Un Accord mondial sur le commerce des services compromettrait les travailleurs et les consommateurs

Opinions

L’Accord sur le commerce des services (ACS-TiSA) est le nom d’un nouveau traité actuellement en cours de négociation qui vise à éliminer les barrières – ou du moins ce qu’il en reste – pour permettre aux fournisseurs de services de partir à la conquête des marchés du monde entier et, dans le même temps, promouvoir un modèle d’emploi basé sur l’exploitation et impulser la financiarisation de l’économie.

La Confédération syndicale internationale (CSI) a récemment publié une analyse détaillée de textes fuités sur les négociations de l’ACS-TiSA – à l’issue de 20 cycles de négociations couvrant une période de trois ans et demi. Celle-ci montre que s’il est approuvé, signé et ratifié, cet accord serait lourd de conséquences pour le monde du travail.

Son champ d’application semble très étendu puisqu’il couvre le transport, l’énergie, les services de grande distribution, le commerce numérique, les télécommunications, la banque, la construction, la médecine privée, l’éducation et encore bien davantage, et ce dans l’Union européenne, aux États-Unis et dans les pays d’Asie et des Amériques. Étant donné que les services constituent la part la plus importante du PIB mondial, l’ACS-TISA entrainerait une profonde transformation du marché du travail.

À titre d’exemple, l’ACS-TiSA renforcerait du point de vue légal et faciliterait du point de vue économique l’exploitation de l’« économie des plateformes » (parfois aussi appelée « économie à la tâche » ou « économie collaborative ») - un terme qui fait référence au modèle entrepreneurial des services en ligne et sur demande pratiqué par des entreprises internationales comme Uber.

De telles entreprises prospèrent en injectant de la concurrence déloyale parmi les prestataires de services, en employant de la main-d’œuvre informelle non protégée et en contournant l’impôt.

Les services professionnels comme l’audit, l’architecture, la comptabilité et l’ingénierie offrent un vaste espace inexploité où l’économie des plateformes peut étendre ses tentacules. Les promoteurs de l’ACS-TiSA veilleront à ce que ces entreprises soient à l’abri de peu d’obstacles tels que les recours collectifs ou l’interdiction de services, comme dans le cas d’Uber en France.

L’ACS-TiSA renferme d’autres mauvaises surprises pour les travailleurs. La prestation de services se déroule suivant quatre modalités principales. Tout d’abord, la prestation de services transfrontaliers, comme lorsqu’un patient se fait traiter dans un hôpital à l’étranger ; deuxièmement, à travers la consommation à l’étranger, comme dans le cas du tourisme ; troisièmement, sous forme d’une présence commerciale, par exemple quand une banque ouvre une succursale à l’étranger ; et quatrièmement, le détachement de personnes naturelles.

Cette quatrième modalité de prestation de services, également connue sous l’appellation Mode 4, est en réalité une forme de migration à court terme ; par exemple quand un développeur informatique travaille pour une société de haute technologie dans le cadre d’un projet spécifique d’une durée de six mois.

Les conditions d’emploi – telles que les salaires, les congés et l’assurance maladie – pour ce travailleur sont énoncées dans le même contrat qui spécifie le projet, le délai de livraison et les sauvegardes de qualité. Ceci vaut pour les professionnels hautement qualifiés, mobiles et flexibles comme les développeurs informatiques mais pas pour les infirmières, les personnels de restauration ou les assistants dentaires.

En fonction de la portée des engagements que les différents gouvernements prendront dans le cadre de l’ACS-TiSA, de nombreuses catégories de travailleurs, y compris les travailleurs faiblement ou moyennement qualifiés risquent d’être employés à l’étranger sous des conditions nettement inférieures à celles stipulées dans la législation du travail du pays récepteur – pour la simple raison que la législation du travail ne s’appliquera pas s’ils sont embauchés dans le cadre d’un contrat de projet.

Comment les gouvernements pourraient-ils faire en sorte que les professionnels qui bénéficient du Mode 4 soient dotés des compétences requises ? L’ACS-TiSA renferme des procédures qui feraient converger ou qui reconnaîtraient mutuellement les critères de licence et de compétences, de même que des normes techniques comme celles garantissant la qualité des services.

Cependant, une autre partie de l’ACS-TiSA s’immisce plus profondément dans les compétences réglementaires souveraines. Les gouvernements seront tenus de délivrer un préavis préalablement à toute modification projetée de leur réglementation, permettant donc aux sociétés, y compris les sociétés étrangères, de formuler des commentaires à leur sujet.

Cela pourrait, à première vue, paraître anodin mais si l’on considère que de tels commentaires interviennent avant-même que le processus de régulation ne soit amorcé et si l’on y ajoute la possibilité qu’un gouvernement soit traduit devant un tribunal d’investissement – en vertu du très controversé mécanisme de règlement des différends investisseurs-États (ISDS) – ils peuvent en réalité avoir un effet inhibiteur, voire dissuasif sur les régulateurs.

 

Secteurs à risque

Les pays actuellement engagés dans les négociations de l’ACS-TiSA sont disposés à pleinement libéraliser leurs services de transport. Ceux-ci incluent le transport maritime, aérien et routier, de même que les services de messagerie. Les syndicats du transport ont vigoureusement plaidé que cela ne conduirait qu’à une détérioration accrue des salaires et de la sécurité des travailleurs du transport – un peu comme ce qui est arrivé aux routiers suite à l’ouverture des frontières européennes à la concurrence en provenance d’Europe de l’Est.

L’ACS-TiSA couvre aussi les services financiers. Il n’y a pratiquement aucune transaction financière qui ne puisse être présentée en tant que service financier. En réduisant les barrières, l’ACS-TiSA contribuera à une consolidation accrue des marchés financiers. Cela signifie que les grandes banques internationales deviendront encore plus grandes en éclipsant leurs concurrents plus petits qui, actuellement, opèrent uniquement à l’échelle nationale ou à travers des fusions et acquisitions.

Quelle que soit le procédé, le résultat est le même : Les banques soi disant trop grandes pour faire faillite deviendront encore plus grandes sous l’ACS-TiSA, représentant par-là même un risque accru pour le système financier.

Les promoteurs de l’accord entendent aussi déréguler les marchés financiers. À titre d’exemple : dès l’instant où un produit financier toxique est autorisé dans un des pays signataires de l’ACS-TiSA, les autres pays devront eux aussi l’autoriser. Il s’agit dû même type de produits qui était au cœur de la débâcle financière de 2008.

L’accord prévoit en outre l’ouverture des services publics et des marchés publics des services. Bien que l’UE et d’autres parties aient assuré que ça ne sera pas le cas, des dispositions relevées dans les articles fuités montrent que toute marche arrière sur la privatisation sera impossible.

Pour peu qu’on y ajoute un élément de « neutralité concurrentielle » entre les entreprises d’État et le secteur privé et qu’on autorise l’accès sans entraves des fournisseurs privés au marché, il ne manquera plus qu’une troisième étape pour compléter le puzzle. À savoir des mesures d’austérité qui réduisent les dépenses liées aux services publics, qui réduisent la qualité de ces services et, sur la base de cette baisse de qualité, fomentent le soutien populaire en faveur de la privatisation.

Si l’ACS-TiSA se poursuit sous sa mouture actuelle, nous allons tout droit vers une spirale infernale, tant pour les travailleurs que pour les petites et les moyennes entreprises et les consommateurs. Les gouvernements devraient revoir leur position, pour le bien de leurs citoyens mais aussi pour la stabilité de l’économie mondiale.