Vers une surveillance totale au Royaume-Uni ?

L’information que Khaled Masood a utilisé le service de messagerie WhatsApp à peine quelques minutes avant de tuer cinq personnes lors d’une attaque terroriste à Londres, le mois dernier, a ranimé le débat houleux sur la sécurité et la vie privée au Royaume-Uni.

Moins de quatre mois auparavant, le parlement britannique avait approuvé « la loi de surveillance la plus extrême jamais adoptée dans une démocratie », la loi sur les pouvoirs d’enquête (Investigatory Powers Act, IPA). Adoptée le 29 novembre 2016, l’IPA donne à l’État britannique un accès sans précédent aux communications des citoyens.

Elle obligera les sociétés de communication à garder des traces des activités en ligne pendant près d’un an, permettant aux 48 agences gouvernementales ayant accès à ces données – comme la police et les services de sécurité, mais aussi le ministère de l’Intérieur, le ministère du Travail et des Retraites et la Commission du jeu – de se faire une idée précise de la vie privée de n’importe qui.

Le groupe de défense des droits humains, Liberty, a entamé des démarches le 28 février pour contester la loi. Il avait contacté le gouvernement en décembre et a demandé à la Haute cour l’autorisation de poursuivre alors que le gouvernement n’a pas réagi.

Silkie Carlo, une responsable politique chez Liberty, a déclaré dans la presse : « Les pouvoirs que nous combattons ébranlent tout ce qui est essentiel à notre liberté et à notre démocratie – notre droit de protester, de nous exprimer librement et à un procès équitable, notre liberté de la presse, notre vie privée et notre cybersécurité. Vu le nombre de personnes qui nous soutiennent, nous espérons que nous parviendrons à convaincre nos tribunaux de modérer les tendances des plus autoritaires de ce gouvernement. »

En décembre, Liberty a remporté une bataille devant la Cour européenne de justice contre la loi d’urgence temporaire qui a précédé l’IPA. La Cour a estimé que plusieurs aspects de la surveillance généralisée de la loi étaient illégaux, comme le piratage massif d’appareils, redouté par les militants, car les rendant vulnérables à d’autres attaques, l’interception généralisée des contenus de communication sans qu’il y ait obligatoirement des suspicions d’activité criminelle et l’acquisition de grandes bases de données permettant aux agences gouvernementales de se faire une idée précise de la santé, des opinions politiques, de la sexualité et la religion de la population.

Le gouvernement estime que la nouvelle législation est nécessaire pour réagir aux possibilités qu’internet offre aux terroristes et n’a pas encore annoncé s’il ferait appel de la décision.

Toutefois, l’IPA n’apaise pas les préoccupations des juges à propos de la loi d’urgence relatives à la rétention générale et aveugle de toutes les données de communication sans suspicion de délit et sans notification. Ils étaient aussi inquiets que la police et les instances publiques puissent autoriser leur propre accès, à quelques exceptions près : par exemple, pour obtenir les sources des journalistes, une autorisation judiciaire est requise.

« Une menace pour la liberté de la presse »

Mais, plutôt que d’apprécier l’exception présentée par le gouvernement comme une protection, les journalistes redoutent les effets de la législation.

« La nouvelle loi est une menace pour le journalisme et pour la liberté de la presse ; elle confère à l’État des accès dont il ne devrait pas disposer », explique Sarah Kavanagh, responsable des campagnes et des communications du syndicat national des journalistes (National Union of Journalists, NUJ).

« Il n’est pas possible de mener publiquement des procédures judiciaires : les journalistes ne peuvent pas expliquer aux autorités les raisons pour lesquelles elles ne devraient pas avoir secrètement accès à leurs communications électroniques, y compris à leur agenda, à leur carnet d’adresses ou à leurs courriels ».

Précédemment, lorsque les autorités voulaient avoir accès à des photos ou à des enregistrements, les journalistes étaient contactés avant le dépôt de la demande et avaient la possibilité de contester la demande. La protection des sources reste un principe fondamental du journalisme éthique, mais le gouvernement se sert de l’évolution de la technologie comme d’une excuse pour modifier la loi.

Sarah Kavanagh a expliqué aux journalistes d’Equal Times qu’il est aussi important de protéger l’impartialité et l’indépendance des journalistes, et qu’ils ne doivent pas être vus comme les intermédiaires des autorités en divulguant leurs sources ou en donnant leurs enregistrements à la police après avoir couvert des événements comme des manifestations.

« Nous estimons qu’il doit y avoir des garde-fous et des protections supplémentaires avant que les autorités ne puissent accéder secrètement aux informations électroniques et des journalistes », a-t-elle déclaré.

Le NUJ n’intente pas d’actions contre l’IPA, mais le syndicat examine actuellement les possibilités de contester une autre législation en cours de rédaction au sein de la Commission des lois, un organe officiel indépendant chargé des réformes des lois. Les lois actuelles sur le secret ont été rédigées entre 1911 et 1989, et reflètent un monde avant l’arrivée d’internet et où les cibles géographiques qui doivent être protégées des « ennemis » sont avant tout militaires. La Commission des lois recommande leur remplacement par une nouvelle loi sur la protection des données officielles et mène une consultation publique sur le sujet jusqu’au 3 mai.

Toutefois, les militants s’inquiètent fortement que la nouvelle loi prévoie des sanctions bien plus strictes pour les lanceurs d’alerte et les informateurs. « Ces projets abusifs n’ont pas leur place dans une démocratie », estime la directrice de Liberty, Martha Spurrier, à propos de la proposition de loi.

« Cela aggraverait le déséquilibre en faveur du secret d’État, indépendamment d’un intérêt public potentiellement important. En augmentant les risques de procès pour des révélations qui sont simplement délicates ou malencontreuses, cela réduirait au silence les lanceurs d’alertes et musellerait notre presse. »

Sarah Kavanagh, du NUJ, souligne que la loi concernerait aussi les journalistes qui publient des articles d’intérêt public basés sur des informations ayant fait l’objet d’une fuite et qui s’exposeraient ainsi à des poursuites. Tout cela vient encore noircir le tableau, ajoute-t-elle.

« Ils n’ont pas à écouter nos conversations pour découvrir que nous avons des liens – connus sous le nom de « métadonnées » – et leur permettre de voir tous ces liens a une incidence profonde sur la démocratie, les libertés civiles et les droits humains. »