En Syrie, des milliers d’enfants abandonnent l’école pour travailler dans des conditions dangereuses

En Syrie, des milliers d'enfants abandonnent l'école pour travailler dans des conditions dangereuses

Nadim Naqo at his workplace in eastern Aleppo. The 11-year-old boy polishes metal parts by hand, without even the most basic protective equipment.

(Emad Al Basiri)

Si dans de nombreux pays du monde arabe le travail des enfants est un état de fait qui participe de la réalité quotidienne de la région, le problème revêt un caractère particulièrement dramatique et grave dans le cas de la Syrie, où le tissu social et le système éducatif lui-même subissent les effets dévastateurs d’une guerre qui dure depuis plus de 11 ans. Dans le nord-ouest du pays, des milliers d’enfants se voient contraints d’abandonner l’école pour rejoindre, dans des conditions de grande vulnérabilité, un marché du travail qui les cantonne souvent à des travaux extrêmement durs et à haut risque, comme dans le raffinage artisanal du pétrole, où ils travaillent au péril de leur vie, tant en raison de la nature de leur labeur que du risque de voir leur poste de travail converti en cible militaire.

L’un de ces enfants est Jamil Al-Safirani, un garçon de 14 ans qui vit actuellement dans la ville de Tarhin, au nord-est d’Alep (où il a passé la majeure partie de sa vie depuis qu’il a été déplacé avec sa famille lorsque les forces du régime de Damas – soutenues par des milices iraniennes – ont repris le contrôle de sa ville natale d’Al-Safira, au sud-est d’Alep, en 2013).

Des tâches dangereuses, effectuées par des enfants

Cela fait maintenant trois ans que Jamil travaille sur les brûleurs à pétrole du village où il vit. Il avait à peine 11 ans lorsqu’il a été contraint d’abandonner l’école et de se mettre à travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, malgré les risques et les maladies auxquels sont exposés les personnes qui exercent cette activité.

Dans de nombreux endroits du nord de la Syrie, comme Tarhin, qui autrefois foisonnaient de vergers et d’oliveraies, le paysage est désormais jonché de mares de pétrole brut brûlé et raffiné selon des procédés très primitifs pour obtenir un type de fioul connu localement sous le nom de « mazot », que des millions de personnes utilisent chaque jour comme carburant pour le transport, le chauffage et la cuisine.

Ce que l’on nomme les « brûleurs à pétrole » sont en fait des champs reconvertis en raffineries artisanales extrêmement rudimentaires, où le pétrole brut, acheminé à partir d’autres régions du pays sous le contrôle des forces soutenues par les États-Unis, est distillé et transformé en carburant, le tout moyennant des procédés très sommaires. Ces opérations de raffinage artisanales font des dizaines de morts chaque année, non seulement à cause des accidents et des explosions qui peuvent survenir à tout instant au cours du processus de production, mais aussi de l’intoxication due à l’inhalation constante de gaz qui, en plus de noircir l’air de ces champs de pétrole improvisés, génèrent une pollution lourde et acide qui nuit gravement aux populations riveraines et se propage à des centaines de kilomètres.

« Je ne compte plus les heures que j’ai passées chaque jour à travailler dans ce champ de pétrole, malgré tous les dangers et malgré les difficultés respiratoires et les maladies de peau dont nous souffrons régulièrement, pas seulement moi, mais tous les enfants et les autres travailleurs qui exercent cette activité », nous confie Jamil.

Ces raffineries de fortune assurent un approvisionnement suffisant pour répondre à la demande locale de carburant. Cependant, le secteur emploie aussi des centaines d’enfants chargés de collecter les déchets issus de la combustion du pétrole brut, de nettoyer les cuves de brûlage et d’en éliminer les impuretés. Ces enfants sont constamment exposés à des substances toxiques qui provoquent aussi bien des toux chroniques et de l’asthme allergique que des bronchites et des pneumonies aiguës, sans compter le risque d’explosions mortelles pouvant résulter de la moindre négligence ou fuite de carburant.

À cela s’ajoute la menace constante de bombardements à laquelle sont soumis les champs pétroliers. « J’ai survécu plusieurs fois aux bombardements russes contre les raffineries de Tarhin », confirme le jeune Al-Safirani. De fait, les cuves à combustion où il risque quotidiennement sa santé et sa vie ont été bombardées à plusieurs reprises par l’aviation russe et syrienne. Trois civils et un volontaire de la défense civile syrienne ont été directement victimes de ces attaques en mars 2021.

Un environnement fragile et précaire

En toile de fond de cette situation, la violence, la crise économique et la pandémie de covid-19 poussent les familles syriennes au bord du gouffre. Selon un rapport du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), près de 90 % des enfants du pays ont déjà besoin d’aide humanitaire. À la suite de crises économiques successives, le nombre de Syriens vivant sous le seuil de pauvreté dépasse désormais 90 % de la population, selon le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations Unies, Martin Griffiths, qui a déclaré que pour survivre, de nombreux Syriens sont contraints de faire des choix très difficiles.

Tel est le cas de Nadim Naqo, un garçon de 11 ans originaire de la ville d’al-Bab, au nord-est d’Alep, qui a passé la moitié de sa vie à travailler aux côtés de son père dans une activité aussi pénible et épuisante que le polissage manuel de pièces métalliques. « J’ai commencé à travailler avec lui dès l’âge de six ans, j’y ai été contraint à force d’être constamment transbahuté d’un endroit à un autre, ce qui fait que je ne pouvais même pas aller à l’école », raconte l’enfant.

