Les Nigérians qui ont fui la violence de Boko Haram sont renvoyés vers le danger

Les Nigérians qui ont fui la violence de Boko Haram sont renvoyés vers le danger

A woman carries her belongings at the Bakassi camp for internally displaced persons in Maiduguri, Nigeria, on 30 November 2021. Residents vacated the camp ahead of the closure deadline set by the Borno State government.

(AFP/Audu Marte)
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Dès qu’elle a appris, en octobre dernier, que le camp pour personnes déplacées où elle vivait depuis plusieurs années fermerait d’ici la fin de 2021 et que ses occupants seraient renvoyés dans leurs villages d’origine, Khadija Usman a commencé à préparer son départ de Maiduguri.

Elle est arrivée en 2018 au camp de Teacher’s Village, situé dans la capitale de l’État de Borno, dans le nord-est du pays, après que des militants de Boko Haram ont pris d’assaut la localité où elle vivait, à Baga, une ville située plus au nord. Ayant appris la décision du gouvernement, la jeune femme de 27 ans a commencé à économiser l’argent qu’elle gagnait en vendant des galettes d’arachide à l’extérieur du camp. Elle voulait ainsi réunir suffisamment de moyens pour pouvoir se prendre en charge lorsqu’elle rentrerait chez elle.

« Même si une partie d’entre nous pensait que ce n’était pas la bonne décision [de fermer les camps] car nous entendions dire que Boko Haram continuait à attaquer certaines communautés [éloignées], nous n’avions pas d’autre choix que de nous préparer à partir », explique Khadija à Equal Times. « Nous avons supplié le gouvernement de nous laisser rester plus longtemps, jusqu’à ce que nous puissions rentrer chez nous en toute sécurité, mais nos prières n’ont pas été entendues. »

Les faits lui ont donné raison. Alors qu’elle rentrait chez elle en janvier, elle et une douzaine d’autres occupants du camp – pour la plupart des femmes – ont été attaquées par des insurgés de Boko Haram au cours d’une embuscade sur la route. Plusieurs d’entre elles ont été atteintes par des tirs, mais elle a réussi à s’échapper indemne. Elle a alors décidé, avec d’autres survivantes de l’attaque, de se rendre dans un camp pour déplacés internes à Madinatu, à proximité de Maiduguri, où l’ordre de fermeture du gouvernement n’avait pas encore été mis à exécution.

« Nous ignorons combien de temps nous serons autorisées à rester ici. Si nous ne nous préparons pas à partir bientôt, un jour ils nous expulseront».

Teacher’s Village était l’un des nombreux camps érigés dans la zone de Maiduguri pour accueillir les centaines de milliers de Nigérians qui ont fui leurs villages pour échapper à la violence du groupe militant islamiste Boko Haram. Jusqu’à sa fermeture au début du mois de janvier, il hébergeait un peu plus de 18.000 personnes déplacées par le conflit.

Dans son discours de nouvel an, le gouverneur de l’État de Borno, Babagana Zulum, a déclaré que les camps devaient fermer, car ils « étaient en train de se transformer en bidonvilles où régnaient toutes sortes de vices, notamment la prostitution, la drogue, voire le banditisme ».

Les responsables gouvernementaux insistent sur le fait que la situation sécuritaire au niveau de l’État s’est améliorée et entendent fermer tous les camps d’ici 2026, après avoir déjà fermé sept des 13 camps situés à Maiduguri et dans sa périphérie.

Une décision prématurée

Les attaques récentes, comme celle subie par Khadija Usman, prouvent toutefois qu’une grande partie de l’État de Borno n’est toujours pas sécurisée. Même les réfugiés qui parviennent à rejoindre leurs villages ne sont plus en sécurité, car les militants ont renouvelé leurs incursions dans des villages auparavant libérés par l’armée nigériane.

