Les ONG et les activistes égyptiens ne sont pas les bienvenus à la COP27

Les ONG et les activistes égyptiens ne sont pas les bienvenus à la COP27

In this photo taken in Cairo’s Heliopolis neighbourhood in January 2020, century-old trees are being cut down to make way for new roads.

(Mohamed el-Shahed/AFP)

« Votre demande a été déclinée », c’est la réponse reçue par Azza Souliman, la directrice du Centre d’assistance juridique aux femmes égyptiennes (CEWLA), à sa demande de participation à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP27), organisée par l’Égypte dans quelques jours. Ces derniers mois, Azza Souliman et son équipe de sept avocats et activistes misaient sur leur participation pour parler des effets du changement climatique sur les femmes égyptiennes, notamment dans les campagnes et les quartiers les plus pauvres.

L’ONG, qui a déjà participé en visioconférence à la COP26 à Glasgow, espérait que l’organisation par l’Égypte de la COP27 les aiderait à présenter leur point de vue sur les femmes et le changement climatique dans les pays en développement. Tout au long de la préparation de leur dossier, elle n’avait jamais imaginé que les autorités égyptiennes osent les empêcher de participer à cet événement international, qui couvre le climat, zt « pas d’autres sujets jugés sensibles pour le régime égyptien ». Mais leurs espoirs se sont évaporés.

« Ils ont répondu par “non”, rien d’autre. Ils n’ont même pas donné une justification pour expliquer leur refus. Seulement “non”. Voilà, c’est comme ça que l’État traite les ONG avant la COP27 », dit Azza Souliman à Equal Times.

Protéger l’image de l’Égypte

À partir du 6 novembre, tous les regards seront dirigés vers la station balnéaire de Charm el-Cheikh. Des centaines de chefs d’État, ministres, personnalités officielles, représentants d’ONG et activistes du monde entier seront attendus pour débattre sur le changement climatique et les mesures à prendre pour le contrer.

Les autorités égyptiennes s’efforcent d’organiser l’événement pour montrer une bonne image du pays et du régime du président Abdel Fattah al-Sissi et cela se fait avec une méthode non-avouée : empêcher toute ONG et activistes indépendants qui pourraient parler de la situation des droits humains, et même de la politique du régime concernant l’environnement, d’accéder à la station balnéaire durant la rencontre.

« Les autorités égyptiennes tentent de passer un message clair aux ONG égyptiennes. Ce qui se passe en Égypte, doit rester caché aux yeux du monde. Les ONG du monde entier peuvent y aller, mais les ONG indépendantes égyptiennes ne sont pas les bienvenues », regrette Azza Souliman.

Le 7 octobre, le comité des experts de l’ONU a appelé dans un communiqué, l’Égypte à lever toutes les restrictions imposées sur les ONG et les activistes indépendants avant la COP27. Il a également demandé aux autorités égyptiennes d’assurer la sécurité et la pleine participation de toutes les branches de la société civile à cette conférence.

Le communiqué a indiqué que les arrestations, détentions, gel des avoirs et dissolutions des ONG, et restrictions sur les voyages pour les défenseurs des droits humains, créent un climat de peur dans la société civile, l’empêchant de s’engager visiblement.

Malgré ces avertissements, les autorités égyptiennes n’entendent pas faire marche arrière. « Nous n’avons pas reçu d’invitation pour assister à la COP27. Nous n’avons pas présenté une demande, car on savait qu’elle serait refusée, comme pour les autres ONG en Égypte », ajoute pour sa part, Malek Adly, le directeur du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux (ECESR) à Equal Times.

Depuis sa fondation en 2009, l’ECESR travaille notamment sur la justice environnementale, et défend les travailleurs et habitants victimes des actions de l’État, ainsi que de la pollution causée par les usines, comme celles de fabrication de pesticides et de ciment par exemple. Après le choix de l’Égypte pour l’organisation de cette conférence, ECESR a lancé une campagne et une série d’enquêtes sur le changement climatique en Égypte et les pratiques du gouvernement qui aggravent le problème.

Malgré leur expertise sur le changement climatique, les membres de ce centre sont contraints de suivre de loin la COP27. « Chaque ONG et activiste qui travaille dans le domaine de l’environnement devrait pouvoir y aller librement, comme on l’a vu dans toutes les COP précédentes », ajoute Malek Adly.

Déception avant la COP27

Depuis l’année dernière, l’Égypte a lancé la Stratégie nationale des droits de l’homme, pour améliorer son bilan en la matière. Si cette annonce a été bien accueillie par la société civile, qui pensait que l’État allait libérer les prisonniers politiques et ouvrir l’espace civique, rien n’a changé depuis lors. Au contraire, la situation est de pire en pire.

Dans un rapport publié le 21 septembre dernier, Amnesty international a affirmé qu’après un an, les autorités égyptiennes « ont continué à étouffer les libertés et à commettre des crimes au regard du droit international, en amont de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique ». Des ONG accusent le régime égyptien d’exercer la détention arbitraire sans procès pour des dizaines de milliers d’opposants et civils, ainsi que la disparition forcée pour certains opposants qui réapparaissent devant les cours de justice avec une liste de fausses accusations.

