Une transition juste garantie par le droit international est à notre portée – voici comment y parvenir

Une transition juste garantie par le droit international est à notre portée – voici comment y parvenir

Le 29 octobre 2021, des apprentis de la société ThyssenKrupp à Duisbourg, en Allemagne, transportent une poutrelle sur laquelle est inscrit le mot « Futur » dans le cadre d’une série de rassemblements nationaux pour une transition juste, organisés par le syndicat IG Metall.

(DPA Picture Alliance via AFP/Roland Weihrauch)

En 2021, nous faisions valoir que les éléments essentiels de toute conceptualisation d’une transition juste sont déjà bien ancrés dans le droit international relatif aux droits humains. Nous soutenions également qu’une transition juste ne doit pas être envisagée comme un simple concept abstrait de politique publique, mais plutôt comme un droit humain.

Depuis lors, des développements juridiques et politiques majeurs se sont produits permettant de donner un élan à l’élaboration d’un droit humain autonome à une transition juste.

Le 31 décembre 2021, la Commission interaméricaine des droits de l’homme publiait la résolution no 3/2021 «  Crise climatique. Portée et obligations interaméricaines concernant les droits de l’homme  ». Cette résolution mentionne le «  droit au travail  » et, au paragraphe 50, la responsabilité qui incombe aux États de garantir le respect des droits syndicaux ainsi que de veiller à ce que les systèmes de protection sociale soient adaptés pour répondre à la crise climatique.

En début d’année, les gouvernements du Chili et de la Colombie ont demandé à la Cour interaméricaine de rendre un avis consultatif visant à «  clarifier la portée des obligations des États, dans leur dimension individuelle et collective, pour répondre à l’urgence climatique dans le cadre du droit international relatif aux droits humains  ».

En juillet 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable au titre de droit humain. La résolution confirmait le lien entre la crise climatique et les droits humains tout en soulignant l’obligation des États «  de respecter, de protéger et de promouvoir les droits humains, y compris dans toutes les actions entreprises pour relever les défis environnementaux  ».

Comme l’a expliqué l’Organisation internationale du Travail (OIT), cela signifie «  appliquer une logique de “transition juste” qui évite les compromis entre le droit humain au travail et le droit humain à un environnement sain  ; et protéger la biodiversité en soutenant les moyens de subsistance des populations autochtones  ».

En septembre 2022, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a également rendu une décision majeure relative au changement climatique et aux droits humains en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a estimé que l’incapacité de l’Australie à protéger de manière adéquate les insulaires autochtones de l’île de Torres contre les effets néfastes du changement climatique constituait une violation de plusieurs de leurs droits au titre du Pacte.

Au mois de mars dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a également adopté la résolution présentée par le Vanuatu en vue d’obtenir un avis de la Cour internationale de justice sur les responsabilités des États en matière de protection des générations futures contre les changements climatiques.

À la lumière de ces développements et d’autres mis en exergue dans notre article original, nous explorons les possibilités d’ancrer fermement la transition juste dans le droit relatif aux droits humains existant, et ce, en vue de développer un droit autonome.

Nous nous concentrons ici sur le droit au travail dans le contexte de la crise climatique.

Recourir aux conventions de l’OIT

En juin prochain, des délégués gouvernementaux, syndicaux et patronaux du monde entier se réuniront à la Conférence internationale du travail à Genève pour discuter de la façon de réaliser «  une transition juste vers des économies et des sociétés durables sur le plan environnemental pour tous  ». Cette discussion doit porter sur le rôle spécifique de l’OIT dans l’élaboration et la mise en œuvre de mesures d’atténuation et d’adaptation dans un contexte reposant sur les droits, et en particulier le droit au travail.

La Convention (n° 122) sur la politique de l’emploi (adoptée en 1964, à savoir bien avant la prise de conscience mondiale d’une crise climatique), constitue d’ores et déjà un socle important pour l’action de l’OIT, puisqu’elle préconise une approche coordonnée des politiques économiques et sociales «  visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi  ». Dans le contexte d’une transition juste, cela impliquerait que les États adoptent un ensemble coordonné de politiques pour garantir l’accès aux opportunités d’emploi et des politiques actives concernant le marché du travail afin de soutenir une transition abandonnant les industries qui contribuent à la crise.

La Convention sur la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage (n° 168) complète utilement la Convention n° 122, puisqu’elle oblige les États à «  veiller à ce que son régime de protection contre le chômage [...] contribue[nt] à la promotion du plein emploi, productif et librement choisi  ». Les systèmes de protection sociale adéquats seront essentiels pour soutenir les travailleurs, leurs familles et leurs communautés, car même les mesures d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets provoqueront des perturbations. Il conviendra de veiller à ce que les travailleurs, en particulier les plus vulnérables, bénéficient d’un accompagnement tout au long de la transition afin d’assurer le soutien de ces mesures. Naturellement, l’élaboration de toutes ces mesures doit faire l’objet de négociations avec les travailleurs et leurs organisations.

