L’accord entre Obama et Santos ne met pas fin aux attaques dont sont victimes les syndicats colombiens

 

L’on tue toujours des syndicalistes en Colombie, en dépit des engagements pris en vertu d’un plan d’action sur le droit du travail convenu avec le gouvernement des États-Unis.

Huit membres du Congrès américain ont annoncé en septembre que bien que des progrès aient été obtenus au cours des 17 mois écoulés depuis la signature du plan d’action, « un travail ultérieur était nécessaire pour faire en sorte que ses objectifs deviennent réalité sur le terrain ».

 

L’accord sur les droits du travail signé par le président Santos et le président Obama en avril 2011 s’attachait à offrir une protection aux syndicalistes et à prendre des mesures pour affronter la violence antisyndicale.

Il s’agissait là d’une condition essentielle pour la ratification par le Congrès américain du traité de libre-échange entre les deux pays.

D’après les statistiques fournies par l’Escuela Nacional Sindical, principale organisation de surveillance des droits syndicaux en Colombie, depuis l’entrée en vigueur du plan d’action sur le droit du travail 34 syndicalistes ont été assassinés et 485 dirigeants syndicaux ont reçu des menaces de mort.

 « Bien que le plan d’action sur le droit du travail comporte des mesures importantes, sa portée était trop limitée », a indiqué en juillet 2012 l’AFL-CIO, première fédération syndicale aux États-Unis.

« Il n’a pleinement résolu ni les graves violations des droits syndicaux, ni la violence continue et les menaces à l’encontre des syndicalistes et des défenseurs des droits humains ».

« En outre, le plan d’action sur les droits du travail ne comportait pas de dispositions spécifiques contraignant la Colombie à mettre en place une pratique soutenue, significative et mesurable quant au respect des engagements, à présenter avant tout vote au Congrès ou avant l’entrée en vigueur officielle de l’accord e libre-échange», concluait-elle.

Entière latitude pour reprendre la violence

En novembre 2011, six mois avant que les États-Unis aient déclaré que la Colombie était en ordre et donné le feu vert à la mise en œuvre de l’accord de libre-échange entre les deux pays, des paramilitaires avaient envahi le domicile de Juan Carlos Galvis à Barrancabermeja.

Deux personnages vêtus de noir ont pointé une arme sur la tête de la fille de Galvis, disant à sa mère qu’ils allaient la tuer.

Un autre enfant a été attaché et bâillonné.

Ensuite, ces deux hommes ont exigé qu’on leur dise où se trouvaient Galvis et son fils.

Lorsque sa famille n’a pas pu leur donner cette information, ils ont peint à l’aérosol des slogans sur le visage et les cheveux de la femme de Galvis, Mary Jackeline Rojas Casteñada, militante du Mouvement populaire des femmes.

Ce n’était pas la première fois que des paramilitaires s’en prenaient à Galvis ou à son collègue, William Mendoza.

Cela fait des années qu’ils reçoivent des menaces et subissent des agressions parce qu’ils sont dirigeants de SINALTRAINAL, le syndicat des usines de mise en bouteille de Coca Cola.

En 2003, des coups de feu ont été tirés sur la voiture de Galvis après la menace qu’il avait reçue de la part d’un groupe paramilitaire appelé « Mort aux syndicalistes ».

La femme de Mendoza avait déjoué, l’année précédente, une tentative d’enlèvement de leur petite fille dans un jardin public.

Suite à cela, Mendoza a fait quitter la ville à sa famille, et Galvis a suivi son exemple après l’intrusion dans son domicile. En revanche, eux-mêmes ne quitteront pas Barrancabermeja.

Ils disent tous deux que la mise en œuvre de l’accord de libre-échange a donné au gouvernement colombien les mains libres pour reprendre les attaques contre les syndicalistes, en dépit des promesses que le plan d’action sur le droit du travail les protègerait.

Le 14 décembre, un mois après l’intrusion dans le domicile de Galvis, celui-ci a été accusé de « terrorisme », tout comme Mendoza, sur la base de l’explosion d’une bombe dans l’usine locale de mise en bouteille 14 ans auparavant. Les témoins à charge cités à comparaître par le procureur sont des paramilitaires actuellement en prison pour l’assassinat de militants syndicaux et du mouvement social.

 « Dès la signature de l’accord, le gouvernement a été libéré de la crainte qu’un vote au Congrès des États-Unis n’aille à son encontre », dit Mendoza. « Le gouvernement colombien avait déjà brandi de fausses accusations contre nous par le passé. Mais si cette fois ils réussissent à nous mettre en prison, nous n’en sortirons pas vivants. »

Contrôle paramilitaire

L’accusation contre Galvis et Mendoza est portée par trois hommes. L’un d’entre eux, Rodrigo Perez Alzate, est le commandant d’un groupe paramilitaire appelé le Bloque central Bolivar et purge une peine de prison pour 45 meurtres qu’il a avoués.

