelyn a fui son pays dans les années 1980 pour échapper au régime autoritaire de Robert Mugabe, l’ancien président qui, pendant ses trois décennies au pouvoir, a dirigé le pays d’une main de fer et emprisonné de nombreux défenseurs des droits humains, journalistes et activistes des partis d’opposition. Elle s’est d’abord échappée vers l’Afrique du Sud, avant de poursuivre son périple jusqu’en Irlande en 2019, où elle séjourne actuellement dans un centre de prestation de soins directs (« direct provision centre » en anglais) dans le sud du pays.

Ces centres sont des structures d’hébergement où les demandeurs d’asile attendent que leur demande soit traitée par les autorités irlandaises. En février 2021, 6.273 demandeurs d’asile vivaient dans ces centres d’accueil, selon le ministère irlandais de l’Égalité et de l’Intégration.

Evelyn — qui ne souhaite pas être identifiée par son vrai nom de peur d’être prise pour cible par d’autres demandeurs d’asile ou par les autorités irlandaises — a subi plusieurs opérations complexes de la colonne vertébrale lorsqu’elle vivait en Afrique du Sud, ce qui lui cause une mobilité réduite et des douleurs chroniques.

Les demandeurs d’asile accueillis dans ces centres irlandais de prestation de soins directs reçoivent une carte médicale qui leur permet d’accéder aux rendez-vous chez le médecin, aux soins hospitaliers et aux médicaments prescrits pendant qu’ils attendent le traitement de leur demande.

Bien qu’elle ait dû faire face aux longues listes d’attente des services de santé irlandais, Evelyn a néanmoins pu suivre des séances de physiothérapie et a reçu un scooter électrique et un déambulateur à roues pour l’aider à se déplacer.

Selon Evelyn, recevoir de tels soins médicaux aurait été impossible au Zimbabwe, son pays natal, ou en Afrique du Sud. « Les soins médicaux en Afrique du Sud étaient épouvantables », explique-t-elle. Bien qu’elle ait trouvé l’Irlande plus adaptée aux besoins des personnes handicapées, elle doit souvent se débrouiller seule, car le système de prestation de soins directs ne propose pas de services ou de soutien spécifiquement destinés aux demandeurs d’asile handicapés : « J’ai dû tout faire toute seule pour [obtenir] de l’aide. »

Selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de réfugiés fuyant la guerre, les persécutions et les violations des droits humains dans le monde a presque doublé au cours de la dernière décennie, passant de 15,2 millions en 2011 à 27,1 millions en 2021, et ce, en raison des conflits qui ont éclaté en Syrie, au Soudan du Sud et de nombreux autres endroits. En outre, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février de cette année a entraîné la crise de réfugiés la plus importante et la plus rapide que l’Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale, plus de cinq millions d’Ukrainiens ayant fui le pays.

Plus exposées à la violence, à l’exploitation et aux abus, les personnes handicapées font partie des groupes de réfugiés les plus vulnérables, selon le HCR. Les migrants âgés ainsi que les femmes et les filles souffrant d’un handicap sont tout particulièrement à risque. Il n’existe pas de chiffres exacts sur le nombre de réfugiés handicapés, mais les estimations de l’Organisation mondiale de la santé et des Nations unies avancent le chiffre d’environ 12 millions de personnes.

« Ils doivent se débrouiller entièrement seuls »

Ces dernières années, la Malaisie a vu arriver de nombreux réfugiés — notamment des membres de la minorité persécutée des Rohingyas — en provenance de la Birmanie. Le coup d’État militaire de 2021 et les nombreuses violences qui ont suivi ont également poussé de nombreux habitants de la Birmanie à fuir vers ce pays d’Asie du Sud-Est. La Malaisie n’est pas signataire de la Convention des Nations unies sur les réfugiés de 1951 ni du protocole ultérieur qui a étendu son application. Elle ne dispose pas non plus d’un système d’asile réglementant le statut et les droits des réfugiés.