Le système de contrôle de l’OIT et surtout la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations peuvent contribuer à l’élaboration de la législation. En effet, ils peuvent formuler des observations sur les conventions 122 et 168 et les organisations de travailleurs devraient leur soumettre les questions qui s’y rapportent. Par ailleurs, il serait utile de prévoir une section concrète sur la transition juste dans la prochaine «  Étude d’ensemble sur la politique de l’emploi  », en s’appuyant sur les Principes directeurs de l’OIT pour une transition juste de 2015.

Tirer le meilleur parti de l’article 6 du PIDESC

L’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) protège le droit au travail. Toutefois, la dernière Observation générale à ce sujet date d’il y a 17 ans et gagnerait à être étoffée dans le contexte de la crise climatique.

Néanmoins, l’Observation générale actuelle fournit des orientations utiles pour l’instant présent puisqu’elle reconnaît, en s’inspirant de la Convention 168 de l’OIT, que «  le droit au travail contribue à la fois à la survie de l’individu et à celle de sa famille et, dans la mesure où le travail est librement choisi ou accepté, à son épanouissement et à sa reconnaissance au sein de la communauté  ».

De plus, l’Observation générale précise, en citant la Convention 122, que le droit au travail «  affirme l’obligation des États parties de garantir aux individus leur droit à un travail librement choisi ou accepté, y compris le droit de ne pas être privé injustement de son travail. Cette définition souligne le fait que le respect de l’individu et de sa dignité s’exprime par la liberté individuelle de choisir de travailler, tout en mettant l’accent sur l’importance du travail pour le développement personnel ainsi que pour l’inclusion sociale et économique  ».

Comme l’a expliqué l’ancien haut-commissaire aux droits de l’homme, une transition juste est une transition qui applique pleinement l’article 6, de sorte que, dans la transformation du monde du travail, des économies durables et inclusives soient construites sur la base des droits humains internationaux. Cela implique que les États prennent des mesures pour protéger l’environnement tout en investissant non seulement dans les énergies propres et renouvelables, mais aussi dans une infrastructure humaine, par exemple en investissant substantiellement dans l’économie des soins.

Bien évidemment, cela suppose des mesures positives pour promouvoir la liberté d’association et la négociation collective, et pour éliminer les formes précaires d’emploi (conformément à l’article 7 sur les conditions de travail justes et favorables). Le droit au travail ne peut être garanti sans une protection sociale visant à minimiser l’impact des pertes d’emploi et à améliorer les perspectives d’emploi. Pour ce faire, il convient également d’assurer la protection d’autres droits humains, tels que le droit à l’alimentation, à la santé, au logement et à l’éducation.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC), l’organe chargé de surveiller la mise en œuvre du PIDESC, devrait donc reconnaître explicitement la transition juste dans le contexte du droit au travail dans sa prochaine Observation générale sur l’article 6. En outre, l’Observation générale du CDESC prévue pour cette année portera sur le développement durable et les droits reconnus dans le Pacte. Nous estimons que toute considération des droits du PIDESC dans le contexte du développement durable se doit d’inclure des mesures de transition juste.

Agir sur le Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations unies

Le fait de placer le droit à une transition juste dans le PIDESC donnerait l’élan nécessaire et établirait un précédent juridique pour le développement d’un droit autonome au moyen d’une résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. Bien que les résolutions du CDH ne soient pas contraignantes pour les États, si elles étaient associées à la jurisprudence de l’OIT et du PIDESC sur la transition juste que nous avons préconisée plus haut, un engagement politique mondial de cette ampleur favoriserait également la mise en œuvre effective de ce droit essentiel. En effet, une action au niveau du Conseil des droits de l’homme pourrait également déboucher sur une résolution plus large de l’Assemblée générale des Nations unies sur le droit humain à une transition juste.

Une approche de l’action climatique fondée sur les droits humains est impérative pour garantir une transition juste aux travailleurs et aux communautés. Afin de mobiliser efficacement des ressources pour permettre une transition vers des sociétés à faibles émissions de carbone et résilientes au changement climatique, la transition juste doit être reconnue comme un droit humain.

Comme nous l’avons fait valoir ici, l’OIT, les organes de traités des Nations Unies et le système des Nations Unies ont une occasion importante de faire de ce droit une réalité. Les rapporteurs spéciaux de l’ONU, les organismes régionaux des droits humains et les organisations de la société civile, dont les syndicats, devront également s’unir autour de cet objectif ambitieux.

Cet article a été traduit de l'anglais.