La guerre des migrants

 

Tous les jours, en moyenne, deux cercueils arrivent à l’aéroport international de Katmandu.

Ils renferment le cadavre de migrants népalais qui s’étaient rendus au Moyen-Orient ou au golfe Persique pour y travailler.

D’après les autorités, ils sont morts dans des accidents, notamment sur les chantiers ou dans des accidents de voiture.

Mais en fait bon nombre d’entre eux sont assassinés par les responsables de la traite et de nombreux autres, en particulier des femmes, se suicident à cause du harcèlement et des abus sexuels dont elles sont victimes.

Dans les Amériques, au cours des dix dernières années environ 2 000 personnes ont péri en essayant de franchir la frontière séparant le Mexique des États-Unis.

Ces décès sont dus généralement à l’exposition au soleil ou à la déshydratation (car les migrants traversent les déserts de l’Arizona) ou encore à la noyade, dans le cas des migrants qui essaient de passer par les rivières.

Cependant, le nombre le plus frappant est celui des migrants latino-américains qui sont enlevés par des bandes criminelles puis tués parce qu’ils n’ont pas rapporté de rançon.

Quant aux migrants qui tentent de parvenir en Europe depuis l’Afrique ou le Moyen-Orient en traversant la mer Méditerranée, ils seraient au moins 20 000 à avoir trouvé la mort depuis 1990.

Ce ne sont pas de simples accidents qui sont ici recensés, mais le nombre des victimes d’une véritable guerre : la guerre contre les migrants.

Ce conflit n’a pas uniquement trait aux travailleurs sans papiers, ni ne s’arrête aux frontières d’un État.

Même lorsque les migrants réussissent à obtenir légalement un permis de travail grâce à la demande de main-d’œuvre des pays les plus riches, ils font tout de même face aux violations de leurs droits fondamentaux.

Tout au long de l’histoire, les pires emplois, à savoir ceux aux plus dures conditions de travail et aux plus faibles rémunérations, ont été réservés aux migrants.

En outre, ces derniers subissent souvent la discrimination et l’exploitation, voire des attaques xénophobes et racistes.

Ces actes surviennent à une fréquence accrue en période de crise économique, lorsque les migrants sont vus comme des concurrents sur le marché du travail local et par conséquent deviennent une cible, un bouc émissaire rêvé pour la colère publique engendrée par le chômage généralisé.

 Le système migratoire actuel peut-il perdurer sur le long terme ? Que fait la communauté internationale à cet égard ? Comment pouvons-nous gérer de manière réaliste les migrations, en donnant à chacun à la fois la dignité et la sécurité ?

Il est certain que la question migratoire n’a pas été résolue par une nouvelle militarisation des frontières ni par la diminution des visas et des permis octroyés, phénomènes qui dérivent des programmes politiques internes plutôt que d’une évaluation réaliste des besoins réels d’ordre social, environnemental ou en matière d’emploi.

Le phénomène mondial de la migration contemporaine ne saurait être confié aux seules décisions et solutions adoptées par les États à titre individuel.

 Il ne fait pas le moindre doute qu’il est urgent de mettre sur pied une coopération efficace s’inscrivant dans des accords régionaux dans le cadre des relations multilatérales existant entre pays industrialisés et pays en développement.

Cependant, les gouvernements des pays de destination ont des réticences quant à la possibilité d’instituer une gouvernance mondiale des migrations.

Ils ne souhaitent pas déléguer à un quelconque organe supranational leur pouvoir en matière de contrôle des frontières ou des conditions dans lesquelles les migrants restent sur leur territoire.

Bizarrement, les gouvernements des pays d’origine ne semblent pas non plus désireux de mettre en œuvre une système de réglementation qui s’immiscerait dans leur aptitude à fournir de la main-d’œuvre bon marché à des pays plus riches, ce qui leur permet de bénéficier des envois d’argent de ces travailleurs et travailleuses.

Quant à la communauté internationale, aucune des institutions des Nations Unies ou des autres organismes internationaux qui traitent des questions migratoires, de l’OIT à l’OIM, ne détient aujourd’hui un rôle de coordination des politiques nationales ou régionales, et encore moins la faculté de mener à bien une fonction qui serait contraignante pour tous les États.

Les traités internationaux existants qui visent à réglementer la migration des travailleurs et des travailleuses et à assurer leur sécurité et leur dignité dans l’ensemble de la route migratoire n’ont été ratifiés et mis en œuvre que par un nombre relativement restreint de pays, et rarement par les pays de destination les plus riches.

 De ce fait, la seule manière d’empêcher concrètement et immédiatement la poursuite de l’exploitation et de la violation des droits humains est que les migrants mènent à bien une véritable syndicalisation des bases.

Ce phénomène a commencé à voir le jour au cours des dernières années, et ce de différentes manières et dans divers endroits.

Une nouvelle génération de travailleuses et travailleurs migrants révèle tout son potentiel conflictuel, car les migrants cessent d’être des victimes passives de l’exploitation pour devenir de nouveaux acteurs sociaux, conscients, capables de lutter pour leur propres droits et de contribuer au renouveau d’un mouvement de protestation plus général.

 Qu’il s’agisse des luttes menées par les travailleurs d’Asie dans les chantiers de construction de Dubaï ou de celles des ouvriers agricoles mexicains dans les champs de la Californie, ou encore des cuisiniers africains sans papiers qui travaillent dans les restaurants de Paris ou des ouvriers métallurgistes marocains dans les usines italiennes, les migrants sont de plus en plus décidés à replacer le travail au cœur des sociétés contemporaines.

Ces luttes, bien que spontanées et dénuées de coordination, sont reliées à la foule des mouvements Occupy et aux soulèvements du printemps arabe ; toutes font intervenir des personnes que veulent restaurer la dignité du travail, la justice sociale et l’avenir pour les générations futures – de migrants comme de locaux.

 

Vittorio Longhi est l’auteur de « The Immigrant War, a global movement against discrimination and exploitation » [La guerre des migrants, un mouvement mondial contre la discrimination et l’exploitation], éditions Policy Press.