Un fardeau trop lourd à porter : Les prêts illégitimes accordés au Mozambique doivent être annulés

Un fardeau trop lourd à porter : Les prêts illégitimes accordés au Mozambique doivent être annulés

The Mozambican crisis has tested the new development finance paradigm and its emphasis on private capital as key source of financing for development.

(Alamy/Margaret Stepien)

Le défaut de paiement du Mozambique sur des prêts commerciaux estimés à 2 milliards de dollars a été à l’origine de la plus récente – et, vraisemblablement, la plus grave – crise de la dette africaine de ces derniers temps.

Alors que pratiquement tous les pays africains sont confrontés au déclin des prix des matières premières et à la hausse des coûts du crédit, le cas mozambicain fait figure d’exception en ce qu’il révèle à quel point il est facile pour le nouveau paradigme du financement du développement, axé sur le capital privé, de se fourvoyer.

Bien que couronnée de succès, la politique consistant à attirer les prêts commerciaux, loin de contribuer au développement du Mozambique, a entraîné une catastrophe au plan du développement.

Cette nouvelle crise de la dette vient aussi souligner le fait que l’actuel système de gouvernance mondiale ne dispose d’aucun mécanisme effectif permettant de prévenir les prêts et les emprunts irresponsables – ni de faire face à leurs répercussions. Elle met aussi en évidence le besoin urgent de se débarrasser de ces dettes illégitimes qui continueront à étrangler l’économie et la société du Mozambique jusqu’à ce que des mesures effectives ne soient prises.

Il n’est toujours pas clair ce qui est advenu des prêts commerciaux à hauteur de 2 milliards USD organisés pour le Mozambique par les filiales londoniennes des banques privées Crédit Suisse et VTB Capital, de Russie. En attendant, même la partie émergée de l’iceberg paraît incroyablement sale.

Les prêts en cause avaient pour objectif officiel l’achat d’équipement naval et d’une flotte thonière. Cependant, l’argent n’est jamais arrivé au Mozambique, les banques ayant transféré les sommes directement au compte de l’entrepreneur… naturellement, après s’en être arrogé un pourcentage considérable pour leur propre bénéfice, notamment sous forme d’honoraires et de commissions.

Malgré le fait que les emprunteurs du côté mozambicain étaient des firmes enregistrées en vertu du droit privé (ostensiblement contrôlées par les services secrets), les prêts en question ont obtenu une garantie du gouvernement. Des groupes de défense locaux comme le Mozambique Budget Monitoring Forum ont, néanmoins, mis en cause la légalité de ce dispositif.

Quoi qu’il en soit, le processus d’approbation a contourné le parlement et les prêts ont initialement été maintenus hors comptabilité, avec pour effet de tromper non seulement les citoyens mozambicains mais aussi les donateurs étrangers et les mécanismes de contrôle du FMI.

D’après un rapport d’audit préparé par Kroll, à la demande du Bureau du procureur général du Mozambique, Crédit Suisse aurait initialement « imposé un certain nombre de ‘conditions préalables’ devant être réunies avant qu’elle n’approuve le financement du prêt, y compris la condition que l’accord de prêt soit approuvé par la Banque du Mozambique et vérifié par le Tribunal administratif du Mozambique, et que l’‘opération’ fasse l’objet d’un rapport au FMI ».

Ces conditions ont, toutefois, été discrètement retirées, vraisemblablement parce qu’il était devenu évident que la transaction lucrative ne pourrait se poursuivre sans que le prêt ne soit approuvé par ces instances.

Quant à savoir à quelles fins l’argent a effectivement été dépensé, le rapport d’audit montre que les prix des biens et services, des navires principalement, étaient excessifs.

Il s’avère, par ailleurs, que les articles en cause n’ont jamais été rendus opérationnels et qu’une partie considérable des fonds n’a jamais pu être localisée. Résultat des courses, le Mozambique se retrouve avec 2 milliards USD de dettes supplémentaires, sans le moindre bénéfice tangible en retour.

Crise de la dette, par surprise

Quand les prêts secrets ont été divulgués l’année dernière et finalement inscrits dans les livres comptables du gouvernement, le ratio d’endettement du Mozambique s’en est vu propulsé à un niveau insoutenable. Cela a aussi eu pour effet d’accroître la part de dette commerciale coûteuse et, conséquemment, la quantité d’argent que le gouvernement est tenu de réunir pour rembourser les prêts à temps.

Même si l’argent avait été dépensé correctement, le Mozambique se serait vu confronté à des difficultés de remboursement considérables. Le montant du prêt, soit 2 milliards USD, octroyé à un taux d’intérêt annuel de plus de 7%, est supérieur à la moitié du budget annuel du gouvernement, qui s’élève à 3,7 milliards USD.

