Pertes et profits: les syndicats ont des leçons à tirer du fiasco du Michigan

Opinions

 

Les forces commerciales et politiques de droite s’en sont pris aux syndicats du Michigan, de manière très vive et particulièrement brutale, provoquant le recul d’importants droits du travail.

[caption id="attachment_5301" align="alignnone" width="530"] Le mercredi 12 décembre, le Michigan est devenu le 24eÉtat des États-Unis à avoir une loi sur le droit au travail (AP Photo/Paul Sancya) 

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Mais à quelque chose malheur est bon: dans le désespoir de la défaite, les syndicats du monde entier ont des leçons à tirer pour le long terme.

Qu’a donc fait la législation soutenue par les forces antisyndicales?

Elle a éliminé le système de déduction automatique des cotisations syndicales des salaires. Par conséquent, aujourd’hui, les syndicats ne peuvent plus compter sur un apport facile d’argent provenant des cotisations syndicales déduites des salaires.

La préoccupation des dirigeant(e)s syndicaux est légitime parce que, compte tenu de la manière dont fonctionnent les syndicats actuellement, il semble plutôt incroyable de recruter les membres un par un et de leur demander d’autoriser le prélèvement des cotisations.

La réaction immédiate fut de déclarer une contre-offensive.

«Plus que jamais, nous allons devoir nous tenir prêts à riposter, a déclaré Lee Saunders, président du syndicat du secteur public AFSCME, lors d’une interview sur Politico.com.

Vous voyez l’Ohio, avec un gouverneur républicain et des républicains qui contrôlent la Chambre des représentants et le Sénat; c’est pareil dans le Wisconsin. Alors nous devons nous tenir prêts. Pas seulement les syndicats de ces États; nous allons nous aussi devoir travailler très dur avec nos partenaires locaux. Ce sera une bataille de longue haleine.»

Mais cela vaut peut-être la peine de prendre un peu de recul et de se demander un moment quel genre de bataille veulent mener les syndicats.

Si cette bataille consiste uniquement à rétablir le système de déduction des cotisations syndicales du salaire, les opposant(e)s des syndicats se contenteront de dire : «Vous voyez bien que tout ce qui intéresse les syndicats, c’est de financer leurs propres institutions.»

Il se peut que les syndicats gagnent la bataille mais ils devront d’abord livrer des combats très longs et très coûteux, pareils à des terrains minés pour les relations publiques.

 

Le déclin

Je suis tout à fait d’accord pour qu’on se batte – mais si les syndicats récupèrent les déductions automatiques des cotisations syndicales du salaire, est-ce que cela va changer l’ensemble de la situation sur le long terme?

Comment est-il possible que dans le Michigan – un État qui a donné naissance au Syndicat uni des ouvriers de l’automobile – les syndicats se soient fait laminer par un petit politicien sans envergure tel que le gouverneur Rick Synder?

Les syndicats doivent sans doute leur déclin à l’attaque incessante des employeurs qui ne cherchent qu’à s’enrichir et à appauvrir les travailleurs/euses, drapés dans leurs belles paroles vaines et creuses sur «l’économie de marché».

Mais je n’ai jamais cru que la férocité des employeurs pouvait fournir une explication suffisante à tous nos maux.

Au début du XXe siècle, les Pinkerton – agents de sécurité, casseurs et briseurs de grève – espionnaient, agressaient et tuaient des syndicalistes, mais c’était une époque où les gens se syndiquaient en masse, un temps où les travailleurs/euses étaient capables de parcourir 75 kilomètres pour aller assister à une réunion syndicale.

Pourquoi? En partie parce que c’était l’époque de la Grande Dépression et de ses lendemains, et que les gens étaient terriblement pauvres et exploités.

Mais il y avait autre chose.

Les dirigeant(e)s syndicaux vivaient au milieu de leurs membres. Ils se parlaient face à face. Les gens étaient recrutés en tête-à-tête et, au cours du processus, ils étaient intégrés à la mission, à la culture et à la lutte du syndicat.

C’était une conversation, un combat quotidien partagé.

Et puis nous nous retrouvons en 2012.

Il y a presque une vingtaine d’années, j’ai écrit un petit livre intitulé The Edifice Complex (Le complexe de l’édifice), dans lequel j’expliquais qu’à Washington DC, les immeubles appartenant aux syndicats renfermaient une quantité considérable d’actifs gelés dans des structures de béton qui abritaient de grandes institutions trop intimement mêlées au système politique pour pouvoir réagir à la crise du monde syndical.

Ce n’est pas que les dirigeant(e)s syndicaux soient de mauvaises gens.

La raison est beaucoup plus prosaïque: il faut constamment veiller à prendre soin des «votants» existants et à les maintenir.

Mais à part en cas de grève ou de conflit lié à des négociations, la plupart des membres ont très peu de contact avec leur syndicat.

Par ailleurs, ce géant institutionnel à plusieurs niveaux et aux intérêts entremêlés à la politique s’est trop souvent montré incapable d’offrir un visage accueillant aux chauffeurs de taxi, aux immigrant(e)s, aux travailleurs/euses domestiques et à toutes sortes de personnes qui ne rentrent pas dans les cases du groupe négociateur existant.

Résultat: les travailleurs/euses se sont peu à peu éloignés des syndicats, ont voté pour des candidats anti-travailleurs/euses ou, dans le cas des personnes non syndiquées, ont cessé de considérer les syndicats comme les défenseurs par excellence des droits au travail.

Par conséquent, le fiasco du Michigan nous donne l’occasion de renouer le contact avec les travailleurs/euses.

C’est le moment de vendre quelques-uns de ces grands immeubles et de verser les actifs à une armée d’organisateurs/trices pour qu’ils/elles inscrivent les travailleurs/euses, un par un, sur les listes des syndiqués.

Et profitons-en pour engager la conversation sur la mission plus générale du syndicat.

Le combat peut aller au-delà des déductions automatiques des cotisations syndicales du salaire.

Je crois que cela vaut la peine de proposer une «grande négociation» publique, qui sera beaucoup plus efficace pour faire progresser la santé économique des États-Unis que le ridicule débat en cours sur les impôts.

Les syndicats devraient exhorter le monde des entreprises à passer un accord: les syndicats renoncent à la déduction automatique des cotisations syndicales et, en retour, les entreprises devront accepter des élections syndicales libres et justes. Il serait demandé aux entreprises: d’adopter une neutralité totale dans les élections au travail (ce qui signifie: pas de réunions avec un public captif, pas de vidéos, pas de propagande – le silence absolu); d’accorder aux responsables syndicaux un accès total et sans aucune restriction aux travailleurs/euses; de se soumettre à un arbitrage contraignant pour les premiers contrats pendant les 90 jours suivant la négociation d’un premier contrat; d’accepter l’interdiction du droit d’engager des remplaçant(e)s permanents pendant les grèves; de ne pas faire obstruction aux peines d’emprisonnement obligatoires – pas les amendes – auxquelles sont condamnés les dirigeant(e)s d’entreprise qui bafouent le droit d’adhérer à un syndicat ou les lois relatives à la santé et à la sécurité.

Bien sûr, cette «grande négociation» ne sera jamais du goût des élites de la politique et du monde de l’entreprise qui gouvernent le pays, parce qu’elles savent qu’elle entraînerait une marée de nouveaux membres syndicaux.

Mais elle dénoncerait la façade tout entière des forces antisyndicales qui prétendent être en faveur de la «liberté des travailleurs/euses». Et cela permettrait d’insuffler une énergie nouvelle dans les rangs des syndicats.