Valentin Urusov, martyr syndicaliste russe

Même s’il a passé près de quatre ans et demi dans une colonie pénitentiaire dans l’est de la Sibérie, Valentin Urusov n’est pas spécialement connu du grand public.

Contrairement aux Pussy Riot, prisonnières de conscience russes comme lui, son nom est rarement mentionné dans les médias et l’icône pop Madonna n’a pas encore dénoncé son emprisonnement.

Pourtant Valentin Urusov, qui a été récemment nominé pour le Prix international 2013 Arthur Svensson pour les droits syndicaux, est victime d’une violation flagrante des droits humains.

Mineur et responsable syndical en Yakoutie, au nord-est de la Russie, il a été condamné à une peine de six ans en colonie pénitentiaire, sur base de fausses accusations de trafic de stupéfiants.

En réalité, si Valentin Urusov se retrouve derrière les barreaux, c’est parce qu’il protégeait les droits des travailleurs.

Son histoire est un exemple des plus parlants des affrontements opposant travailleurs, grandes entreprises et cercles politiques en Russie.

Valentin Urusov était électricien-monteur dans une usine de traitement du minerai appartenant à Alrosa, entreprise d’État du secteur diamantaire russe, l’une des plus grandes du monde.

Dirigeant empreint d’intelligence et de persuasion, Urusov était à la tête de Profsvoboda, un petit syndicat indépendant fondé à Oudatchni en juin 2008 qui a été à l’initative de manifestations de travailleurs.

Ceux-ci protestaient contre la faiblesse de leur rémunération mais surtout contre des conditions de travail désastreuses : heures supplémentaires non payées, équipement désuet, environnement de travail dangereux et problèmes chroniques de santé.

Cette année-là, vers le milieu du mois d’août, les ouvriers des ateliers de réparation de la mine d’Oudatchni annoncèrent la tenue d’une grève de la faim, et la notification formelle de ce préavis fut dûment enregistrée par la direction.

Le directeur de l’entreprise signa alors l’ordre de constitution d’une commission de conciliation chargée de régler le différend salarial.

Profsvoboda devait représenter les travailleurs lors des réunions de cette commission, et le lendemain le syndicat levait les actions de grève.

Malgré ses promesses, Alrosa n’a toutefois déployé aucun effort en vue de mener de réelles négociations, au contraire : la direction adopta des mesures répressives contre les militants syndicaux. Les travailleurs ripostèrent en préparant une manifestation de grande échelle.

 

Arrestation

Au début du mois de septembre 2008, Valentin Urusov fut arrêté pour détention de stupéfiants.

Or, coïncidence troublante, cette arrestation eut lieu alors même qu’il s’occupait des préparatifs de la manifestation de protestation des travailleurs d’Alrosa.

Tout aussi troublant, c’est le directeur adjoint chargé de la sécurité économique de l’entreprise qui était présent en tant que témoin officiel (présence qui est obligatoire en vertu du droit russe lors des pequisitions policières) lorsque les stupéfiants furent prétendument trouvés sur Valentin Urusov.

Dans une déclaration soumise par son avocat, le syndicaliste décrit son arrestation comme un enlèvement accompagné de menaces et de violences.

Les hommes qui avaient arrêté Valentin Urusov l’obligèrent à rédiger une déclaration dans laquelle il confessait que le paquet de drogue lui appartenait. Ils menacèrent de le tuer s’il n’y accédait pas. Or, c’étaient eux qui avaient placé le paquet pour le compromettre.

En outre, ils exigeaient que Valentin Urusov confesse que le paquet lui aurait été remis par son adjoint à la direction du syndicat.

Un véritable complot ourdi en vue de décapiter complètement la direction du syndicat.

Cependant, Valentin Urusov refusa de donner un faux témoignage incriminant son camarade.

« Les accusations contre Valentin Urusov étaient fondées sur le témoignage d’officiers de police et de témoins qui n’étaient pas impartiaux », explique l’avocat d’Urusov.

« Ce n’est que sous la menace et au travers d’humiliations que la signature sur le rapport concernant la confiscation du paquet de drogue a été obtenue.

Valentin Urusov a été emmené dans les bois, des coups de feu ont été tirés près de sa tête, il a été roué de coups de matraque et on lui a dit de se préparer à mourir. »

En décembre 2008, le tribunal du district d’Oudatchni a condamné le syndicaliste à une peine de six ans de prison.

Ce arrêt a été brièvement annulé en mai 2009 mais à l’issue d’un nouveau procès au mois de juin il a été renvoyé en prison, mais avec une peine commuée, un an plus courte.

En mai 2010, l’officier de police qui avait été chargé de l’arrestation de Valentin Urusov, le lieutenant-colonel Sergueï Roudov, a été lui-même arrêté et condamné pour fraude et abus de pouvoir.

Il était accusé d’avoir reçu d’Alrosa 2,5 millions de roubles (80 000 dollars américains) peu après avoir procédé à l’arrestation du syndicaliste.
Campagne

La Confédération russe du travail a lancé une campagne internationale pour obtenir la libération de Valentin Urusov, devenue l’un des thèmes prioritaires inscrits à l’ordre du jour des syndicats libres russes au cours des dernières années.

De nombreux courriers ont été envoyés par des syndicats russes et étrangers, des ONG et des organisations politiques au président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, ainsi qu’aux pouvoirs publics de Yakoutie pour réclamer la libération de Valentin Urusov.

En outre, un certain nombre de rassemblements et d’actions publiques de protestation ont été organisées en vue de réclamer sa liberté et d’attirer l’attention sur le problème de la liberté syndicale en Russie.

Cette campagne en faveur de Valentin Urusov a reçu le soutien actif de la Confédération syndicale internationale (CSI) et des Fédérations syndicales internationale (FSI).

L’affaire Urusov a été l’une des questions examinées par le Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Sur la basee de cet examen, l’OIT a recommandé au gouvernement russe de rouvrir l’affaire et de procéder à la libération immédiate de Valentin Urusov.

Cependant, malgré cet ample soutien, le syndicaliste continue de croupir dans la colonie pénitentiaire di district de Khangalasky en Yakoutie. Alors que sa peine prend fin dans quelques mois cette année, ses requêtes de libération anticipée ont été refusées par deux fois.

Alors qu’il souffre d’une insuffisance rénale chronique et qu’il est dans la ligne de mire des directeurs de la colonie pénitentiaire, Valentin Urusov a non seulement survécu à cette injustice mais son engagement envers la lutte syndicale est resté intact.