Domestiques : un travail sans fin

 

Si les travailleurs domestiques constituaient une nation, celle-ci serait un peu plus peuplée que l’Afrique du Sud mais à peine moins que la France.

D’après le dernier rapport de l’OIT, il y aurait 52,6 millions de personnes occupant un emploi domestique dans le monde, estimation sans doute en-deçà de la réalité puisqu’elle n’inclut pas les enfants, qui à eux seuls sont déjà près de 7,4 millions.

 

[caption id="attachment_5562" align="alignnone" width="530"]À ce jour, trois pays ont ratifié la convention n° 189 et quatre autres ont achevé le processus de ratification (AP Photo/Lefteris Pitarakis)

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D’après les syndicats et les ONG, les chiffres réels seraient beaucoup plus élevés. Étant donné que pour beaucoup d’entre eux, ces employés ne sont même pas déclarés comme travailleurs, leur nombre total pourrait bien atteindre les 100 millions.

Le rapport fait néanmoins état d’une évolution à la hausse du travail domestique, avec plus de 19 millions d’emplois supplémentaires créés au cours des 18 années écoulées, dans un secteur qui ne comptait auparavant que 33 millions de personnes environ dans le monde.

La demande croissante de travail domestique s’explique notamment par le vieillissement de la population, par une participation accrue des femmes au marché du travail (sans un rééquilibrage concomitant de la répartition des tâches et des soins familiaux entre les hommes et les femmes), par la mauvaise qualité des services publics et par les horaires de travail irréguliers des jeunes couples actifs.

Malgré la contribution socio-économique considérable de leur travail au niveau mondial, surtout si l’on considère l’emploi des migrants et les transferts de fonds qui en résultent, les travailleurs domestiques sont généralement moins bien traités que les autres catégories de travailleurs.

Ils sont confrontés à des conditions de travail parmi les pires répertoriées, avec des salaires anormalement bas, un temps de travail excessif et une protection sociale inexistante, sans parler du harcèlement et des pratiques abusives.

Si la faible rémunération du travail domestique est liée à l’idée que ce travail n’exige pas de compétences particulières, c’est plus généralement le rôle de ce travail dans la société qui est clairement sous-estimé, ce qui met ces travailleurs en position de faiblesse lors des négociations avec l’employeur.

En outre, dans ce secteur la possibilité de constituer un syndicat et le droit à la négociation collective ont été pratiquement niés jusqu’à présent.

Comme l’indique le rapport de l’OIT, « l’exploitation des travailleurs domestiques, en partie imputable à des lacunes dans les législations nationales du travail est souvent le reflet de discriminations fondées sur le sexe, la race et la caste ».

 

La convention n° 189

C’est la raison pour laquelle l’OIT a adopté l’année dernière un nouvel instrument législatif international visant à modifier le droit du travail.

La convention n° 189 vise à garantir aux travailleurs domestiques un traitement équitable, au même titre que tout autre travailleur, ce qui comprend la liberté d’association, le droit de négocier collectivement et la garantie d’un salaire minimum décent.

La convention prévoit également la journée de repos hebdomadaire obligatoire, le paiement mensuel du salaire et l’accès à la sécurité sociale, y compris le paiement d’indemnités pour les femmes en congé maternité.

L’adoption d’une telle convention spécifique, qui a force obligatoire pour les gouvernements qui la ratifient est d’autant plus remarquable qu’elle concerne les travailleurs domestiques, c’est-à-dire une catégorie professionnelle peu puissante dont l’activité s’exerce dans un secteur économique dépourvu d’une forte tradition de représentation syndicale.

En fait, pour reprendre le slogan d’une campagne récente, les employés domestiques « travaillent comme tout le monde, alors que personne ne travaille comme eux ».

À ce jour, trois pays ont ratifié la convention n° 189 : Maurice, l’Uruguay et les Philippines ; quatre autres ont achevé le processus de ratification : la Bolivie, le Nicaragua, le Paraguay et l’Italie.

Il est intéressant de remarquer que le premier pays européen à s’engager à respecter cette nouvelle norme du travail a été l’Italie, qui est également le premier « pays d’accueil » puisque la plupart des employés domestiques y sont des migrants.

D’autres ratifications sont attendues en 2013, notamment par la Belgique, le Danemark, la Norvège, le Costa Rica, la Colombie, la République dominicaine, l’Afrique du Sud, le Sénégal et l’Australie.

Par ailleurs, en 2012 quelques pays ont modifié leur législation nationale afin de couvrir le travail domestique ; c’est le cas du Chili, de l’Espagne, du Brésil, de Singapour, de la Thaïlande, du Vietnam et de Malawi. Une amélioration très nette a été constatée l’année dernière, en partie grâce à la campagne « 12 ratifications en 2012 », une initiative conduite dans plus de 85 pays par la Confédération syndicale internationale (CSI) en partenariat avec le Réseau international des travailleurs domestiques (IDWN) et d’autres fédérations syndicales et organisations de défense des droits humains.

Si la notion de « travailleur domestique » de l’OIT inclut certains emplois à prépondérance masculine (jardiniers, chauffeurs, maîtres d’hôtel, etc.), il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un secteur très fortement féminisé puisque plus de 80 % de l’ensemble des travailleurs domestiques sont des femmes.

Par exemple, l’emploi domestique représente un emploi féminin sur cinq au Moyen-Orient et un sur six en Amérique latine et aux Caraïbes.

C’est pourquoi le droit à la protection de la maternité est une préoccupation cruciale pour l’OIT, notamment dans les régions du monde où le principe de l’égalité de traitement n’est toujours pas mis en application, comme au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe.

Dans ces pays la discrimination conduit à des inégalités de salaire fondées sur le sexe et la nationalité.

Par exemple, en Malaisie les employées de maison philippines sont mieux payées que les Indonésiennes, et leurs compatriotes travaillant en Jordanie sont mieux payées que leurs collègues sri-lankaises ou éthiopiennes.

Il est donc impératif de faire ratifier rapidement la convention n° 189, qui permettra, au minimum, de garantir un traitement juste et équitable.