Pourquoi Shell doit répondre de son écocide dans le delta du Niger

Pourquoi Shell doit répondre de son écocide dans le delta du Niger

Farmers Friday Alfred Akpan (left) and Eric Dooh (second from left), Nini Okey Uche (centre-left) of the Nigerian Embassy, lawyer Prince Chima Williams (centre-right) and farmers Chief Fidelis A. Oguru (second from right) and Alali Efanga (right) meet outside the law courts in The Hague in October 2012.

(AFP)

Ils sont mus par l’espoir d’obtenir gain de cause à l’issue d’une audience qui aura lieu le 30 janvier 2013 dans un tribunal néerlandais, dans le cadre d’un procès sans précédent qu’ils ont intenté contre la société anglo-néerlandaise.

De fait, l’audience du 11 octobre 2012 au tribunal de La Haye, où les juges ont entendu les arguments de l’accusation contre Shell, est à marquer d’un trait rouge comme la première fois dans l’histoire qu’une entreprise est traduite devant la justice néerlandaise pour répondre de dégâts environnementaux occasionnés à l’étranger.

La pollution attribuée à la société Royal Dutch Shell au Nigéria est causée par sa filiale nigériane, Shell Petroleum Development Company (SPDC).

La compagnie pétrolière a déjà fait l’objet de diverses poursuites judiciaires au Nigéria et aux États-Unis pour infractions environnementales et violations de droits humains.

Le fait que Shell se retrouve dans le box des accusés à La Haye envoie plusieurs signaux. Premièrement, que le temps du « business as usual » pour les sociétés multinationales pourrait être sur sa fin.

Et deuxièmement, que les communautés pourraient être sur le point de jouir d’un peu de répit si la compagnie adopte des pratiques de travail plus responsables.

En effet, si la compagnie modifiait sa conduite, les travailleurs du secteur pétrolier auraient plus facilement accès aux communautés et bénéficieraient, probablement, de ce fait d’une meilleure protection contre la même pollution qui accable ces communautés.

De plus en plus de travailleurs locaux sont désormais aussi affectés par la pollution que les communautés pauvres.

Impunité

Après des décennies de dévastation causée par les procédés d’extraction de brut et de gaz au Nigéria, l’audience d’octobre 2012 a marqué un jalon en soi, dès lors qu’elle signalait pour la première fois que le temps de l’impunité débridée était peut-être en train de toucher à sa fin.

La justice néerlandaise a été saisie du dossier grâce à l’intervention de l’ONG Milieudefensie (Amis de la Terre Pays-Bas), en étroite collaboration avec Environmental Rights Action (Amis de la Terre Nigéria).

Quatre victimes provenant des villages de Goi, Ikot Adad Udo et Oruma, dans le delta du Niger, ont comparu en tant que plaignants à l’audience d’ouverture du procès, en 2008. Leurs plaintes symbolisent la dégradation environnementale épouvantable assénée par l’industrie du pétrole dans le delta du Niger.

Lorsqu’il est affirmé que la région est probablement l’endroit le plus pollué de la terre, la responsabilité doit être attribuée aux compagnies pétrolières qui y opèrent.

Aussi faut-il souligner qu’en tant que leader incontesté du secteur pétrolier au Nigéria, la conduite de Shell sert d’exemple aux autres.

Dans le procès intenté auprès de la justice néerlandaise, l’accusation demande que Shell assume le nettoyage de la marée noire qui suffoque leurs communautés, qu’elle verse des indemnités aux parties affectées et qu’elle prenne les mesures nécessaires pour prévenir de nouvelles fuites dans ses pipelines.

Ces requêtes représentent les demandes cardinales des communautés du delta du Niger, pour qui le milieu naturel représente la source primordiale de leurs activités de subsistance comme la culture ou la pêche.

Les cours d’eau et les criques dont ils dépendent pour leur approvisionnement en eau potable subissent des marées noires en cascade, cependant que les forêts font l’objet d’incendies intentionnels dans le cadre d’actions inconsidérées visant à nettoyer les dégâts environnementaux ou à escamoter les preuves de fuites de pétrole.

Un autre problème grave qui affecte les gisements pétrolifères du Nigéria concerne le détournement illégal de pétrole par « soutage », à travers lequel chaque jour des quantités indéterminées de brut sont volées.