Même en excluant toutes fuites ou irrégularités, les conditions de prêt auraient épuisé les ressources limitées du Mozambique durant des années. Un défaut de paiement en 2023, quand la plus grande tranche de paiement était échue, eût été pratiquement inévitable si le Mozambique n’était parvenu à refinancer le prêt ou à mobiliser des ressources financières supplémentaires considérables de l’extraction de nouvelles ressources naturelles.

De toute évidence, le fait qu’une partie de l’argent a disparu tandis que le reste a été gaspillé rend l’éventualité d’un remboursement encore moins probable. Au début de 2017, le Mozambique s’est retrouvé en situation de défaut de paiement sur l’ensemble des trois prêts.

Bien que la suspension de paiement implique que les prêts ne constituent plus, provisoirement, une ponction sur le budget, le défi reste entier de savoir comment se débarrasser des dettes existantes – et bien entendu aussi comment prévenir de telles situations à l’avenir.

Il est essentiel de clarifier ce point, d’autant que le cas mozambicain pourrait être précurseur de ce qui est à venir.

La crise mozambicaine a mis à l’épreuve le nouveau paradigme du financement du développement et l’accent qu’il met sur le capital privé en tant que source-clé du financement du développement.

L’attrait des investisseurs privés constitue la stratégie centrale de l’approche « from billions to trillions »(Des milliards aux billions) prônée par le FMI et les six banques de développement multilatérales dans le cadre du financement des objectifs de développement durable.

La Banque mondiale a récemment lancé un modèle dit « en cascade », où la priorité est accordée aux investissements privés. La mobilisation de fonds privés occupe également une place centrale dans le nouveau Consensus européen pour le développement et le Plan d’investissement extérieur européen.

Pas de développement, juste un désastre

Le Mozambique, pays qui durant des décennies a figuré dans la liste des pays les plus dépendants de l’aide extérieure a réussi à attirer des capitaux privés de créanciers comme le Crédit Suisse et VTB. Il a donc suppléé aux faibles ressources de l’Aide publique au développement (APD) qui lui sont allouées à l’aide de quantités considérables de prêts commerciaux aux taux du marché. Logiquement, tout le monde, de Washington à Bruxelles, devrait applaudir.

Or le résultat a été désastreux : Pas d’impact démontrable en matière de développement et une crise de la dette causée par l’octroi de prêts commerciaux, accompagnée d’une débâcle macroéconomique et des finances publiques.

Les agences de notation ont revu à la baisse leurs cotes de solvabilité pour le Mozambique, entraînant par-là même un enchérissement de l’emprunt à la fois pour le gouvernement et les emprunteurs privés subordonnés. Le FMI est en train d’élaborer un nouveau programme d’ajustement qui est susceptible de réduire encore davantage l’espace fiscal dont dispose le Mozambique pour investir dans des domaines importants pour la réalisation des Objectifs de développement durable.

Les donateurs officiels ont temporairement suspendu les versements d’aide et, en particulier, l’appui budgétaire, qui est essentiel pour soutenir la prestation des services publics.

Au lieu de compléter l’APD existante, dû à des conditions de remboursement inhérentes, les prêts commerciaux contractés par le Mozambique absorberont les versements d’aide. En l’occurrence, l’aide européenne se convertira en un flux de revenu au profit de la clientèle fortunée de Crédit Suisse et de VTB.

À l’avenir, le gouvernement du Mozambique pourrait se voir forcé de recourir à l’APD pour financer les dettes lorsque des créanciers engagent des poursuites pour un remboursement intégral.

À moins, bien entendu, que les dettes illégitimes soient annulables.

La dette a été contractée en violation flagrante des normes internationales, notamment des Principes du CNUCED relatifs aux prêts et emprunts responsables. Malheureusement, le gouvernement britannique (les prêts sont officiellement régis par le droit britannique), au même titre que d’autres gouvernements européens, a jusqu’ici manqué de traduire ces principes dans le droit codifié, rendant, par-là, l’issue de toutes poursuites connexes hautement imprévisible à ce stade.

Ces mêmes gouvernements sabotent également les tentatives de création d’un mécanisme multilatéral de règlement des dettes au niveau des Nations Unies, qui tiendrait compte des critères d’illégitimité, tel que prôné depuis des décennies par les organisations de la société civile.

En conséquence, le fardeau risque de retomber sur les citoyens mozambicains, sans oublier les contribuables en Europe et ailleurs qui financent les budgets d’aide publique, et ce tandis que des investisseurs véreux festoient en grande pompe en puisant dans les fonds d’aide au développement. Dorénavant, nos gouvernements européens devront faire mieux s’agissant de la mise sur pied d’institutions essentielles. Mais en attendant, les prêts illégitimes comme ceux-ci doivent être annulés