Tara Peel et John Mark Mwanika sur les effets du changement climatique sur les travailleurs au Canada et en Ouganda

Tara Peel et John Mark Mwanika sur les effets du changement climatique sur les travailleurs au Canada et en Ouganda

Tara Peel (left) is a political advisor at the Canadian Labour Congress; John Mark Mwanika (right) is programmes officer at the Amalgamated Transport and General Workers’ Union (ATGWU-Uganda).

(Canada: Andrew Geddes / Uganda: Sean Carter)

Pour Tara Peel, conseillère politique au Congrès du travail du Canada, la transition juste est la solution pour garantir une réduction considérable des émissions dans le cadre de la lutte pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Elle estime que le cadre est essentiel pour garantir que toutes les mesures nécessaires soient prises aussi rapidement que possible sur tous les lieux de travail et dans tous les secteurs. John Mark Mwanika est responsable des programmes au sein du syndicat ougandais Amalgamated Transport and General Workers’ Union (ATGWU-Uganda). Selon Mwanika, il est grand temps que les débats sur l’emploi et la planète ne fassent qu’un, car les travailleurs et les syndicats peuvent se battre à la fois pour l’emploi et pour la planète. Equal Times a discuté avec les deux syndicalistes des impacts de la crise climatique sur les travailleurs en Ouganda et au Canada, ainsi que des défis à venir. Vous pouvez regarder les vidéos des interviews ci-dessous.

John Mark, comment avez-vous fait pour que les travailleurs des transports en Ouganda se préoccupent du changement climatique ?

John Mark Mwanika : Comprendre et relier le changement climatique, je veux dire l’environnement et les conditions météorologiques, au changement climatique, est un peu difficile à expliquer à nos membres, pour qu’ils puissent participer aux actions.

Mais au fil du temps, à cause des saisons de pluies difficiles que nous avons parfois, et qui se produisent aux heures de pointe, quand ils sont censés aller gagner de l’argent rapidement, c’est là qu’il pleut beaucoup. Et Kampala est un endroit vallonné. Une averse de 30 minutes, et toutes les routes sont inondées.

Il n’y a donc pas de travail et s’il n’y a pas de travail, il n’y a pas d’argent parce qu’ils travaillent au jour le jour, comme on dit. Maintenant, parce que cela devient endémique, ils commencent à se demander ce que c’est que ça ? Vous savez, ils vous disent : « Nous n’avions pas ça avant, quel est le problème ? » Ils nous donnent alors l’occasion de leur montrer le lien entre ce qui se passe et ce que nous appelons le changement climatique.

Quelles mesures avez-vous prises pour préparer ces travailleurs aux effets du changement climatique ?

J.M.M. : L’une des choses que nous faisons est, tout d’abord, de les sensibiliser. Il s’agit d’une question sérieuse et chaque travailleur, en particulier les travailleurs des transports, peut prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique. Nous examinons, pour commencer, les questions relatives à l’entretien de leurs véhicules et de leurs motos. Vous savez, ils parlent de l’essentiel, de l’argent qu’ils ramènent à la maison. Mais comme ils ne font pas d’entretien, les véhicules et les motos vieillissent, s’affaiblissent et consomment donc plus de carburant. L’autre chose que nous allons faire est d’aller vers des motos électriques. Nous les plaçons dans des groupes, dans des groupes d’épargne, parce qu’ils ont acheté les motos électriques à crédit et nous nous associons à la banque locale pour les financer afin d’obtenir les motos. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, nous aurons un bon rendement.

Nous pourrions alors envisager que, par exemple, dans deux ans, environ 50 % de nos motos soient des motos électriques. Cela signifie que nous réduirons les émissions. Mais le plus important, c’est qu’ils auront un travail décent parce que les motos coûteront moins cher et qu’ils en profiteront davantage.

Tara, comment le changement climatique affecte-t-il le Canada, ses travailleurs et ses communautés ?