« Mon rêve le plus cher était d’apprendre un bon métier pour aider ma famille et alléger la charge qui pesait sur mon père. »

Si certains de ses amis vont toujours à l’école, d’autres ont, comme lui, dû abandonner les cours pour aider leur famille. « J’aime l’école et j’aimerais y retourner, mais les conditions de vie sont difficiles, et j’ai déjà perdu de nombreuses années d’études », explique-t-il, se plaignant de douleurs constantes aux mains. « Ce que mon travail a de bon, c’est que mon père est à mes côtés, et que parfois, pendant mes jours de congé, je peux jouer avec mes amis. »

Dans cette même ville d’al-Bab, une mère de famille de 49 ans, Umayyah Sfirani, déplacée de sa localité rurale au sud d’Alep, confirme que ses quatre enfants, qui travaillent eux aussi dans les raffineries de pétrole, ont été forcés d’abandonner l’école du fait d’un concours de circonstances relativement courant : la précarité et le manque d’opportunités résultant de leur condition de fugitifs de la guerre. « Je sais combien ce travail est dangereux, mais nous n’avions pas le choix », confie-t-elle. Les maigres revenus de ses enfants permettent de couvrir les besoins essentiels de la famille dans des circonstances extrêmement difficiles, et qui semblent même s’aggraver. « Je prie pour qu’ils puissent retourner à l’école une fois que la situation se stabilisera, et que nous puissions rentrer chez nous », confie-t-il, tout en admettant que pour l’instant, « il s’agit malheureusement d’un rêve lointain ».

Des solutions en vue ?

Selon un récent rapport de l’ONG Save the Children, deux enfants sur trois dans le nord de la Syrie ne sont déjà plus scolarisés, tandis qu’à l’échelle nationale, il est estimé que 2,45 millions d’enfants n’étaient plus scolarisés à la fin de 2019. Si la déscolarisation et le travail des enfants sont deux fléaux qui touchent l’ensemble du pays, le problème pourrait être encore plus important dans la partie du pays contrôlée par le gouvernement de Bachar el-Assad, bien qu’aucune donnée officielle ne soit disponible. Les contacts pris sur le terrain par les journalistes, auteurs de cet article, semblent néanmoins confirmer cette réalité.

Comme l’a expliqué dans un entretien accordé à Equal Times la directrice des campagnes et de la communication du bureau syrien de l’ONG, Kathryn Achilles, il n’est pas rare qu’en raison de la guerre et de la situation économique générale, les enfants soient soumis à une forte pression les contraignant à abandonner l’école. Devant la nécessité urgente de trouver de la nourriture, de l’eau potable et un abri sûr, les enfants ont souvent l’impression de ne pas avoir d’autre choix que de travailler pour aider leur famille à joindre les deux bouts.

Pendant ce temps, Jihad Al-Hijazi, ministre de l’Éducation au sein du gouvernement intérimaire de la région du nord-est, actuellement sous le contrôle de la Coalition nationale des forces de l’opposition syrienne, a déclaré lors d’un entretien avec Equal Times que les bombardements effectués par le régime de Damas, avec le soutien militaire de Moscou, constituent le principal facteur qui pousse les enfants à troquer l’école pour un travail.

Outre la destruction physique de leurs écoles, leurs familles ont fait l’objet de déplacements forcés vers des régions plus sûres du pays, contraignant de nombreux enfants à travailler pour aider leurs parents à subvenir aux besoins de la famille lorsqu’ils arrivent dans leur nouveau lieu de refuge.

Alors que le peuple syrien se distinguait naguère à l’échelle de la région par sa détermination à assurer l’éducation des nouvelles générations, M. Al-Hijazi a souligné que les effets de l’instabilité sociale, de la guerre, des bombardements et des déplacements massifs de population ont provoqué la perte, pour de nombreuses personnes, des terres et des biens qui assuraient leur subsistance.

Selon le ministre par intérim, pour résoudre le problème de l’abandon scolaire et du travail des enfants, la première priorité est de réhabiliter les enfants qui sont encore en âge d’être scolarisés, et ce par le biais de programmes d’enseignement intensifs spécialement conçus à leur intention, qui tiennent compte de leurs longues périodes d’absence scolaire.

À cette fin, il conviendrait d’apporter un soutien financier aux familles qui dépendent actuellement des revenus de ces enfants, ainsi que de mettre en place des programmes d’enseignement professionnel, technique et artisanal destinés aux enfants et aux adultes qui ont déjà trop de difficultés pour être réintégrés dans un programme d’enseignement classique.

Pour Kathryn Achilles de Save The Children, la résolution de ce problème « exige de la part des différents acteurs humanitaires qu’ils œuvrent de concert, afin d’identifier les enfants qui travaillent ou risquent de devoir travailler, de veiller à ce que les familles disposent d’argent et d’un soutien pour accéder à un emploi et à des moyens de subsistance, et de permettre aux enfants d’aller à l’école et de réintégrer le système. Mais surtout », a-t-elle conclu, « des efforts concertés sont nécessaires pour mettre un terme au conflit et aider les familles à se relever. »

This article has been translated from Spanish by Salman Yunus

Cet article est le fruit d’une collaboration entre Baynana – le premier média en espagnol et en arabe créé par des réfugiés et migrants – et Equal Times.