Une vérité économique qui gêne

 

Il est rare d’écrire une critique d’un film que l’on n’a pas vu.

Pourtant, la lecture d’un article sur Inequality for All, le nouveau documentaire présenté au festival du film de Sundance, m’a rappelé un scénario connu dans de nombreux pays du monde.

En Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique, l’intrigue semble toujours suivre le même schéma, à savoir que des dirigeants économiques et politiques accèdent au pouvoir grâce à des groupes d’intérêts issus des grandes entreprises.

Ils sont tous adeptes d’une idéologie affirmant que les droits au travail réduisent les bénéfices et accusant, sans pouvoir le prouver, qu’ils sont à l’origine de suppressions d’emploi, et s’engagent donc à démanteler par tous les moyens les protections sociales qui cimentent nos communautés et nos sociétés.

Les critiques du journal britannique The Guardian écrivent du documentaire Inequality for All que c’est une vérité économique qui gêne.

En son temps, le documentaire d’Al Gore a modifié la façon dont nous appréhendons le changement climatique et des militants avaient organisé des projections partout dans le monde, de Sydney à San Francisco, pour diffuser le message afin de dépasser la pensée environnementaliste traditionnelle.

Économiste et ancien ministre du Travail américain, Robert Reich est le principal protagoniste du documentaire.

Selon lui, les lois antisyndicales et la déréglementation des marchés ont engendré un système économique au sein duquel les richesses ne circulent plus que parmi une élite représentant 1 % de la population.

De nos jours, la majorité des Américains ne peuvent plus dépenser et faire croître l’économie parce que leurs salaires ne sont pas équitables.

La vérité économique qui gêne les dirigeants du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne est que ce sont précisément ces protections du travail attaquées qui ont permis de réduire les inégalités, de construire la demande et qui ont rendu nos lieux de travail et nos sociétés plus équitables pour toutes et tous. Les communautés le savent.

Malgré la folie économique, des gens sont isolés de nos sociétés, sans emploi et sans espoir d’amélioration pour les futures générations. Nos communautés se désagrègent.

Si l’appauvrissement et la fragmentation communautaire se poursuivent, il n’est pas exagéré de prédire que les inégalités, le chômage et l’absence de dialogue entre les dirigeants et les citoyens déclencheront des guerres urbaines.

Le sondage d’opinion que la CSI a mené en interrogeant des travailleuses et des travailleurs dans 13 pays révèle l’ampleur de la baisse de la demande.

Pour 58 % des personnes sondées, leurs revenus sont désormais inférieurs au coût de la vie. Une personne sur trois pense que son emploi est moins sûr qu’il y a deux ans.

Sans revenus disponibles, les économies ne peuvent croître et il n’y a aucun espoir pour l’avenir.

Et de fait, 67 % des personnes interrogées pensent que la situation sera pire pour les générations à venir.

Les économistes conviennent que leurs chiffres confirment ces sentiments.

Ces trente dernières années, l’inégalité de revenus a augmenté dans 17 des 24 pays de l’OCDE, les économies les plus avancées du monde.

Pendant ce temps, les 100 personnes les plus riches du monde se sont encore enrichies de 241 milliards de dollars, totalisant désormais 1.900 milliards de dollars.

L’inégalité est un poison qui détruit les moyens de subsistance, bafoue la dignité des familles et éclate les communautés.

Nous connaissons l’antidote: une démocratie forte, des syndicats puissants et le respect du droit de négociation collective pour garantir des salaires et des conditions équitables.

Pourtant, des pays comme la Roumanie, le Portugal, l’Espagne et la Bulgarie essaient de reconstruire leurs économies tout en sacrifiant leurs droits de négociation collective.

Les travailleuses et les travailleurs ne sont pas les seuls à en pâtir: les petites entreprises ploient sous la pression de la concurrence déloyale et par manque de crédits disponibles.

Suivant les conseils du FMI, la Roumanie a réduit la couverture de la négociation collective de deux tiers en moins de 18 mois.

Cette situation est entièrement due à l’abolition de la convention collective nationale et des négociations collectives au niveau industriel.

Le pays ne prévoit plus actuellement des négociations collectives qu’au niveau des entreprises, mais 90 % des sociétés en Roumanie comptent moins de 10 salariés.

Entreprises et syndicat s’accordent à dire qu’il serait logique d’imposer un seuil sectoriel qui rendrait la situation plus sûre.

Nous devons transformer nos systèmes distribution et nos démocraties pour qu’ils servent nos communautés.

Seules 13 % des personnes interrogées dans le cadre du sondage d’opinion de la CSI pensent qu’elles ont une influence sur les décisions économiques de leurs gouvernements. La confiance démocratique que le peuple a en ses dirigeants est en train de s’éroder.

En rétablissant le dialogue entre le monde du travail, les gouvernements et les entreprises, nous pouvons faire croître nos économies et donner de l’espoir à la prochaine génération.

Pour y parvenir, il faut mettre un terme aux attaques contre les droits des travailleurs, contre les salaires minimums qui permettent aux gens de vivre et contre la négociation collective, toutes menées au nom de politiques économiques.

Telle est la vérité.