« En Malaisie, les réfugiés n’ont aucun droit humain fondamental, notamment l’accès à l’éducation, le droit de travailler légalement, [le droit aux] soins de santé, à la sécurité et à la justice », explique à Equal Times Hasan Al-Akraa, de l’ONG Asylum Access en Malaisie. « Ils doivent se débrouiller entièrement seuls pour les nécessités de base telles que le logement, la nourriture et les soins médicaux. »

« Les difficultés sont encore pires pour les réfugiés qui vivent avec des handicaps, puisqu’ils n’ont accès à aucun système de soutien », explique M. Al-Akraa, soulignant le coût des soins de santé spécialisés et des aides à la mobilité, ainsi que l’inaccessibilité de l’éducation.

Conjointement au HCR et à d’autres ONG locales, Asylum Access Malaisie a plaidé pour que le gouvernement ratifie la Convention des Nations unies sur les réfugiés. Néanmoins, M. Al-Akraa estime que la lutte ne prendra pas fin lorsque la Malaisie aura ratifié ce document juridique essentiel et il prévient que davantage de systèmes et de mesures de soutien doivent être mis en place pour aider les réfugiés handicapés.

Bien que le Kenya soit l’un des 149 pays qui ont signé la convention de 1951 sur les réfugiés, cela ne signifie pas que les réfugiés handicapés n’y rencontrent pas d’obstacles.

David Kaloki est le responsable du projet « Humanité et inclusion » au camp du HCR de Kakuma, au Kenya. « On pourrait parler des personnes handicapées, des mineurs non accompagnés, des familles gérées par des enfants ; elles présentent une vulnérabilité plus grande que le simple fait d’être des réfugiés », déclare-t-il.

Établi en 1992 par le HCR, le camp de réfugiés de Kakuma est aujourd’hui l’un des plus grands camps de réfugiés au monde et accueille principalement des réfugiés des pays voisins, le Soudan du Sud et la Somalie. Le camp compte 21 écoles primaires inclusives, capables d’accueillir des enfants handicapés. Au départ, ce n’était pas le cas, explique M. Kaloki, et les enfants handicapés étaient placés dans des écoles « spéciales ». « Il y avait une école pour les aveugles, une école pour les personnes handicapées physiquement, etc. », explique-t-il. Mais le personnel du camp et les volontaires ont plaidé pour plus d’inclusion et ont insisté pour que tous les enfants apprennent ensemble « dans la même classe afin d’éliminer les problèmes de stigmatisation et de discrimination », poursuit-il.

La majorité des réfugiés qui ont recours aux services d’Humanité et Inclusion au camp de Kakuma — services qui vont de la fourniture d’une aide à la mobilité et d’un soutien psychosocial aux services de thérapie de rééducation — ont un handicap physique. Le camp accueille un grand nombre d’amputés, blessés au cours de conflits dans leur pays d’origine. C’est particulièrement vrai pour les réfugiés handicapés originaires du Soudan du Sud.

La prise en charge des réfugiés handicapés qui ont besoin d’aides à la mobilité ou de prothèses se heurte à de nombreux obstacles, explique M. Kaloki. « Le premier est le manque de ressources pour la fourniture d’appareils d’assistance et de mobilité », explique-t-il, ajoutant que ces aides sont très coûteuses et rares dans le camp.

Les établissements de santé : souvent pris pour cible dans les situations de conflit

Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Victoria Horodovitch vivait avec sa mère âgée et ses deux enfants — Julie et Egor — à Kharkiv, une ville du nord-est du pays située près de la frontière russe. C’est la première ville ukrainienne à avoir été envahie par les forces russes. Le premier jour de l’invasion, Mme Horodovitch a été réveillée par le bruit des bombardements. « J’ai vu les éclairs dans le ciel depuis mon appartement au cinquième étage », raconte-t-elle à Equal Times. « J’ai réveillé ma mère et ma fille et je leur ai dit : “Maman, Julie, la guerre a commencé. »

Egor, le fils adolescent d’Horodovitch, fait partie des 2,7 millions d’Ukrainiens handicapés. Il souffre d’épilepsie, d’autisme et de faiblesse musculaire et a besoin de soins médicaux spécialisés, qui étaient devenus inaccessibles quelques jours à peine après l’invasion.