En février, quelques semaines seulement après le retour d’Usman Aliyu, 40 ans, du camp Teacher’s Village à son village d’origine, Kornari, dans l’est du Borno, des insurgés de Boko Haram ont lancé une attaque contre ce village, tuant trois personnes et en blessant une douzaine d’autres par balle. M. Aliyu s’est enfui pour la première fois à Maiduguri en 2017 après que des militants de Boko Haram ont réduit sa maison en cendres. À la suite de l’attaque de février, il a décidé de quitter son village pour la deuxième fois en cinq ans, pour trouver refuge à Maiduguri.

« Pas une seule semaine ne s’est écoulée pendant la période où j’étais à Kornari, entre janvier et février, sans que les militants ne nous attaquent », explique-t-il à Equal Times. « J’ai estimé qu’il était trop dangereux de continuer à vivre là-bas et je suis donc retourné à Maiduguri. » M. Aliyu avait, d’emblée, été peu enclin à retourner dans son village natal. Tout comme Khadija Usman, les circonstances ne lui semblaient pas propices à un retour chez lui et, tout comme elle, il n’a pas vraiment eu le choix. Yusuf Chiroma, membre de la Borno Community Coalition, un groupe local de coopérants œuvrant en soutien aux déplacés internes, explique que les camps qui ont fermé abritaient un nombre extrêmement élevé de réfugiés.

« Ces sept camps accueillaient plus de 100.000 personnes, dont beaucoup se trouvent peut-être aujourd’hui en danger », dit-il.

Dans un premier temps, le gouvernement nigérian a réinstallé les réfugiés hébergés dans les camps de Maiduguri dans d’autres camps créés spécifiquement pour désengorger les camps massivement surpeuplés dans et autour de la capitale de l’État de Borno. Cependant, à la fin de l’année dernière, les autorités sont revenues sur leur décision et ont annoncé la fermeture de tous les camps de Maiduguri.

Les premiers signes indiquant que la décision du gouvernement de fermer les camps était prématurée sont apparus l’année dernière lorsque des réfugiés réinstallés dans d’autres villages de Maiduguri ont été pris pour cibles par des militants de Boko Haram. De nombreuses autres personnes ont perdu la vie en raison de maladies causées par le manque d’hygiène dans les villages où elles ont été réinstallées. En août 2021, selon un rapport d’Amnesty International, un mois seulement après leur réinstallation par le gouvernement, au moins six personnes ont été tuées et 14 autres blessées lorsque Boko Haram a attaqué le village d’Agiri. Toujours selon le rapport d’Amnesty, en octobre, environ 41 personnes sont décédées des suites d’une épidémie de choléra dans un camp de personnes réinstallées à Shuwari.

« Pour commencer, les militants de Boko Haram menacent les gens dans toute la communauté », indique Babagana Usman [qui n’a aucun lien avec Khadija Usman], un réfugié réinstallé de Maiduguri à Shuwari. « Puis, comme le camp [de réinstallation] ne dispose pas de suffisamment de toilettes pour les milliers de PDI (personnes déplacées internes) qui y vivent, les gens se mettent à déféquer n’importe où et certains ne se lavent même pas les mains parce que l’accès à l’eau pose un énorme problème », a-t-il souligné.

L’exploitation par le travail et la traite des êtres humains en hausse

Les organisations humanitaires ont critiqué la décision de fermer les camps et ont déclaré qu’elle pourrait compromettre l’aide aux victimes, dans la mesure où les équipes humanitaires sont susceptibles d’être prises pour cibles par les militants lorsqu’elles travaillent dans ces zones. Elles relèvent que ces derniers mois ont vu se multiplier les attaques des insurgés contre les civils dans certaines parties de l’État de Borno, notamment dans les zones dont proviennent de nombreuses personnes déplacées à Maiduguri.