T.P. : 2021 a été une année vraiment difficile pour les événements climatiques extrêmes. Nous avons connu une sécheresse extrême dans les prairies, qui a eu un impact énorme sur les agriculteurs, suivie de plusieurs centaines d’incendies de forêt dans les provinces de l’Ouest en particulier, mais aussi dans le nord de l’Ontario, qui ont mis en danger de nombreux services d’urgence.

Il y a eu une vague de chaleur extrême qui a duré plusieurs semaines, et qui a tué près de 600 personnes. Vous ne penseriez pas qu’au Canada, 600 personnes puissent perdre la vie à cause d’une vague de chaleur, mais beaucoup de ces personnes étaient vulnérables, à faible revenu, isolées, sans beaucoup de soutiens sociaux dont elles ont besoin pour pouvoir accéder à l’aide, sans accès à la climatisation. Et de nombreuses personnes sont mortes seules chez elles. Les événements météorologiques extrêmes ont eu un impact réel sur les travailleurs, les familles et les communautés, et pas seulement l’année dernière, mais nous voyons ces événements plus fréquemment. Ils sont plus sévères et ont déjà un impact sur la vie et les revenus des travailleurs.

Pouvez-vous nous parler des « champions » du changement climatique que vous avez formés ?

J.M.M. : C’était je pense en 2018, nous avons formé une quarantaine de personnes. En fait, pendant la formation, nous voulions les appeler des « organisateurs » du changement climatique. Ils ont dit, non, non, non, nous sommes des « champions » du changement climatique. Champions, dans le sens où ils voulaient sortir avec un badge différent, avec une mentalité différente, avec un regard différent. Et nos travailleurs du transport informel sont organisés en petites structures qui commencent à la base, ce que l’on appelle des étapes.

C’est là qu’ils se rassemblent, soit pour prendre un passager, soit pour en déposer un. Et c’est sur ces étapes que se trouvent les champions du climat. Et les principales actions qu’ils mènent sont les suivantes : premièrement, sensibiliser le public à ce monstre qu’est le changement climatique ; deuxièmement, essayer d’agir au niveau individuel, pas seulement au niveau des étapes, mais au niveau individuel.

Quelles mesures ont été prises par le gouvernement du Canada pour assurer une transition juste ?

T.P. : Le gouvernement actuel s’est engagé à mettre en œuvre une législation sur la transition juste et consulte actuellement sur certains des principes qui devraient être contenus dans cette législation. Les travailleurs ont besoin de voir de l’action. Ils ont besoin d’un plan et ils doivent être à la table des négociations pour aider à construire ce plan. C’est pourquoi nous tenons à ce qu’une loi ambitieuse sur la transition juste permette aux travailleurs de participer à l’élaboration du plan, en tenant compte de l’ensemble de l’économie canadienne et en élaborant le plan secteur par secteur, car nous savons que le plan ne sera pas nécessairement le même et que les besoins ne seront pas les mêmes dans les différents secteurs, qui devront tous se décarboniser rapidement, jusqu’au niveau du lieu de travail.

Donc, même s’il est vrai que la mise en œuvre a été un défi, les syndicats du Canada sont convaincus qu’il s’agit d’une priorité syndicale et nous allons nous assurer que cela continue, que la mise en œuvre de la législation reste une priorité. Une législation qui répond aux besoins des travailleurs et des communautés et qui garantit que les avantages de la formation professionnelle et des bons emplois qui accompagnent ces investissements peuvent être réalisés par les femmes, les travailleurs de minorités ethniques et d’autres qui ont été historiquement exclus de certains de ces avantages. Et aussi en respectant les droits des autochtones.

Quelles sont les politiques climatiques du gouvernement ougandais, et leur interaction avec les syndicats ?

J.M.M. : Nous n’avons jamais eu de dialogue social officiel sur le changement climatique. Depuis 2018, nous écrivons au gouvernement sur la question des contributions déterminées au niveau national, afin de le pousser à faire quelque chose. Mais à chaque fois que nous écrivons, nous ne recevons jamais de réponse. Je n’ai jamais été impliqué dans cela.