Perez dit que Galvis est un sympathisant de la guérilla armée, accusation qu’il est de tradition d’utiliser contre les syndicalistes pour en faire des cibles.

Le deuxième, Wilfred Martinez Giraldo, était un responsable des groupes paramilitaires à Barrancabermeja.

Le troisième, Saul Rincon, travaillait pour l’usine de mise en bouteille comme gardien, et il est en prison pour l’assassinat du trésorier du syndicat des travailleurs du pétrole (USO) à Barrancabermeja.

« D’après eux », explique Mendoza, « le syndicat aurait utilisé l’explosion de cette bombe, probablement agencée par l’EPL (l’un des groupes de guérilla en Colombie), pour faire pression sur l’entreprise afin d’obtenir des concessions.

Or, cette année-là, c’est nous qui avons dû accorder des concessions à l’entreprise pour éviter la fermeture de l’usine.

Nous n’avions rien à voir avec l’explosion, en n’avions rien à en gagner. Ces accusations ont été fabriquées des années plus tard, et sont complètement absurdes. »

Les groupes paramilitaires ont maintenu pendant 20 ans des liens étroits avec les forces armées et le gouvernement colombien.

En théorie, ces groupes ont été démobilisés en 2004 et 2005.

Mais de nouveaux groupes se sont constitués à leur place, comme celui des Rastrojos.

Les habitants de Barrancabermeja disent de ces nouveaux groupes qu’ils agissent exactement comme les anciens paramilitaires, et contrôlent des pans entiers de la ville.

 Le 17 août, les Rastrojos ont distribué un tract annonçant : « Nous ne sommes pas en train de plaisanter. Ceci est notre dernier avertissement aux organisations de guérilla qui se cachent derrière la rhétorique de la défense des droits humains. » Le tract mentionnait nommément SINALTRAINAL et proférait la menace suivante : « Nous avons bien identifié William Mendoza, dirigeant guérillero. Nous déclarons que la cible est condamnée à mort.»

Au cours des 20 dernières années, d’autres dirigeants de SINALTRAINAL ont été assassinés, parmi lesquels Isidro Segundo Gil, Jose Avelino Chicano et Oscar Dario Soto Polo.

Devant l’absence de condamnation des meurtriers par les tribunaux colombiens, SINALTRAINAL a saisi en 2000 le tribunal fédéral des États-Unis en Floride, associée à l’United Steel Workers et à l’International Labor Rights Fund, impliquant la responsabilité de Coca Cola en vertu de la loi sur les recours en réclamation pour délits commis à l’étranger (l’Alien Tort Claims Act).

En fin de compte le tribunal de Floride a déclaré que Coca Cola n’exerçait aucun contrôle sur ses usines de mise en bouteille en Colombie, mais au moins l’affaire a contribué à faire pression sur les négociateurs de l’accord de libre-échange pour qu’ils acceptent des concessions qui, promettaient-ils, mettraient un terme aux assassinats : le plan d’action sur le droit du travail.

S’exposer à être assassiné

De nombreux autres syndicats sur le terrain confirment que le plan d’action n’a pas mis fin aux meurtres.

Jhonsson Torres, membre du syndicat des coupeurs de canne à sucre SINALCORTEROS, a dit lors d’une audience à Washington en juin que Daniel Aguirre, le secrétaire général du syndicat, avait été assassiné le 27 avril.

 « La grève que nous avions menée pendant deux mois avait réussi à améliorer les conditions de travail, mais par la suite le gouvernement colombien a mis plusieurs d’entre nous et de nos alliés sous accusation de conspiration et de sédition », déclara-t-il.

Cinq membres de FENSUAGRO, le plus grand syndicat colombien des ouvriers agricoles, ont été tués dans le département de Cauca.

Les attaques contre FENSUAGRO ont été d’une telle violence que Leo Girard, président de l’United Steel Workers, a envoyé une lettre au gouvernement colombien, au nom de son organisation et du syndicat britannique UNITE, pour l’exhorter à agir.

FENSUAGRO est ciblé, dit Girard, « en raison de son militantisme à la fois syndical et en faveur de la paix.

Dans certains cas, il semblerait que les forces armées colombiennes soient impliquées dans cette violence ».

Pour Edgar Paez, représentant international de SINALTRAINAL, « les paramilitaires sont un projet de l’État pour protéger les entreprises multinationales en Colombie.

Quiconque fait entendre sa voix et a une vision différente s’expose à être assassiné. »

L’objectif étant, d’après lui, d’établir « un environnement sensiblement plus propice à l’exploitation de nos ressources naturelles et de notre main-d’œuvre ».