Menacés et empêchés de travailler, des syndicalistes du Bélarus trouvent refuge en Allemagne pour échapper à la prison

Menacés et empêchés de travailler, des syndicalistes du Bélarus trouvent refuge en Allemagne pour échapper à la prison

Lizaveta Merliak (left), former international secretary of the Belarusian Independent Trade Union of miners, chemical, transport, energy and building workers (BITU), and Maksim Pazniakou, former chairperson of BITU, in Bremen on 27 January 2022. Both trade unionists now live in exile in Germany.

(Rachel Knaebel)

Au Bélarus, 2023 a commencé avec un nouveau procès fait à la société civile, celui du lauréat du prix Nobel de la paix Ales Bialiatski. Le président de l’organisation de défense des droits humains Viasna est accusé, aux côtés de trois de ses collègues*, d’avoir financé des actions « portant atteinte à l’ordre public ». Une « parodie de procès » qui a été dénoncé par Amnesty International, notamment. Les quatre accusés se trouvent déjà en détention depuis mi-2021 et encourent jusqu’à 12 ans de prison.

Depuis les élections controversées d’août 2020 et le mouvement de protestation qui s’en est suivi, et encore plus largement depuis le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, l’ensemble de la société civile du pays est menacé par le pouvoir d’Alexandre Loukachenko. En plus des défenseurs des droits humains, les autorités s’en sont aussi prises à des journalistes, avocats, opposants politiques, manifestants pacifiques… Selon Viasna, qui reste le principal groupe de défense des droits humains du Bélarus, au moins 1.440 personnes étaient en prison pour des motifs politiques, à la fin du mois de janvier.

Les membres et responsables des syndicats indépendants du Bélarus ne sont pas épargnés. Le 5 janvier, le tribunal municipal de Minsk a condamné à de lourdes peines de prison trois dirigeants de syndicats non-affiliés au régime, Henadz Fiadynich, Viachaslau Areshka et Vasil Berasnieu. Ils étaient inculpés, entre autres, pour « constitution d’une formation extrémiste ou participation à celle-ci ». Ces hommes, âgés de 66, 68 et 73 ans, ont écopé de huit et neuf ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire.

Le 26 décembre 2022 déjà, trois autres militants syndicaux, Aliaksandr Yarashuk, président du Congrès biélorusse des syndicats démocratiques (BKDP), son adjoint Siarhei Antusevich et une employée du syndicat, Iryna Bud-Husaim, ont été condamnés à des peines allant d’un an et demi à quatre ans d’emprisonnement. Le pouvoir leur reproche des « atteintes à la sécurité nationale ».

« D’autres ont été emprisonnés, mais ont déjà servi leur peine et sont aujourd’hui sortis. Des jeunes en particulier, qui avaient été condamnés pour avoir participé à des actions de protestation », explique Lizaveta Merliak, ancienne secrétaire internationale du Syndicat indépendant biélorusse des mineurs et des travailleurs de la chimie. Elle vit aujourd’hui en exil en Allemagne. « Les jeunes syndicalistes qui ont été en prison sont occupés depuis leur sortie à restaurer leur santé. Si la détention a été si dure pour eux, qu’est-ce cela sera pour nos collègues âgés, dont certains ont été malades du cancer ? » s’inquiète-t-elle.

Une répression croissante

Des syndicats indépendants du gouvernement existent au Bélarus depuis 1991. Ils se sont rassemblés au sein du Congrès des syndicats indépendants dès 1993. Malgré les pressions du régime mis en place par Alexandre Loukachenko, au pouvoir sans interruption depuis 1994, ces organisations – le Syndicat libre des travailleurs du métal (SPM), le Syndicat libre du Bélarus (SPB), le Syndicat des travailleurs de l’industrie radio-électronique (REP) et la centrale du BKDP – ont trouvé leur place dans la majorité des grandes entreprises du pays et ont rejoint les structures internationales comme la Confédération syndicale internationale et l’IndustriAll Global Union.

Après les mobilisations massives contre la réélection truquée et contestée du président Loukachenko en août 2020, les syndicats indépendants suivent l’appel à la grève générale lancée par l’opposition. Dans le même temps, de nouveaux membres affluent. Les syndicats libres passent d’environ 10.000 à quelque 15.000 adhérents en quelques mois. Mais rapidement, leurs bureaux sont perquisitionnés tout comme les domiciles de certains de leurs dirigeants.

En 2021, les travailleurs membres des syndicats indépendants sont licenciés en masse. L’Organisation internationale du Travail (OIT) dénonce alors les graves violations des droits fondamentaux des travailleurs au Bélarus.

En février 2022, les responsables des syndicats indépendants s’opposent publiquement à l’attaque russe contre l’Ukraine et demandent le retrait des troupes russes stationnées au Bélarus. La réponse du pouvoir se durcit encore.