« Si nous ne sommes pas en mesure de porter secours aux personnes déplacées à Maiduguri, il est peut-être temps de remettre en question nos opérations dans l’État de Borno », a déclaré dans un entretien avec Equal Times le directeur de la fondation Caprecon, Dollin Holt. La fondation apporte un soutien psychosocial aux victimes de la traite des êtres humains. « Sortir de Maiduguri pourrait revenir à se jeter dans les griffes des insurgés. »

Ce qui inquiète également les travailleurs humanitaires, c’est que la décision de fermer les camps de Maiduguri fait que davantage de personnes déplacées tombent dans les filets des trafiquants d’êtres humains, qui ciblent depuis longtemps les personnes déracinées par le conflit de Boko Haram.

Depuis la fermeture d’une partie des camps, on a vu augmenter de façon spectaculaire le nombre de réfugiés engagés comme ouvriers agricoles dans des exploitations qui fournissent un logement. Un grand nombre de ces travailleurs, qui sont tenus à des journées de travail de plus de 10 heures pour moins d’un dollar par jour, n’ont pas l’âge requis. « Nous voyons l’esclavage moderne proliférer de jour en jour », déclare Yusuf Chiroma, de la Borno Community Coalition.

« Ces personnes sont désespérément à la recherche d’un endroit pour se loger et gagner de l’argent, peu importe combien, et sont prêtes à tout pour se nourrir et avoir un toit au-dessus de leur tête. »

La traite transfrontalière a également augmenté. Depuis la fermeture des camps, un certain nombre de personnes déplacées se sont vu proposer des emplois au Niger voisin par des inconnus qui exigent parfois en contrepartie le versement d’une partie de leurs revenus futurs. En 2020 déjà, un rapport de l’ONU mettait en garde contre le fait que les personnes déplacées qui quittaient le Nigeria pour travailler au Niger devenaient souvent victimes de l’exploitation et de la traite de main-d’œuvre.

« Alors qu’ils étaient sur le point de fermer le camp, un homme est venu me proposer d’aller au Niger pour travailler dans une ferme, mais je lui ai dit que je n’étais pas intéressé », raconte Aliyu Jibrin, la quarantaine. Il vivait dans le camp de Teacher’s Village qui a depuis fermé. « Je sais que quatre enfants, tous des garçons, l’ont suivi au Niger. »

Risque de famine

À l’heure qu’il est, tout le nord-est du Nigeria court à la famine en raison de phénomènes climatiques extrêmes et de l’insurrection de Boko Haram, qui a chassé les agriculteurs de leurs terres. Le Programme alimentaire mondial estime qu’à l’heure actuelle au Nigeria, 4,4 millions de personnes risquent de mourir de faim.

Le conflit en Ukraine a également provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires au Nigeria et mis en évidence la dépendance chronique du pays à l’égard des importations alimentaires. Dans l’État de Borno, le cours actuel du millet, l’une des céréales les plus consommées dans le nord du Nigeria, est plus de 70 % supérieur à son cours moyen des cinq dernières années.

Le gouvernement estime que le moment est venu d’intensifier la production alimentaire dans l’État. « Nous sommes actuellement dans la saison de plantation de cultures très importantes comme le millet et l’arachide et nous avons besoin que ces personnes déplacées rentrent chez elles et aillent dans les fermes », a déclaré Usman Mohammed, un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture de l’État de Borno. « Si nous n’envoyons pas les gens aux champs, des centaines de milliers de personnes mourront de faim. »

Malgré l’opposition croissante à sa décision de fermer les camps, le gouvernement se montre intraitable et la fermeture des six camps restants, situés à proximité de Maiduguri, n’est plus qu’une question de temps.

Pour les occupants des camps, la décision vient ajouter une nouvelle couche d’incertitude à une situation déjà fort difficile. « Durant des années, au camp de Teacher’s Village, je me mettais au lit le soir en étant sûre de toujours avoir un toit au-dessus de la tête le lendemain », raconte Khadija Usman. « Mais à l’heure actuelle, je ne peux pas affirmer avec certitude que j’aurai un endroit où dormir demain. »