« Dites à Bachar d’arrêter de tuer nos enfants »

 

Il y a quatre jours, Rana quittait son appartement à Homs, en Syrie. Elle a laissé derrière elle sa maison, ses amis et son job au supermarché familial.

La nuit dernière, elle a traversé la frontière jordanienne avec six de ses enfants.

« Mon fils a été tué par des avions de chasse », m’a-t-elle confié.

« J’ai quitté ma maison pour sauver le reste de ma famille. »

 

[caption id="attachment_4027" align="alignnone" width="530"] Il y a plus de 200.000 réfugiés Syriens en Jordanie, un grand nombre d’entre eux sont des enfants (AP Photo/ Khalil Hamra) 

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Rana et sa famille faisaient partie d’un groupe de 374 personnes qui sont arrivées en Jordanie depuis la Syrie au milieu de la nuit.

Aujourd’hui, elles ont rejoint le camp de réfugiés d’al-Zataari, situé à dix milles de la frontière.

Elles ont marché, dans certains cas durant plusieurs jours, pour rejoindre la frontière ouverte, depuis Homs, Damas ou Dar’a – autant de villes et de bourgades qui ont fait la une des journaux suite aux bombardements et aux attaques brutales dont elles ont fait l’objet.

Le plus jeune du groupe à avoir été inscrit au camp de l’UNHCR n’a que neuf jours, le plus âgé, 82 ans.

Le conflit syrien n’a épargné personne.

Selon certaines estimations, plus de 36.000 personnes auraient trouvé la mort depuis le début des affrontements en mars 2011.

Des milliers de familles ont fui vers la Jordanie, la Turquie, l’Irak et le Liban, dans l’espoir d’y trouver refuge et protection.

La Jordanie a, à elle seule, accueilli quelque 200.000 réfugiés, dont la plupart vivent dans des familles et au sein des communautés.

Des communautés qui sont sur le point de déborder à mesure que le conflit se prolonge.

 

Il y a trois mois, le gouvernement jordanien prenait la décision d’ouvrir son premier camp de réfugiés pour les Syriens.

Ce camp est contrôlé par l’UNHCR.

Au moment de l’ouverture du camp, le 28 juillet, environ 2.000 personnes traversaient la frontière chaque nuit.

Initialement conçu pour accueillir 45.000 personnes, les installations du camp d’al-Zaatari, qui a été érigé en plein de désert, se sont progressivement étendues pour pouvoir accueillir jusqu’à 80.000 personnes.

Prévu au départ comme une opération à petite échelle, limitée dans le temps, le camp ne cesse de prendre de l’ampleur.

Alors que l’hiver approche et que les combats se poursuivent, ces familles ne sont pas près de pouvoir rentrer chez elle.

Les travailleurs humanitaires se préparent à affronter le long terme.

Le Programme Alimentaire Mondial (WFP) a fourni des repas chauds au camp (30.000 repas par jour) durant trois mois.

À présent, des cuisines collectives ont été installées dans le camp.

Une ration alimentaire comprenant légumineuses, sucre, sel, huile, lentilles, riz et pain frais est distribuée aux familles quotidiennement.

C’est dans une des cuisines collectives du camp que j’ai fait la rencontre de Raabab. Elle était aux fourneaux, en train de préparer à manger en compagnie de Dima, sa fillette de dix ans.

 « Dites à Bachar d’arrêter de tuer nos enfants et de nous laisser rentrer chez nous. » Je veux rentrer chez moi », m’a-t-elle dit. Sa fille voulait juste une chose, pouvoir aller à l’école.

Des tentes écoles pouvant accueillir jusqu’à 2400 enfants ont été aménagées mais ne suffisent pas. La majorité des enfants sont des filles.

Les classes sont organisées en deux groupes séparés: L’un pour les filles, l’autre pour les garçons.

Samer, un enseignant syrien employé dans le camp nous a parlé du besoin pressant de livres et de fournitures.

Les syndicats tenteront de soutenir ces écoles en faisant appel à l’Internationale de l’éducation.

La Jordanie a toujours ouvert son cœur aux réfugiés.

À l’heure actuelle, 70 pour cent des personnes qui vivent et travaillent en Jordanie sont originaires de Palestine.

Près de 200.000 Syriens et de nombreux Irakiens ont été accueillis au sein de familles jordaniennes.

Toutefois, la pression que subit le peuple jordanien commence à se faire sentir.

L’opinion publique en Jordanie, une nation réputée pour sa bienveillance et son accueil envers ses voisins commence peu à peu à se tourner contre l’afflux récent de réfugiés.

Lors d’un point de presse avec l’UNHCR, j’ai entendu que 65 pour cent des personnes interrogées se disaient en faveur de la fermeture des frontières, alors que 85 pour cent affirment que les réfugiés font peser une charge excessive sur l’approvisionnement en eau et sont en train de voler l’emploi des Jordaniens.

Mes collègues des syndicats jordaniens m’ont accompagnée dans les camps et ont entendu comme moi le message que les agences humanitaires et les personnes que nous y avons rencontrées nous ont adressé : Gardez les frontières ouvertes.

Alors que des milliers de personnes ont fui la violence, des groupes entiers de travailleurs et travailleuses ont disparu des radars.

Où sont passés les travailleuses et travailleurs domestiques, pour ne citer qu’eux ?

Ils n’ont pas été inscrits dans les camps et la plupart des ambassades à Damas sont maintenant fermées.

Il y a fort à craindre qu’un grand nombre de femmes sri-lankaises et philippines soient prises au piège à l’intérieur de la Syrie.

 Il faut immédiatement mettre fin au conflit et au pouvoir illimité de Bachar el-Assad. Le mouvement syndical ne va pas rester là à regarder pendant que des familles et des communautés se font attaquer.

 Pendant ce temps, au camp d’al-Zaatari, les derniers groupes de réfugiés à arriver réceptionnent leurs couvertures, matelas et ustensiles de cuisine.

Chaque ménage a droit à une lampe de poche à énergie solaire, qui fait en même temps office de chargeur de téléphone.

Ceci permet à Rana de rester en contact avec ses proches et sa famille.

Les travailleurs humanitaires du camp d’al-Zaatari se préparent à affronter les rigueurs de l’hiver.

Pour parer au changement de saison, le camp temporaire érigé en plein été fait désormais place à la construction de 2500 maisons préfabriquées.

On est encore loin du compte et il faudra aussi garantir l’approvisionnement en vêtements d’hiver, outre l’accès à l’eau chaude et aux soins de santé.

Nous devons à tout prix soutenir le travail de l’UNHCR, car cette organisation joue un rôle crucial, ici en Jordanie et aux quatre coins du monde.

Personne n’imagine qu’une telle chose puisse un jour arriver, qu’un beau jour on soit forcé de quitter sa maison, son emploi, sa communauté, avec rien de plus que les vêtements que l’on porte sur soi et qu’on doive marcher à la recherche d’un lieu sûr.

Loin du bruit assourdissant des obus et des fusils, les réfugiés du camp d’al-Zaatari se sentent en sécurité.

Mais nuit après nuit, Rana rêve de pouvoir retourner chez elle.

 

 Sharan Burrow a visité le camp de réfugiés al-Zaatari de l’UNHCR, en Jordanie, en compagnie de Khaled Abu Marjoub, de la fédération syndicale jordanienne GFJTU, de Shahir Sae’d, de la fédération syndicale palestinienne PGFTU, de Ken Georgetti du Congrès du travail du Canada et de Fred van Leeuwen, de l’Internationale de l’éducation.

Tous les noms mentionnés sont des noms d’emprunt.