Un toit pour tous : le mouvement mondial pour le droit fondamental au logement grandit

« La ville du Cap, comme tant d’autres villes à travers le monde, est devenue la tirelire des excédents mondiaux de capitaux cherchant à investir dans l’immobilier. Des vagues successives de développement visant exclusivement les super riches ont fait monter les prix et privé nos maisons de leur fonction la plus élémentaire : celle de loger les familles. L’effet a été dévastateur pour les dernières communautés pauvres et ouvrières qui vivent encore dans des quartiers bien situés et qui ne sont plus en mesure de payer leurs loyers et leurs taxes foncières », explique à Equal Times Jared Rossouw, membre du comité de coordination du mouvement Reclaim the City.

Grâce à des actions directes, des actions en justice et des démarches de lobbying, ce mouvement participatif de locataires et de travailleurs a fait pression sur le gouvernement provincial du Cap-Occidental pour qu’il fasse marche arrière en ce qui concerne sa politique de logement. L’année dernière, l’administration a annoncé dix autres projets de logements sociaux dans le centre-ville.

À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation au problème des sans-abri, le 10 octobre 2018, le gouvernement du Cap-Occidental a créé une zone sûre pour y distribuer de la nourriture, de l’eau et porposer une écoute. L’administration a promis de procéder à un nouveau recensement des sans-abri. Elle n’en avait pas organisé depuis 2015, année où elle estimait à 7.000 le nombre de personnes sans-abri.

Le Cap n’est pas la seule ville où trouver des chiffres sur les sans-abri s’avère difficile. De nombreux sans-abri sont cachés : notamment ceux qui sont contraints de dormir chez des amis ou dans leur famille. En 2005, le Conseil économique et social de l’ONU estimait à 100 millions le nombre de personnes sans-abri dans le monde, soit 2 % de l’humanité. Toutefois, compte tenu de l’impact du krach financier de 2008 et de la croissance démographique en général, ce chiffre est probablement beaucoup plus élevé aujourd’hui. En outre, il est estimé que 1,6 milliard de personnes n’ont pas accès à un logement convenable.

En Afrique subsaharienne, 60 % des habitants des villes se concentrent dans des bidonvilles et ce chiffre ne fera qu’augmenter avec l’urbanisation croissante du continent.

Le problème se pose également dans les pays du Nord. Une enquête récente du Bureau of Investigative Journalism a révélé qu’au moins 449 sans-abri sont morts en Grande-Bretagne au cours des 12 derniers mois.

« Le nombre de personnes qui dorment dans la rue a fortement augmenté, mais cette hausse considérable du nombre de décès de sans-abri ne constitue qu’une des conséquences de la crise du logement », explique Katya Nasim, l’une des cofondatrices du Syndicat des locataires londoniens (London Renters’ Union), qui a vu le jour cette année. Ce syndicat dirigé par ses membres compte déjà plus de 600 membres qui se soutiennent mutuellement dans la lutte contre les expulsions ou qui font pression sur les propriétaires pour qu’ils effectuent des réparations. Le syndicat des locataires de Londres milite également en faveur du droit à la sécurité d’occupation.

« À Londres, la location privée est horrible ; les prix sont élevés et les locataires ne jouissent que de peu de droits. L’accès à la propriété est hors de portée de la plupart des gens et il n’y a pas de logements sociaux disponibles », explique Mme Nasim. « La situation s’est gravement détériorée depuis l’austérité et le krach financier. »

« The Shift » : une campagne de l’ONU pour le droit au logement

L’ONU reconnaît également que la crise mondiale du logement s’aggrave. La première réunion d’une campagne intitulée « The Shift» a été convoquée en juin 2017 pour exiger un changement de paradigme dans la façon dont nous concevons le logement : pas comme une marchandise, mais comme un logement décent qui serait considéré dans le cadre international des droits de la personne. La campagne est dirigée par la rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit au logement, Leilani Farha.

Mme Farha déclare à Equal Times : « Nous sommes en présence d’une conjonction extraordinaire de facteurs qui aggravent la situation. Premièrement, une manifestation des politiques de logement qui ont commencé dans les années 1980, avec la déréglementation néolibérale et la réduction du logement social. La déréglementation signifie que le coût du logement a augmenté, tandis que les droits des personnes se sont dégradés. Par ailleurs, l’urbanisation s’est accélérée à l’échelle mondiale. »

« La crise financière aurait dû être qualifiée de crise mondiale du logement », ajoute-t-elle. «Et pas seulement parce qu’elle a été déclenchée par des défauts de paiement sur des prêts hypothécaires, et qu’à cause de ces derniers, de nombreuses personnes ont perdu leur logement. Elle a donné aux sociétés de financement par capitaux propres, aux fonds “vautour” et à de nombreuses institutions financières tellement de liquidités par rapport à ce dont disposaient les banques et les gouvernements en difficulté qu’ils ont pu se lancer dans ce secteur sans réglementation et procéder à des achats incontrôlés ».

Mme Farha veut que le logement soit considéré comme un bien social. Cela réduirait les souffrances réelles qui privent les personnes de leur dignité, comme le fait d’être sans-abri. Cependant, les gouvernements et les institutions tentent de résoudre les problèmes liés au logement « en utilisant le même cadre que celui qui a créé le problème ».