Cependant, le gouvernement, dans son rôle, en raison de la pression exercée par les partenaires mondiaux, et parce que, je veux dire, c’est ce qui se passe, le gouvernement prend des mesures ambitieuses. Cette année, en janvier, le gouvernement a présenté la loi nationale sur le changement climatique. C’est un événement important pour nous, car au moins maintenant nous savons que l’Accord de Paris, et le protocole de Kyoto, ont un cadre légal dans le pays. De plus, l’année dernière, le gouvernement a présenté ce qu’il a appelé les contributions déterminées au niveau national provisoires, dans le cadre des engagements de la COP 26.

Et ces dispositions provisoires, que nous avons lues, semblent ambitieuses. Donc si nous pouvons nous focaliser sur ces deux enjeux, et que nous faisons ensuite campagne là-dessus, je pense que nous pouvons tester la bonne volonté du gouvernement sur ce sujet et voir jusqu’où le gouvernement peut s’engager pour s’assurer que ces politiques se concrétisent.

Comment le CLC travaille-t-il avec ses affiliés pour mettre en œuvre des politiques de transition juste ?

T.P. : Le Congrès du travail du Canada est la plus grande organisation syndicale du Canada, représentant plus de trois millions de travailleurs dans tous les secteurs de l’économie, dans toutes les régions du pays. En juin dernier, en 2021, nous avons tenu notre congrès national, notre congrès constitutionnel, et dans le cadre des travaux de la résolution, il y a eu un document de politique ambitieux sur l’agenda de l’action climatique pour le mouvement syndical du Canada qui guidera notre travail jusqu’au prochain congrès. Ce document comprend de nombreux appels à l’action très fermes sur la transition juste. Il demandait notamment des investissements importants dans les protections sociales afin d’assurer la stabilité et un solide filet de sécurité sociale pendant que nous gérons cette transition.

Si vous regardez le secteur du charbon, qui est en quelque sorte à l’avant-garde de cette transition, il effectue cette transition beaucoup plus rapidement que de nombreux autres secteurs. En Alberta, où vivent et travaillent la plupart des travailleurs du charbon, les syndicats ont négocié une série de mesures de soutien avec le gouvernement provincial précédent pour s’assurer que les travailleurs aient accès à des aides à la formation s’ils en ont besoin, à des aides à la mobilité s’ils doivent se déplacer pour un nouveau travail, à des aides à la retraite pour s’assurer que leurs pensions soient complètes à la fin de leur longue carrière.

Quels sont les défis de la transition vers une économie à faible émission de carbone au Canada ?

T.P. : Nous sommes un pays doté d’un important secteur de combustibles fossiles : cela va créer un défi. De très nombreux travailleurs sont liés à cette industrie, qui est assez concentrée au niveau régional. Ainsi, alors qu’elle peut représenter un nombre plus modeste de travailleurs à travers le pays, elle est un employeur beaucoup plus important dans certaines régions du pays. Et donc, il y a certainement des défis associés à cela. Cela ne signifie pas qu’ils sont insurmontables.

Nous sommes prêts à relever le défi, mais nous ne pouvons pas séparer la nécessité de réduire rapidement les émissions de la nécessité de reconnaître l’équité, et le fait que les travailleurs n’ont pas créé ce problème. Une grande partie du travail fait par les travailleurs qui sont dans des secteurs à fortes émissions contribuent à construire l’économie canadienne. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question d’équité, mais aussi d’une question pragmatique. Il faut que les travailleurs se voient dans cette économie à faible émission de carbone, qu’ils voient un avenir pour eux, leurs familles, leurs enfants et leurs communautés. Car il y a beaucoup de possibilités. Nous savons qu’une action ambitieuse en faveur du climat génère beaucoup plus d’emplois que si nous ne faisions rien. Et ne rien faire n’est pas une option.

https://youtu.be/avMoLN1fTDQ

[VIDÉO - Tara Peel, conseillère politique au Congrès du travail du Canada]
 

https://youtu.be/ycSRKt8g_70

[VIDÉO - John Mark Mwanika, responsable des programmes au sein du syndicat ougandais Amalgamated Transport and General Workers’ Union]