Alerte à Miami : inondation, spéculation et gentrification

Alerte à Miami : inondation, spéculation et gentrification
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Par sa géographie, la Floride située entre le golfe du Mexique et l’océan Atlantique, est déjà particulièrement exposée aux phénomènes climatiques intenses, notamment les ouragans. Ces tempêtes tropicales touchent plusieurs fois par an les côtes de l’état américain, parfois très violemment tel le dernier en date, « Ian », qui a tué au moins 125 personnes en septembre 2022. Mais elle est également de plus en plus affectée par des inondations, des submersions marines et l’érosion du littoral causée par l’augmentation du niveau des eaux. Les autorités locales tentent depuis plusieurs années de déverser des tonnes de sable sur les plages pour lutter contre l’érosion, entre autres mesures préventives.

Malgré ces menaces, la population de l’état continue d’augmenter, notamment sous l’effet de l’arrivée de retraités, attirés par les taxes peu élevées (pas de taxe sur les revenus en Floride et une TVA à 7%) et par le soleil et la qualité de vie.

Dans la ville de Miami, des quartiers historiquement populaires font face à des processus de gentrification. Par leur proximité avec les transports, la verdure et surtout par leurs positions géographiques les préservant des conséquences des phénomènes liés au changement climatique, ces quartiers sont devenus attractifs pour les investisseurs. Mais les populations qui y habitent, comme celles de Liberty City ou d’Overtown, doivent partir en raison de l’augmentation du coût de la vie.

Entre 2018 et 2021, le photojournaliste français Antoine Martin a observé les conséquences économiques et sociales de la gentrification climatique de la « Magic City ».

 

Thanks to its location high above sea level and its proximity to the airport, Allapattah is one of several working-class neighbourhoods that have become highly sought after by investors. Pictured here, one of the many lots for sale in Allapattah, Miami, 2021.

Photo: Antoine Martin

Par sa culture grandement influencée par les Caraïbes et les pays d’Amérique du Sud et par la diversité de ses communautés (près de 70 % d’Hispaniques, dont un tiers est d’origine cubaine), Miami est une ville singulière des États-Unis.

C’est « un pays dans le pays » pour lequel les habitants ont un très fort sentiment d’appartenance. Près de 5 millions de personnes habitent la zone métropolitaine de Miami, qui se concentre fortement sur la Gold Coast (la « côte dorée »), à une hauteur moyenne de seulement 10 mètres d’altitude. Il ne faut pas confondre la ville avec celle de Miami Beach, ce sont deux municipalités distinctes avec deux maires.

 

A homeless man poses in front of a building under construction in the neighbourhood of Allapattah, Miami, 2021.

Photo: Antoine Martin

D’après Valencia Gunder, activiste et fondatrice de l’association Make The Homeless Smile, la gentrification des quartiers communautaires de Miami ne serait jamais arrivée sans les changements climatiques. Peu de monde s’intéressait à cette partie de Miami avant que la montée des eaux sur les terres du littoral ne menace les habitations des populations très aisées qui y vivent.

Depuis plusieurs années, les investisseurs immobiliers exercent une pression pour acquérir et viabiliser des terrains situés dans les quartiers protégés des inondations par le « Miami Rock Ridge », un affleurement de calcaire traversant le sud de la Floride et surélevant d’environ 4 mètres les terres au-dessus du niveau de la mer. Ils n’hésitent pas à proposer plusieurs milliers de dollars en liquide en main propre pour inciter les petits propriétaires à vendre rapidement. Même si ce n’est pas une grosse somme pour une maison, ces familles souvent dans le besoin ont tendance à accepter l’offre.

Rester en hauteur et au sec sera un luxe de plus en plus coûteux dans les prochaines années.

 

Michael Clarkson, a member of the Black Panther movement, speaks at a demonstration against gentrification and a law that forbids homeless people from setting up their tents in the street. Overtown, Miami, 2021.

Photo: Antoine Martin

Overtown, un des quartiers les plus anciens de Miami, qui concentre majoritairement une population noire américaine, fait face à des problèmes de déserts alimentaires, en plus des problèmes liés à la gentrification. En effet, certaines zones occupées par des résidents avec des revenus très faibles, ne peuvent pas se procurer de produits frais dans un rayon de plusieurs kilomètres. Des associations comme Green Haven Project crée alors des jardins collectifs pour initier les jeunes du quartier au jardinage et ainsi leur apprendre à cultiver leurs propres légumes.

Le quartier de Little Haïti, autrefois appelé la « Lemon City », à cause de ses nombreux citronniers et plantations d‘agrumes, compte aujourd’hui la plus importante population haïtienne en dehors de son territoire d’origine. D’après des témoignages recueillis auprès d’activistes locaux, la gentrification les a privés de leur moyen de subsistance traditionnel de la culture du citron. Le projet du Magic City Innovation District  visant à créer un quartier dédié à l’art, l’innovation et au divertissement a également obligé beaucoup d’Haïtiens à migrer. Quelques-uns sont partis dans le nord de Miami, d’autres au Texas et en Géorgie et certains, seraient même retournés en Haïti.

 

The homes on the right were bought up and demolished to make room for new ones. The homes on the left await demolition. Liberty City, 2021.

Photo: Antoine Martin

Liberty City tient son nom du complexe immobilier Liberty Square, un des plus vieux complexes de logements ségrégués du sud des États-Unis, construit à la fin des années 1930 pour les populations à bas revenus. Liberty City reste aujourd’hui un des quartiers les plus pauvres et les plus en proie à la criminalité, mais cela tend à changer car ce quartier, construit sur le Rock Ridge, fait partie des quartiers les plus élevés de Miami, protégé de la montée des eaux. Il subit la gentrification à une vitesse phénoménale en commençant par un projet de développement immobilier évalué à 300 millions de dollars.

 

A resident of Liberty Square facing eviction. Liberty City, 2021.

Photo: Antoine Martin

Cette dame vit dans son logement de Liberty Square depuis plus de 30 ans. En 2021, elle est l’une des dernières habitantes de Liberty Square. Lors de sa rencontre avec le photographe, elle ne savait toujours pas si les autorités publiques pourraient la reloger.

« Préférez-vous le quartier il y a 20 ans ou maintenant ? », a demandé Antoine Martin aux habitants. Bien que le taux de crime était beaucoup plus élevé que dans le passé, les seniors comme la dame ci-dessus avaient tendance à préférer le quartier 20 ans en arrière et les plus jeunes le préféraient maintenant.

 

Street scene in front of a small flower shop in the predominantly Cuban neighbourhood of Allapattah. Miami, 2019

Photo: Antoine Martin

Depuis le début de cette série photographique en 2018, un grand nombre de petits commerces locaux et d’habitations ont été rasés pour laisser place à autant de terrains à vendre et bâtiments neufs sortis de terre. Miami est devenu avec Los Angeles et New York, une des villes où l’immobilier est le plus cher des États-Unis.

 

This article has been translated from French.