Une réforme du travail qui déplaît à la majorité des Français

La contestation sociale contre la « loi travail » ou « El Khomri » (du nom de la ministre du Travail) en France a démarré mi-février 2016 et ne s’éteint pas, malgré sa promulgation début août.

Jeudi 15 septembre, les syndicats opposés à la loi travail ont ressorti les banderoles et sont redescendus dans les rues pour la quatorzième fois. Ils demandent une abrogation de la loi et cherchent des moyens juridiques pour en limiter la portée.

« Le projet de loi n’était pas bon au printemps, la loi n’est pas bonne à l’automne », affirmait le 12 septembre Philippe Martinez, le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), à la radio.

Le printemps social a déjà été chargé. Le bras de fer entre les syndicats et le gouvernement qui utilisa à trois reprises l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le texte ; les grèves dans les raffineries, les dépôts pétroliers et les centrales nucléaires ; les 12 journées de manifestations et les débordements qui les ont émaillées… Autant d’évènements qui ont marqué l’opinion publique et suscité une certaine incompréhension.

En effet, cette réforme du droit du travail a été en grande partie rejetée. Selon les différents sondages, deux tiers à trois quarts des Français se déclaraient opposés au projet de loi. Même les représentants patronaux s’estiment insatisfaits.

Pourquoi une telle épreuve de force continue-t-elle de durer avec sans doute, au final, plus de perdants que de gagnants ?

 

« Un dialogue social malmené »

Point clé de la bronca contre le projet de la loi travail : la méthode. Tous les syndicats ont reproché au gouvernement d’être passé en force alors même que le président François Hollande défendait encore une culture du compromis et de la négociation lors de la conférence sociale d’octobre 2015.

« Dès le départ, l’élaboration du projet de loi a été faite sans concertation des syndicats. Le gouvernement ne nous a reçus qu’après la mobilisation dans la rue et n’a accepté que des changements à la marge qui n’ont satisfait qu’une organisation syndicale », indique Céline Verzeletti, membre de la direction nationale de la CGT.

« Le dialogue social a été malmené alors que le gouvernement légiférait sur une question sociale qui concerne tous les travailleurs. L’obstination du gouvernement a été contre-productive. Il a, en plus, pris le risque de perdre le soutien d’une partie de la gauche », critique quant à lui Yves Veyrier, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO).

Devant la fronde des syndicats, le projet de loi a été en partie amendé à la mi-mars. Le plafonnement des indemnités allouées aux salariés (indemnités prud’homales) en cas de licenciement abusif a notamment été abandonné.

La Confédération française démocratique du travail (CFDT), qualifiée de ‘syndicat réformateur’, a alors estimé être arrivée à un compromis.

Mais la grogne se fait aussi entendre sur les bancs des députés. Le gouvernement ne pouvant compter sur une majorité fragile a dû recourir à l’article 49.3 qui permet l’adoption d’un texte sans vote au Parlement, à la condition qu’aucune motion de censure (qui entraînerait la démission du gouvernement) ne soit votée dans le même temps. Les députés de la majorité ne sont pas allés jusqu’à cette extrémité.

 

Une réforme contestée

Sur le fond, la loi El Khomri se veut d’inspiration sociale-libérale. Elle comporte un paquet de mesures difficiles à déchiffrer, qualifié de « fourre-tout » par la CFDT. Un Français sur deux se déclare d’ailleurs mal informé sur le contenu du texte.

Ces mesures doivent, selon ses promoteurs, protéger les travailleurs (notamment en leur permettant de changer de carrière ou de région tout en conservant les droits acquis) tout en encourageant la croissance en offrant plus de souplesse aux entreprises.

Mais c’est surtout l’article 2 de la loi qui a le plus irrité les syndicats contestataires. Il concerne les règles du dialogue social. En France, les grands principes du droit du travail sont fixés par la loi. Des accords de branche (un secteur professionnel) peuvent transformer les règles à condition que l’accord soit toujours plus avantageux que ce dont dispose la loi.

À l’échelon inférieur, un accord d’entreprise doit être également plus protecteur qu’un accord de branche. Enfin, un contrat de travail est plus protecteur qu’un accord d’entreprise ou de branche s’il est modifié. Des dérogations existent dans ce qui s’appelle la hiérarchie des normes.

Mais l’article 2 de la loi fait de ces dérogations la règle, en matière de durée et d’organisation du travail. Il inverse la hiérarchie des normes : l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche pour décider du nombre d’heures supplémentaire et de leur paiement par exemple.

« On va assister à une décentralisation de la négociation au niveau de l’entreprise au détriment de la branche », explique Yves Veyrier.

« Dans une même branche, les règles seront différentes en matière d’organisation du travail et on peut craindre que les salariés auront plus de mal à négocier au niveau de l’entreprise, surtout dans les plus petites où peut s’exercer un chantage à l’emploi », ajoute Céline Verzeletti.

« Cet article fait peser le risque que les entreprises privilégient le moins-disant social pour les travailleurs », estime Éric, étudiant et manifestant.

En revanche, pour Laurent Berger, leader du syndicat CFDT, « si la priorité est donnée aux accords d’entreprise, ce n’est pas pour faire moins pour les salariés mais mieux en apportant une réponse plus ajustée et plus efficace (...) Les syndicats consolideront leur pouvoir de négociation pour répondre aux préoccupations des salariés au plus près de leurs réalités », expliquait-il dans les colonnes du Parisien.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement a refusé de transiger sur cette mesure socle en utilisant le 49.3, quitte à se mettre à dos l’opinion publique.

Pour les syndicats contestataires CGT et FO, la détermination du gouvernement à faire adopter cette mesure coûte que coûte peut s’expliquer par une forme de « contrainte européenne » qui oblige à des réformes structurelles du marché du travail.

« En Espagne, en Grèce, au Portugal, en Italie, en Belgique, les gouvernements ont mené des politiques comparables. La même logique libérale est appliquée pour faire baisser le coût du travail et en créant plus de précarité comme solution au chômage de masse », dit Yves Veyrier.

Certains estiment aussi que la fermeté du gouvernement peut s’expliquer par d’autres raisons : le risque d’attentats et l’organisation de l’Euro 2016, la volonté de ne pas perdre la face aux ‘frondeurs’ de la majorité et enfin pour oublier la réforme avortée sur la déchéance de nationalité.

À moins d’un an des élections présidentielles, le gouvernement a pris un pari supplémentaire que seul le résultat des urnes sera à même de juger.