À la mi-mars, à mesure que les bombes se rapprochaient de leur appartement, un ami de la famille a conduit Mme Horodovitch et ses enfants à la gare de Kharkiv, afin qu’ils puissent fuir vers la ville de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. La mère de Victoria Horodovitch est restée là-bas. Mais avant que la famille ne puisse monter dans le train, la ville a été bombardée par les forces armées russes lors d’une nouvelle attaque d’artillerie. Cette situation tendue a eu un impact important sur Egor. « Il était tellement nerveux. Il refusait de manger, il refusait de boire », raconte sa mère. « Ça l’a fortement perturbé. »

Après une heure, le train s’est finalement mis en route pour Lviv. À ce moment-là, Egor avait du mal à respirer et Mme Horodovitch a suspecté qu’il souffrait d’une pneumonie. Lorsque le train est arrivé à Lviv, une infirmière du petit centre médical de la gare de Lviv a fait ce qu’elle a pu pour assurer le confort d’Egor avant l’arrivée d’une équipe de médecins en provenance de Pologne avec davantage de matériel. Après une période d’observation et des tests à Lviv, les médecins ont envoyé la famille de l’autre côté de la frontière, afin qu’Egor puisse recevoir un traitement supplémentaire pour ses symptômes de pneumonie dans un hôpital de Varsovie.

Dans une enquête du Sommet humanitaire mondial sur le handicap et le déplacement forcé, 70 % des personnes interrogées — toutes des réfugiés en situation de handicap — ont cité l’accès aux services de santé comme leur préoccupation principale. Ces inquiétudes sont fondées : les établissements de santé sont souvent pris pour cible dans les situations de conflit. Selon le système de surveillance des attaques contre les soins de santé de l’OMS, 665 attaques ont été perpétrées contre des établissements de santé ukrainiens depuis le début de la guerre.

De nombreux bénévoles et ONG à travers l’Europe se sont mobilisés pour apporter leur soutien aux réfugiés ukrainiens en situation de handicap comme Egor et les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans ces efforts humanitaires.

Pomoc dla Ukrainy (De l’aide pour l’Ukraine), un groupe Facebook populaire auprès des bénévoles en Pologne, a rassemblé près de 600.000 membres depuis le début de l’invasion russe. « Nous avons [constaté] un afflux important d’Ukrainiens handicapés au cours des deux dernières semaines de mars », explique à Equal Times Zofia Jaworowska, administratrice du groupe, ajoutant que l’arrivée tardive de ces réfugiés pourrait être due aux « défis qui les attendent. »

Mme Jaworowska qualifie d’« urgente » la situation des réfugiés handicapés, notamment en matière de soins de santé et de logement. Le système de santé polonais était déjà mis à rude épreuve avant même l’arrivée de milliers de réfugiés ukrainiens et la pénurie de logements est un problème de longue date dans de nombreuses villes polonaises. Les réfugiés handicapés, conclut Mme Jaworowska, sont confrontés à des « difficultés supplémentaires en plus de toutes les autres » auxquelles doit faire face le migrant moyen en Pologne.

Après la sortie de l’hôpital d’Egor, Mme Horodovitch et ses enfants se sont rendus en Autriche, afin de pouvoir séjourner dans la famille de son mari et de se rapprocher de ce dernier, qui travaille actuellement de l’autre côté de la frontière, en Allemagne.

Selon Mme Horodovitch, en fin de compte, sa décision de tout abandonner derrière elle a permis de sauver la vie d’Egor. « Si j’étais restée avec lui en Ukraine, il serait mort. Son état physique était vraiment mauvais », déclare-t-elle. « Je serai reconnaissante envers les Polonais jusqu’à la fin de mes jours. »