Le 19 avril 2022, une vingtaine de responsables syndicaux ont été arrêtés, dont ceux condamnés en décembre. « On communiquait avec les nouveaux membres des syndicats via des chaînes Telegram. En avril 2022, les autorités ont considéré ces chaînes comme du contenu extrémiste et ont notamment fait fermer mon organisation », témoigne Lizaveta Merliak. « Quand le président de ma section locale a été arrêté, cela a été pour moi le signal que je serai la prochaine. »

Exil en Allemagne

La mère de famille prend alors la route avec ses deux enfants et appelle un ancien chercheur allemand auprès de l’OIT, dont elle avait fait la connaissance au sein des instances syndicales internationales. L’homme installé Brême, dans le nord-ouest de l’Allemagne, est retraité mais toujours connecté au monde syndical.

C’est ainsi que Lizaveta Merliak a débarqué dans la ville hanséatique le 1er mai 2022. Elle dépose immédiatement une demande d’asile politique avec le soutien de la Confédération allemande des syndicats, le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund). « C’est eux qui ont payé l’avocat », précise-t-elle.

« Nous avons observé toute l’année dernière ce qui se passait au Bélarus, on a suivi les arrestations, les persécutions », rapporte Ernesto Harder, président de la section de Brême du DGB, qui a accompagné Mme Merliak. « J’ai demandé s’il y avait d’autres syndicalistes qu’on pouvait aider. »

La section locale se tourne alors vers les autorités de la ville pour soutenir, avec succès, la procédure d’asile politique de huit collègues restés au Bélarus. Brême en fait la demande directement auprès du ministère des Affaires étrangères allemand, et les syndicalistes ont obtenu leur statut auprès de l’ambassade d’Allemagne à Minsk. Mais seulement sept des huit personnes ont finalement pu quitter le pays, la dernière étant toujours en prison.

Mi-juillet 2022, le Bélarus a officiellement liquidé et interdit les syndicats indépendants du pays. Les collègues de Lizaveta Merliak sont arrivés en Allemagne peu après, en septembre. Parmi eux, se trouve Maksim Pazniakou, ancien président du syndicat indépendant des mines et de la chimie (BITU) et président en fonction du BKPD. Lui a passé 30 jours derrière les barreaux au printemps dernier.

« Mais j’ai eu de la chance, je suis sorti et je suis ici aujourd’hui », témoigne l’homme depuis sa nouvelle ville d’accueil. « Mais plus de 30 de nos frères et sœurs sont toujours en prison », rappelle-t-il aussi.

Les syndicalistes persécutés, hommes et femmes, vivent aujourd’hui avec leurs familles en Allemagne. Un soir de janvier dernier, le maire de Brême les a toutes et tous accueillis pour une réception officielle à la maison des syndicats de la ville.

« Une fois arrivés ici, les collègues avaient besoin d’un logement, d’une place en crèche, d’un travail. Pour tout cela, nous avons connu une grande vague de solidarité des membres du DGB », s’y réjouit Ernesto Harder.

Les Biélorusses ont aussi à disposition un bureau où ils peuvent poursuivre leur activité. Pour prendre la suite des syndicats dissous par le régime, les huit réfugiés ont créé en Allemagne une association nommée Salidarnast, pour « solidarité ». « La priorité, c’est de faire libérer nos collègues », souligne Maksim Pazniakou.

Mais il s’agit aussi de venir en soutien, malgré toutes les barrières, à l’ensemble des travailleurs du Bélarus. « On ne peut plus représenter directement leurs intérêts, on ne peut plus mener des négociations collectives, mais nous continuons notre travail d’information et de conseil juridique. Et nous restons une partie intégrante du mouvement syndical international », insiste le syndicaliste.

Pour l’association, ce travail est d’autant plus important qu’en plus de la répression syndicale, « le droit du travail a été affaibli au Bélarus depuis 2020 », ajoute le responsable. « Pour candidater à tout nouveau poste, il faut aujourd’hui fournir un certificat de loyauté à l’État établi par son ancien employeur », détaille-t-il par exemple. Une personne qui a été arrêtée pour une manifestation ne peut pas l’obtenir. Et quelqu’un, qui a passé ne serait-ce que deux semaines en prison pour le même motif, peut se retrouver licencié pour abandon de poste.

« Les problèmes des travailleurs au Bélarus n’ont pas commencé en 2020. Depuis 30 ans, les droits des travailleurs ont été violés dans le pays. Le but de notre association est de créer un vaste réseau pour défendre la revendication d’un travail digne », renchérit Lizaveta Merliak.

Elle ajoute qu’il faut « rester solidaire, car seule la solidarité internationale peut aider contre les autocrates qui font la guerre en Ukraine et mettent la société civile en prison. » Réfugiée loin de chez elle, dans une langue qu’elle ne parle pas encore vraiment, la syndicaliste affiche malgré tout la confiance qu’ « un jour, on rentrera à la maison, et on reconstruira notre société ».

This article has been translated from French.

* Valiantsin Stefanovich, Uladzimir Labkovich et Dzmitry Salauyou