Elle s’est rendue en Égypte à la fin du mois de septembre. « Le FMI (Fonds monétaire international) déclare toujours qu’ils doivent libéraliser leur marché de la location. À un moment donné, le FMI avait déclaré que le néolibéralisme dit du ruissellement (“trickle-down”) n’avait pas fonctionné. Mais ils sont revenus à ce modèle. »

Des gouvernements du monde entier ont déjà adhéré en principe au droit au logement, tel qu’il est consacré dans de nombreuses déclarations et conventions internationales relatives aux droits de l’homme. La campagne « The Shift » encourage les villes et les gouvernements à confirmer cet engagement. De nombreuses villes, notamment Amsterdam, Barcelone, Berlin, Paris, Montréal, Séoul, Montevideo et New York, ont déjà adhéré à cette campagne.

À Montevideo, la capitale de l’Uruguay, cela se traduit par un soutien aux coopératives de logement. La ville fournit des terrains urbains aux coopératives par l’entremise de banques foncières. 25.000 familles sont organisées en 560 coopératives par l’intermédiaire de la Fédération uruguayenne des coopératives de logement par aide mutuelle (FUCVAM). En 2017, le gouvernement a accordé à la FUCVAM un soutien pour la construction de plus de 400 logements au profit de 11 coopératives dans tout l’Uruguay.

À Barcelone, en Espagne, le gouvernement de la ville a infligé des amendes à des banques parce qu’elles maintenaient des propriétés vides. L’année dernière, elle a commencé à réglementer le tourisme en réduisant le nombre de licences pour les maisons et les hôtels utilisés pour le tourisme dans les quartiers du centre de la ville.

Mme Farha considère la campagne « The Shift » comme un cadre général pour les idées et les activités.

« Par exemple, Barcelone a une approche différente de celle de Toronto vis-à-vis d’Airbnb. Les droits de l’homme fournissent le cadre dans lequel le contenu culturellement approprié peut ensuite être inséré. Les questions telles que la promotion de l’égalité et la protection des groupes les plus vulnérables relèvent des droits de l’homme et l’État ou la ville peut déterminer comment s’y prendre dans son contexte spécifique. »

Problèmes variés et solutions partagées

Dans la plupart des zones urbaines, les centres-villes sont réservés aux personnes aisées. Cependant, la répartition spatiale n’exacerbe pas uniquement les inégalités économiques.

En Afrique du Sud, la situation est extrême : à l’époque de l’apartheid, la politique officielle consistait à loger les personnes de couleur dans des bidonvilles loin des services et des emplois, le centre-ville étant essentiellement réservé aux blancs. Près de 25 ans plus tard, cette division persiste encore en grande partie.

M. Rossouw, du mouvement Reclaim the City, explique : « De nombreux nouveaux logements publics ont été construits, mais ont tendance à perpétuer cet apartheid spatial. À l’heure où nous devrions restructurer la ville — et promouvoir le droit au logement et l’accès équitable aux terrains —, c’est le contraire qui se produit. Les zones les plus riches sont devenues encore plus exclusives et les zones les plus pauvres restent piégées dans les limbes. »

Actuellement, le groupe occupe des bâtiments vides, dont une ancienne maison d’infirmières, au cœur du quartier exclusif du front de mer de la ville. Le groupe vise haut et fait campagne pour les meilleurs terrains dans les meilleurs emplacements au profit des personnes qui ont le plus besoin d’un logement :

«Si nous souhaitons changer la ville dans son ensemble et démanteler le système qui perpétue l’apartheid spatial, nous devons amener la lutte dans le cœur de la ville, au siège du gouvernement et chez les gens qui y habitent. Si nous voulons nous attaquer à la pauvreté et à l’inégalité qui sont cachées à la périphérie de notre ville, nous devons être visibles là où les décisions sont prises par ceux qui détiennent le pouvoir et les richesses. »

Le Syndicat des locataires de Londres mène lui aussi des actions directes, telles que les manifestations contre les agences de location et la résistance aux expulsions.

Les deux mouvements mettent l’accent sur la sensibilisation et la participation. Le mouvement Reclaim the City de la ville du Cap organise chaque semaine des assemblées consultatives locales et, à Londres, le Syndicat des locataires met l’accent sur le développement du leadership et le partage des compétences.

Mme Nasim explique : « Les sections du syndicat fonctionnent sur le modèle d’homologues sur un même pied d’égalité. Il ne s’agit donc pas seulement d’obtenir des conseils : nous parlons collectivement et collaborons sur un plan d’action. Comme d’autres syndicats, nous partons du principe que c’est collectivement que nous détenons un pouvoir. »

En se penchant sur les campagnes sur le logement auxquelles elle a participé par le passé, elle déclare : « [Elles] étaient souvent de courte durée. Les gens participaient pendant la durée de leur problème et partaient quand leur problème [individuel] était résolu. » La sensibilisation et l’analyse du pouvoir, y compris le pouvoir collectif, favorisent la continuité et le leadership.

Mme Farha partage cette approche : « L’argent et le pouvoir [dans le marché du logement] sont beaucoup plus importants qu’une rapporteuse spéciale ou une quelconque organisation ou ville. Nous devons nous galvaniser mutuellement afin de faire du droit au logement une réalité. Par ailleurs, nous devons réitérer notre attachement à l’idée que les gens peuvent vivre des vies dignes dans un logement décent ».