Si l’Égypte a libéré dans les derniers mois des dizaines des prisonniers politiques, leur nombre est encore minime comparé à celui de tout ceux détenus dans le pays. Des ONG, dont Amnesty international, estiment à 60.000 le nombre de prisonniers politiques en Égypte.

Le 26 septembre, 12 ONG égyptiennes ont lancé un appel conjoint aux autorités égyptiennes, pour ouvrir l’espace civique et relâcher les prisonniers en détention arbitraire. « Nous soulignons qu’une action climatique efficace n’est pas possible sans espace civique ouvert. En tant qu’hôte de la COP27, l’Égypte risque de compromettre le succès du sommet si elle ne s’attaque pas de toute urgence aux restrictions arbitraires en cours sur la société civile », peut-on lire dans l’appel.

Le 14 octobre, les autorités égyptiennes ont interdit à l’activiste et avocate des droits humains, Mahienour El-Massry, de voyager en Italie pour participer à la cérémonie de l’Aurora Prize pour lequel elle a été nommée. « On avait l’espoir que cet événement international puisse ouvrir l’espace public, mais les arrestations ne s’arrêtent jamais. Chaque jour, il y a des interpellations de civils par la sécurité d’État », commente Azza Souliman.

Les ONG et les dissidents locaux misaient sur la possibilité d’un boycott de cette édition par les pays occidentaux, si l’Égypte ne montrait pas de sérieux avancements dans le dossier des droits humains.

Richard Pearshouse, le directeur du dossier de l’environnement auprès de l’ONG Human Rights Watch a mis en garde les leaders des pays contre le fait de faire des concessions concernant les droits humains en Égypte. « Ce sera une erreur fondamentale si les diplomates se rendent à la COP27 en pensant qu’ils doivent à peine évoquer les droits humains afin de faire avancer les négociations sur le climat. Nous n’obtiendrons pas l’action climatique urgente nécessaire sans la pression de la société civile, la situation en Égypte nous le montre », a-t-il déclaré au Guardian.

Interdiction de manifester et hypocrisie sur l’environnement

Sera-t-il possible de manifester pendant la COP27 ? Dans un pays où se regrouper en public à plus de dix personnes ou afficher un message politique est interdit, les activistes égyptiens et les ONG n’oseront probablement pas franchir la ligne rouge.

« Il y a une loi qui interdit les manifestations en Égypte, et plusieurs personnes sont encore en prison pour avoir osé brandir une pancarte dans la rue », dit à Equal Times un activiste indépendant pour l’environnement, qui a demandé à rester anonyme. « À mon avis, seuls les Égyptiens choisis par les appareils sécuritaires vont manifester en brandissant des slogans pro-régime, pour donner une bonne image au gouvernement », a-t-il ajouté.

Outre les droits humains, le gouvernement s’efforce de cacher aux participants étrangers de la COP27, son bilan néfaste en matière d’environnement. Dans sa vidéo de promotion de la ville de Charm el-Cheikh avant la COP27, la présidence égyptienne montre des jeunes qui se baladent librement dans la ville, en buvant dans des gobelets recyclés, avant d’être réutilisés pour produire du compost pour les jardins de la ville. La vidéo semble montrer que l’État prend au sérieux chaque détail lié à l’environnement. Mais sur le terrain, la situation est bien moins glorieuse.

« Il n’y aucun professionnalisme concernant l’environnement en Égypte. Le régime actuel renforce la laideur partout. Il coupe les arbres et détruit les jardins pour des constructions en ciment », précise Azza Souliman.

Depuis 2014, des militants de l’environnement accusent le régime égyptien de commettre un véritable « massacre des arbres » dans les rues du Caire et d’autres villes, pour des projets urbains, des cafés et restaurants plus rentables pour l’État. Une stratégie qui suscite de fortes polémiques au Caire, ville dont l’air est l’un des plus pollués au monde.

Les habitants de la ville d’Alexandrie, ainsi que des militants écologistes sont en colère suite au début de la destruction d’Antoniadis Gardens, un des parcs les plus anciens de la ville méditerranéenne. Des bulldozers œuvrent depuis septembre 2022 pour détruire les arbres et les bâtiments historiques dans ce parc pour les remplacer par des restaurants et des cafés.

Le 29 septembre dernier, l’Égypte a également passé un contrat avec la compagnie Coca Cola, pour devenir un des sponsors de la COP27. La décision a suscité une vive polémique, car la compagnie est accusée d’être parmi les champions du monde de la pollution plastique, selon le mouvement international Break free from plastic.

« On n’attend pas grand-chose de la COP27. Tant que tous les experts et activistes locaux seront exclus, le sommet ne servira que d’outil de propagande pour le régime égyptien, sans aucun impact sur le climat », dit l’activiste indépendant.

This article has been translated from French.