Les compagnies pétrolières comme Shell montrent du doigt les communautés locales, qu’elles accusent de saboter les pipelines pour en siphonner le pétrole brut et de se rendre ainsi responsables des problèmes environnementaux que nous connaissons aujourd’hui. Or le volume de brut qui se volatilise annuellement est à ce point important que seul une opération de détournement d’une magnitude colossale permettrait de l’expliquer.

En juin 2012, le ministre nigérian des Finances, Ngozi Okonjo-Iweala, aurait déclaré au Financial Times que 400.000 barils de brut sont volés chaque jour.

Le vol par soutage persiste parce que les compagnies pétrolières refusent d’équiper leurs derricks et leurs stations de pompage de compteurs qui permettraient au Nigéria de savoir exactement combien de pétrole est extrait chaque jour et par conséquent aussi combien de pétrole est perdu chaque jour.

Le détournement illégal par soutage représente désormais une entreprise internationale tentaculaire aux dimensions monstrueuses.

Ogoniland

L’une des communautés affectées, la communauté Goi, dans la région d’Ogoni, a été complètement ravagée par les déversements de pétrole et les incendies. Que les activités d’une compagnie extractrice de combustibles fossiles aient fait que toute une communauté soit désertée et que plus une seule âme n’y vit aujourd’hui pourrait bien relever de l’inédit.

Une visite dans ce qui était autrefois l’habitat des Goi permet de relever des preuves incontestables d’un écocide ou de crimes hors du commun contre Dame Nature. Bassins à poissons brûlés, mangroves calcinées, habitations en ruine et un plan d’eau noir de pétrole… bienvenue en pays d’Ogoni.

Malheureusement, des enfants et des femmes âgées continuent à se servir de cette eau contaminée dans la préparation de leur nourriture – malgré l’épais voile de pétrole qui en recouvre perpétuellement la surface. Et quand on leur demande comment ils osent encore pénétrer ces eaux visqueuses, leur réponse classique est qu’ils n’ont tout simplement pas le choix.

Et c’est que la question du choix a toute son importance dans ce contexte.

En août 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement à publié un rapport accablant sur l’évaluation de l’environnement dans l’Ogoniland. Au nombre de ses conclusions, le rapport relevait que la totalité des plans d’eau de l’Ogoniland étaient contaminés par la présence de taux élevés d’hydrocarbures.

Il a aussi relevé que par endroits, le sol est pollué jusqu’à une profondeur de cinq mètres. L’aspect le plus troublant des résultats de leur étude est qu’il faudrait près de 30 ans d’efforts pour décontaminer l’environnement dans la région d’Ogoni.

Dans une région où l’espérance de vie dépasse à peine quarante ans, force est de conclure que la majeure partie de la population ne connaîtra jamais de son vivant un environnement propre.

Le peuple ogoni a expulsé Shell de l’Ogoniland en 1993, en raison du mépris le plus absolu affiché par la compagnie pétrolière à l’égard de la population locale et de l’environnement. En dépit du fait que Shell n’a plus exploité les gisements pétrolifères de l’Ogoniland depuis cette date, les fuites de pétrole n’ont pas cessé dans le territoire. En cause, la présence de pipelines à haute pression qui traversent la région pour acheminer le brut vers le terminal d’exportation (à Bonny).

La destruction de l’environnement dans l’Ogoniland et dans diverses autres communautés du delta du Niger est un exemple classique d’un contexte où la soi-disant Responsabilité sociale d’entreprise (RSC) est clairement considérée comme un oxymore.

Dans le cadre de leurs projets de RSC, les sociétés comme Shell participent habituellement à la construction de dispensaires. Toutefois, dans un contexte de perpétuelle pollution provoquée par les fuites de pétrole brut et les flammes de gaz, cela équivaut à injecter du poison dans les veines du patient et de lui faire avaler, de temps à autre, une aspirine comme antidote.

Et pour comble, en vertu de dispositions spéciales, les programmes de RSC mis en œuvre dans les communautés tributaires du secteur pétrolier au Nigéria sont comptabilisés en tant que coûts de production du brut et ne sont donc pas financés au moyen des bénéfices gigantesques engrangés par les compagnies.

Ils ne sont rien de plus que de la poudre aux yeux.